L'édito de Philippe Bailly

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France Télévisions, Radio France : que restera-t-il de l’audiovisuel public ?

On savait déjà que la période électorale se prêterait à certains débordements sur le thème de la sécurité. Il semble que l’audiovisuel public n’échappera pas non plus aux dérives. C’est en tout cas ce que suggère la note « Refonder l’audiovisuel public » publiée ces derniers jours par le think tank Fondapol.

fondapol

Professeur à l’Université de Bordeaux, son auteur Olivier Babeau s’y revendique de « la démarche rawlsienne du « voile de l’ignorance » » pour aboutir à des remèdes radicaux : « suppression de France 3, France 4 et France Ô, privatisation de France 2, établissement sur le canal 3 d’une chaîne culturelle et libérée de toute contrainte d’audience, complémentaire avec France 5 et ARTE, refondation de la radio publique sur le même principe, en limitant le portefeuille des stations, regroupement de toute l’information publique, quel que soit le média »… Le maintien de France Médias Monde étant lui « justifié à partir du moment où l’on considère qu’il doit exister quelque chose comme « la voix de la France » ».

Pour parvenir à cette recommandation – qui ne laisserait subsister de l’actuelle France Télévisions que France 5 et l’hypothétique « Canal 3 » –  Olivier Babeau  se revendique du principe de subsidiarité (« partir du principe de subsidiarité, c’est affirmer, pour paraphraser Montesquieu parlant de la loi, que là où l’Etat n’est pas nécessaire, il importe qu’il n’y ait pas d’Etat ») pour décliner les termes du triptyque « informer, cultiver, distraire » qui « reste aujourd’hui encore une bonne description des missions que se donne l’audiovisuel public » :

  • Informer ? « nous soutenons l’idée de la nécessité d’un organe public d’information. l’importance relative des grands médias, en particulier télévisuels, est encore trop grande pour qu’un pluralisme sur Internet puisse trouver un écho suffisamment large».
  • Cultiver ? « tiraillé entre l’obligation d’élargir les publics et celle de maintenir l’exigence culturelle des contenus, l’audiovisuel public a le plus souvent sacrifié la seconde au profit de la première (et) la télévision publique a peu à peu banni la culture savante, la repoussant dans les zones marginales que sont la nuit et l’été».
  • Distraire ? « les chaînes publiques et privées sont en concurrence frontale sur le créneau du divertissement. Cela mène à des situation absurdes où un secteur public financé par les Français renchérit face à des acteurs privés français pour emporter l’exclusivité de certains contenus».

Sans même entrer dans une discussion terme à terme de ces différentes affirmations (sur l’absence d’équivalent réel au rôle de France 3 dans l’information régionale, par exemple), trois observations font plus qu’en relativiser la portée :

  • La myopie vis-à-vis des enjeux du numérique. Après s’être targué d’un « essai de prospective(sur) l’audiovisuel à l’ère numérique » et avoir consciencieusement recensés le passage « d’une consommation spécialisée à une consommation polymodale », l’évolution « des médias fortement distincts aux médias « poreux » », le glissement « d’une consommation linéaire à une consommation à la demande » ou encore « la fin de la ressource du filtre » et les enjeux « de l’infinité des canaux », Olivier Babeau reste totalement muet dans ses conclusions sur la stratégie que ces transformations doivent appeler pour l’audiovisuel public, se limitant aux seuls canaux linéaires traditionnels.
  • La fragilisation de la création. La note préconise pour l’audiovisuel public, un financement totalement public, dans lequel un prélèvement de 2% des recettes de la TVA se substituerait à l’actuelle redevance, pour un montant total d’environ 3 milliards d’euros par an… soit une saignée d’un quart environ par rapport à la situation actuelle. A cette vision macro – et à ses conséquences – devrait s’ajouter un examen plus spécifique des secteurs – cinéma ou production de fiction notamment – que l’arrêt de tout investissement dans le « divertissement » priverait de tout financement de France Télévisions (près de 250 M€ par an aujourd’hui pour la fiction, par exemple).
  • La déstabilisation des diffuseurs privés. Olivier Babeau préconise la privatisation de France 2 et la suppression de France 3, France 4 et France Ô. Outre que la jurisprudence du Conseil d’Etat aurait toute chance de conduire à la réattribution des fréquences abandonnées par les trois dernières, la première conduirait naturellement France 2 à une programmation plus agressive afin de développer ses recettes commerciales, et fragiliserait les groupes privés (TF1, M6, Canal+, Nextradio, NRJ), dans un marché de la publicité TV qui restait en 2015 inférieur de 10% à son niveau de 2007.

 

A ces trois réflexions, on pourrait ajouter le silence absolu sur les conditions de mise en œuvre : « On ne posera pas ici les questions de structure. Elles dépasseraient le cadre d’une note (effectivement) de longueur modeste » : une trentaine de pages. En refusant au nom de la capacité à raisonner librement d’évoquer les voies et moyens d’appliquer ses recommandations, Olivier Babeau relativise encore leur portée, tant la capacité à penser les modalités d’exécution est indissociable de tout projet de réforme. Quand il est aussi radical plus encore.

Plus que sur le fond, cette note mérite donc au final quelques questionnements sur le « pourquoi » et plus encore le « pourquoi maintenant » : s’il met en avant ses titres universitaires, Olivier Babeau n’est pas un pur chercheur : sous les gouvernements Fillon, il a été conseiller de Roger Karoutchi, puis du Premier Ministre lui-même. Si l’on ajoute les proximités de sa note avec les propositions arrêtées avant l’été par les Républicains, ou avec les pages consacrées à l’audiovisuel dans le récent ouvrage de Nicolas Sarkozy, elle ajoute un élément supplémentaire – un ballon sonde peut être, compte tenu de son caractère outrancier – sur la vision de l’ancien Président de la République pour France Télévisions. Et à ses projets s’il sort vainqueur de l’élection du printemps 2017.