En mélangeant dans une même détestation proclamée « réforme des retraites », « schéma de pouvoir dominateur » et soupçon à l’égard de ceux qui veulent « casser l’exception culturelle », la réalisatrice d’Anatomie d’une chute Justine Triet n’a pas seulement célébrée de façon « un peu provocatrice » (selon ses propres mots) la Palme d’Or qui venait de lui être décernée.
Elle a invité sur scène les vieux démons. Le soupçon de l’argent qui corrompt (« il y a « un glissement lent vers l’idée qu’on doit penser à la rentabilité des films » a-t-elle poursuivi après la cérémonie sur France Inter) qui vaudrait joker pour tous les créateurs, leur donnerait un droit de tirage de principe et les dispenserait à jamais de rendre le moindre compte sur la performance de leur production.
Elle a banni à l’inverse ceux qui s’attachent, en tenants des « industries culturelles », à trouver le juste équilibre entre liberté de celui qui crée et équation économique assurant que le flux ne se tarisse pas, et qu’il puisse être mis au service, demain, d’autres talents.
Elle a ignoré surtout qu’à l’autre bout de la chaîne c’est toujours le spectateur lui-même qui paie : directement, via la TSA, quand il va au cinéma ; indirectement quand il visionne de la publicité sur des chaînes gratuites ou au travers de ses abonnements à des services payants.
En globalisant les enveloppes, et en en déléguant la collecte (aux circuits de salles, aux éditeurs de chaînes…), l’exception culturelle organise la mutualisation, permet que les plus petits (projets) profitent des plus grands succès, et autorise même l’échec.
En d’autres termes, elle met des géomètres au service des saltimbanques. Mais elle ne les fait pas disparaître pour autant.
En France, c’est l’Etat qui fait fonctionner l’ensemble à défaut de le financer. Et s’il est un regret à avoir, c’est peut-être précisément celui-là : que la maturité collective ait encore à s’en remettre à lui, plutôt qu’à la pratique contractuelle et aux accords professionnels.
L’exception culturelle y gagnerait certainement en souplesse et en agilité.