L'édito de Philippe Bailly

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Europe : cinéma et audiovisuel méritent aussi leur ReArm EU

Les militaires vont peut-être montrer la voie aux professionnels des médias et du digital. Face à la montée des pressions diplomatiques et économiques subies ces dernières semaines de la part des Etats-Unis, le salut a été unanime ou presque, sur la capacité des dirigeants européens à élaborer une réponse commune, et à lui donner une incarnation puissante : les 800 Mds€ annoncés pour le plan ReArm EU.

Comme souvent avec les grands chiffres, il faut s’attacher à leur dimension symbolique, plutôt qu’en chercher le rationnel immédiat. Combien d’avions, de blindés, de missiles, de navires ?… On peut douter qu’Ursula von der Leyen, Keir Starmer, Friedrich Merz ou Emmanuel Macron aient la moindre idée, à ce stade, de la façon dont l’enveloppe sera répartie. Et quand bien même l’auraient-ils, le temps se comptera en années bien plus qu’en mois avant que cet effort se traduise sur le terrain. A ce stade, l’impact est donc exclusivement politique et diplomatique.

A observer l’offensive lancée par la Motion Picture Association (MPA) contre les règlementations sectorielles – notamment – européennes, audiovisuel et cinéma pourraient également rentrer rapidement en zone de tension. A l’appui – déjà acquis – de leur gouvernement, studios et géants du numérique américains pourront ajouter leur puissance financière et technologique… Sur ce front également, c’est plus que jamais l’union qui fera la force des Européens.

Et de la même façon que la dynamique du plan ReArm EU a conduit à certains aggiornamentos, concernant la discipline budgétaire et les règles fixées au début des années 1990 par le Traité de Maastricht notamment, son équivalent dans le champ culturel pourrait conduire à réviser en profondeur l’approche suivie depuis 35 ans.

Plutôt qu’une véritable législation audiovisuelle commune, les directives – Télévision sans frontières puis SMA – qui se sont succédés, se sont limitées à poser un « socle » minimal, auquel certains Etats-membres se sont tenus, et à prévoir, avec le « principe du pays d’origine » que la domiciliation dans l’un des pays de l’Union – même le moins exigeant – valait passeport pour se développer dans l’ensemble de son territoire.

Cette articulation a rendu possible une forme de dumping réglementaire de la part de pays – les sièges européen d’Alphabet, Meta, Linkedin, Pinterest et X, par exemple, sont basés en Irlande – qui n’avaient pas d’industries créatives locales à défendre, et se sont calés sur le minimum du cadre communautaire pour attirer les sièges continentaux des groupes américains.

C’est ainsi que se sont creusées les asymétries réglementaires au sein de l’Union. Les acteurs français en sont particulièrement victimes, compte tenu des exigences élevées dont la législation nationale a toujours fait preuve.

Défendre demain une souveraineté audiovisuelle et culturelle européenne suppose de réduire ces asymétries, et les pertes de compétitivité qu’elles entrainent.

Réexaminer au niveau communautaire le principe du pays d’origine et, sans doute, réduire son champ d’application (la directive SMA de 2018 a fait un premier pas dans cette direction).

Réexaminer les dispositions nationales, pour prendre en compte le basculement qui s’est engagé, de l’univers du broadcast vers le monde du streaming. En France, par exemple, y a-t-il encore un sens à conserver des quotas de diffusion – segmentés par tranches horaires de surcroit – dès lors que l’usage passe de plus en plus par l’accès direct à des catalogues de programmes à la demande… et que la contribution de l’éditeur au financement de la création reste, elle, garantie ?

Poser les bases d’un véritable cadre européen unifié conduira forcément aussi sur le terrain économique. Qu’il s’agisse par exemple des modalités d’insertion de la publicité (durée, nombre de coupures, secteurs interdits, intégration à un parcours d’achat…) ou de la Loi Sapin (sur laquelle la France fait aujourd’hui figure d’exception). Parce que la défense de la souveraineté culturelle est indissociable de la capacité à assurer la pérennité économique.