L'édito de Philippe Bailly

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Le vertige des anniversaires

De la mort de l’ORTF le 6 janvier 1975 aux lancements de YouTube (14 février) et de la TNT (31 mars) il y a 20 ans, en passant par l’annonce du premier iPad il y a 15 ans (27 janvier) ou par les 25 ans de la première offre Internet haut débit de France Télécom, Netissimo (12 janvier), les anniversaires qui seront célébrés en 2025 sont comme une projection des mutations que le numérique a apportées en à peine plus de deux générations. Si l’on y ajoute le rachat de Siri par Apple (28 avril 2010) et celui de Dailymotion par Vivendi (7 avril 2015), ou les débuts de Samsung TV Plus (23 août 2015) et de Disney+ en France (7 avril 2020) plus encore.

Il y a 50 ans…

Quand TF1, Antenne 2 et FR3 débutent leurs émissions le 6 janvier 1975, 70 % des Français seulement sont équipés d’un téléviseur, et l’offre des trois chaînes est encore très limitée – FR3 ne diffuse par exemple que quatre heures de programmes par jour, et TF1 60 heures par semaine.

La commercialisation par Philips des premiers magnétoscopes grand public vient tout juste de débuter et leur capacité d’enregistrement ne va pas au-delà de 45 minutes par cassette…

C’est à peu près là l’alpha et l’oméga du paysage audiovisuel de l’époque.

Il faudra attendre près de dix ans pour qu’il commence à s’élargir. Canal+ est lancé le 4 novembre 1984 ; François Mitterrand annonce le 16 janvier 1985 la création de deux chaînes gratuites (La Cinq commence à ses émissions le 20 février 1986, et TV6 le 1er mars 1986) ; après le lancement du Plan câble en novembre 1982, Paris Première est l’une des premières chaînes thématiques à voir le jour, le 15 décembre 1986.

Il y a 25 ans…

Le 12 janvier 2000, France Télécom démarre la commercialisation de Netissimo, la première offre « d’internet rapide » utilisant une connexion ADSL. « Avec plus de 4 millions d’utilisateurs individuels, la France est entrée de plain-pied dans le monde de l’Internet. (…) L’accès individuel traditionnel à l’aide d’un simple modem fonctionnant à 52 kilobits par seconde (kbps) fera demain figure d’anachronisme, s’enthousiasme Les Echos. Pas moyen d’écouter en ligne, un morceau de musique au format MP3 sans un débit de 128 kbps. Sans parler de la vidéo qui nécessite une liaison à 300 kbps ». En octobre, France Télécom revendique… 40 000 abonnés à Netissimo.

Si l’objectif de couverture à 100 % fin 2022, fixé en 2003 par le premier plan Très Haut Débit, n’a pas été atteint, l’ARCEP comptabilisait en juin 2024 plus 25 millions de raccordements garantissant un débit supérieur à… 30 Mbps.

Et en lançant fin 2023 les premières offres Triple Play (3P), Free (Freebox Crystal) et Orange (Ma Ligne TV) vont aider l’ADSL puis la fibre à supplanter câble, satellite et TNT comme premiers vecteurs de distribution de la télévision. Au 30 juin 2024, plus des trois-quarts des abonnements internet (77 %) incluaient une « brique audiovisuelle ».

Mais en faisant exploser les débits disponibles, fibre et ADSL vont aussi favoriser la montée en puissance des usages OTT (Over the top, n’utilisant pas le décodeur de l’opérateur), au travers d’une gamme croissante d’écrans connectés.

Trois ans après avoir impulsé la montée en puissance des smartphones en lançant le premier iPhone, Steve Job présente le 27 janvier 2010 le premier iPad et ouvre la voie aux tablettes multimédia.

Un an plus tôt, surtout, Samsung présente lors du CES 2009 ses premiers téléviseurs « Internet ready », permettant, selon le site spécialisé 01net « de naviguer sur YouTube, de partager des photos sur Flickr et de communiquer avec ses amis, directement sur le téléviseur, sans PC et sans avoir besoin d’une souris ou d’un clavier » : la Smart TV est née. Trois Français sur cinq en sont aujourd’hui équipés, d’après les données du Baromètre NPA Conseil / Harris Interactive.

Il y a cinq ans…

Rejoignant Netflix (septembre 2014), Prime Vidéo (décembre 2016) et Apple TV+ (novembre 2019), Disney+ est le 7 avril 2020 la 4e plateforme de SVoD mondiale à démarrer son exploitation dans l’hexagone. Paramount+ (décembre 2022) et Max (juin 2024) ont depuis complété le line-up.

