En son temps, Salvador Dali situait le centre du monde à la gare de Perpignan ; aujourd’hui, Pascal Praud a manifestement du mal à le considérer ailleurs que dans le studio qui accueille ses vitupérations quotidiennes. Quitte à user de très grosses ficelles pour s’inventer un statut de cible prioritaire du président de la République. Dont on comprend sans peine que l’ancien journaliste sportif soit situé infiniment plus haut dans ses préoccupations que la situation financière de la France, l’évolution du conflit en Ukraine ou le réchauffement de la planète.
Mais n’est pas David Copperfield qui veut, et on hésite pour déterminer quelle est la manipulation la plus grossière de la part de Pascal Praud : celle qui retourne une proposition articulée sur les moyens de réduire l’impact des fake news, pour feindre d’y voir une attaque contre les médias historiques qui assument – y compris financièrement – le maintien d’une information de qualité ; ou celle qui prétend qu’Emmanuel Macron souhaiterait confier la labellisation aux pouvoir publics, pour en faire un instrument de contrôle des médias, alors que les propos du président de la République vont exactement à l’inverse : « ce n’est pas à l’Etat de dire : ‘’Ceci est une information, ceci n’en est pas.’’ Sinon ça devient assez rapidement une autocratie ».
Cette illustration par la preuve de la facilité à produire de la désinformation aurait pu rester cantonnée aux suites qu’y donneront le comité d’éthique de CNews et, si elle s’en saisit, l’Arcom. Mais elle s’est malheureusement accompagnée d’une autre démonstration, sur la vitesse de propagation et la capacité d’amplification des fake news, quand les médias du groupe Bolloré, mais certains titres au-delà, s’en font les relais, et quand se joignent au concert certains hommes politiques, y compris les présidents de Partis appartenant à « l’Arc républicain » et même au « Bloc central ».
A refuser de débattre au fond de la proposition émise par Emmanuel Macron, pour préférer une contestation politicienne bâtie sur une contre-vérité, le risque est de passer à côté de l’essentiel : le défi que la prolifération des fake news représente pour la cohésion de notre société et le fonctionnement de la démocratie. Avec le DSA, l’Europe a renforcé les moyens de lutter contre la désinformation, en permettant notamment de mobiliser les plateformes numériques dans la modération des messages qui y sont publiés. Mais le désinvestissement très net de certaines – Meta en particulier – après le changement de titulaire à la Maison Blanche, l’utilisation croissante de la désinformation comme un outil d’agression interétatique, et le levier que représente l’intelligence artificielle pour la production de fake news toujours plus abondantes et plus abouties techniquement (donc plus difficilement détectables) rend totalement illusoire de penser en tarir, ou même en réduire, le flux.
La proposition avancée par Emmanuel Macron revient, à défaut, à renverser la démarche : distinguer les sources qui respectent les standards professionnels de production de l’information, comme des « phares » qui évitent au lecteur / auditeur / spectateur / citoyen de se trouver enfermé dans les ténèbres désinformationnels.
Et comme les Etats Généraux de l’Information (EGI) en ont dressé le constat, cette labellisation / mise en avant ne demande que marginalement de recourir à une procédure spécifique : la CPPAP (Commission Paritaire des Publications et Agences de Presse), s’agissant des publications écrite, ou l’Arcom, pour les services de télévision et de radio, intègrent un suivi et un contrôle des conditions dans lesquelles est produite l’information (emploi de journalistes professionnels, rythme de publication…), sans s’immiscer pour autant dans la ligne éditoriale ni, a fortiori, procéder à une quelconque censure du travail des rédactions.
Dans les propositions retenues par les EGI, la « labellisation » reposerait donc pour l’essentiel sur un existant éprouvé, avec le recours limité à une démarche spécifique pour certains pure players numériques de l’information (Hugo Décrypte, Gaspard G…) qui ne ressortent ni de la CPPAP ni de l’Arcom, et pourraient alors faire appel au JTI pour les labelliser.
Preuve que ce cadre serait loin d’aboutir à la dictature de la pensée unique, CNews, dont l’Arcom a reconduit en 2024 l’autorisation de diffusion en TNT, mais aussi Europe 1 ou le JDD bénéficieraient sans autre procédure de cette labellisation.
Mais distinguer les acteurs qui respectent les standards professionnels de production de l’information aurait peu d’effet s’ils ne sont pas assurés d’être facilement identifiables et accessibles sur les réseaux. La proposition n°13 des EGI prévoit en conséquence l’instauration d’une « obligation d’affichage des contenus d’information pour les très grandes plateformes numériques », évitant aux comptes des journaux, radios ou télévision d’être « invisibilisés » par le jeu des algorithmes et transposant au monde digital l’esprit de la loi Bichet qui permet aux éditeurs de presse de maîtriser leur présence dans les kiosques à journaux et les maisons de la presse.
Garantir durablement la possibilité d’accéder à une information de qualité suppose enfin que la situation économique des médias leur permette d’en soutenir les coûts de production. Une étude réalisée dans le cadre des EGI avait permis d’évaluer ces derniers à 3 Mds€ pour 2023. L’importance de ce chiffre donne toute sa mesure à une troisième proposition des Etats Généraux (n°7), visant à responsabiliser les marques dans la façon dont elles répartissent leurs investissements de publicité entre médias d’information et de création, d’une part, plateformes, de l’autre. Et pour ce faire à instaurer une Responsabilité démocratique des annonceurs, complétant la Responsabilité Sociale et Environnementale (RSE).
S’il est au final un reproche à faire à Emmanuel Macron, c’est d’avoir laissé passer 15 mois depuis la fin des EGI sans que leurs propositions aient encore connu le moindre début de mise en œuvre. On attend encore le dépôt en Conseil des Ministres du projet de loi préparé par le ministère de la Culture, et la capacité à conduire à son terme sa discussion parlementaire avant la fin du quinquennat apparait plus qu’aléatoire. C’est sur la capacité à accélérer ce calendrier bien plus que sur les vociférations de Pascal Praud que les responsables politiques – au plein sens de l’adjectif – gagneraient à se concentrer.