Après avoir essayé un contrefeu avec CanalPlay Infinity, lancé en novembre 2011 et arrêté en octobre 2019, Canal+ mène une double stratégie, de plateformisation en s’appuyant sur l’application myCanal (initiée en novembre 2011) et d’agrégation, en fédérant progressivement l’ensemble des nouveaux entrants, ou presque : le groupe n’a jamais passé d’accord avec Prime Video, et celui qui le liait au groupe Disney depuis cinq ans n’a pas été renouvelé. Disney+ n’est plus disponible dans les offres de Canal+ depuis le 31 décembre 2024.

Avec Apple TV+ et Paramount+, à l’inverse, l’intégration est maximale : les deux services sont aujourd’hui accessibles à l’ensemble des abonnés à Canal+ (et pas seulement à ceux des forfaits premium Ciné Séries et Friends & Family) et leurs contenus – comme ceux de Max – sont proposés en ingestion, garantissant aux abonnés une expérience utilisateur totalement fluide.

A ce jour, Free, avec la Freebox Ultra qui associe l’accès aux forfaits avec publicité de Netflix, Prime Video et Disney+, ainsi qu’au signal linéaire de la chaîne Canal+, est l’opérateur qui a le plus marché sur les traces de Canal+. Orange a pris en fin d’année une voie originale, en proposant à ses clients des réductions substantielles (5 € par mois et par service) sur les tarifs d’abonnements à Netflix, Disney et Max plutôt qu’un bundle « en dur ».  Sans proposer non plus de package, Amazon Prime Channels est également fortement présent – depuis octobre 2019 – sur le terrain de l’agrégation.

La stratégie de réduction des coûts – de marketing notamment – engagée par les plateformes, devrait entretenir cette dynamique, d’autant que la pénétration globale de la SVoD (la part des Français abonnés à un service au moins) s’est stabilisée depuis plus d’un an à 57 %, et que la priorité des éditeurs semble surtout à développer l’engagement (le volume d’heures vues) afin de soutenir le développement des offres publicitaires dont la plupart (Netflix, Disney+, Prime Video, Max) sont maintenant dotés.

Et finalement… Retour il y a 30 ans…

Le 14 février 2005, trois anciens salariés de Paypal, Steve Chen, Chad Hurley et Jawed Karim, créent YouTube. D’après ses fondateurs, l’idée originale était de créer une version vidéo de service de rencontres en ligne, inspirée par le site web Hot or Not.

Le 31 mars 2005, le président du CSA Dominique Baudis et le ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres donnent le coup d’envoi de la TNT.

Ayant rapidement dépassé son positionnement initial, YouTube va d’abord s’imposer comme le leader mondial du partage de vidéos amateur User Generated Contents (UGC) avant d’encourager la montée en puissance des « créateurs » de contenus (de formats courts généralement) et, finalement, de dépasser sa base de départ – l’écran du smartphone – pour partir à l’assaut du téléviseur. Il représente aujourd’hui plus de 10 % du temps TV aux Etats-Unis, et à peu près 8 % au Royaume-Uni, ou encore 5 % en France et en Espagne.

Dans l’hexagone, les chaînes de la TNT en totalisent près de 75 %, et l’intensité de la compétition qui a entouré le processus de (ré)attribution de 15 fréquences conduit en 2024 par l’Arcom confirme qu’elle conserve son statut de « socle audiovisuel de référence ». Bien que son déclin tende à s’accélérer, l’audience que garantissent les antennes-râteau reste significative (la France compte encore plus de 15 % de foyers qui en sont totalement dépendants). Une place dans l’offre de la TNT assure une numérotation favorable dans les plans de services des distributeurs audiovisuels (opérateurs télécoms, Canal+…). Et l’application qui devrait regrouper en 2025 l’ensemble éditeurs de la TNT devrait être accessible dès les écrans d’accueil des Smart TV et autres terminaux connectés, grâce à la législation sur les Services d’intérêt général. Cela vaudra du signal linéaire des chaînes comme de leurs plateformes de streaming (arte.TV, france.tv, M6+, RMC BFM Play, TF1+…).

Car c’est bien l’enjeu clé. Pour les acteurs historiques du « PAF » comme pour l’ensemble des nouveaux entrants : maximiser le temps que les Français passent sur leurs services, pour pouvoir monétiser dans les meilleures conditions leur inventaire publicitaire.

Le temps de cerveau disponible évoqué en 2004 par Patrick le Lay n’est au fond pas si loin. Mais jamais la concurrence n’a été aussi rude, et le mix à réunir pour y parvenir – talent créatif, savoir-faire technologique… et moyens financiers – exigeant.