« Directive SMA : Françoise Nyssen se félicite de l’adoption par l’UE d’un texte ambitieux ». Le Communiqué est daté du 26 avril 2018, et l’alors ministre de la Culture s’y félicite que « sous l’impulsion de la France (…) les services de vidéo à la demande, tels que Netflix, (soient) désormais tenus de proposer au moins 30% d’œuvres européennes au sein de leur catalogue » au lieu de 20% dans le projet inital, et que « le texte oblige les chaînes de télévision et les services de vidéo à la demande à contribuer au financement de la création dans le pays qu’ils ciblent quel que soit leur pays d’établissement ». Plus de dix mois ont passé depuis, la fondatrice d’Actes Sud a quitté la rue de Valois et le processus de transposition sera certainement pour son successeur l’occasion de méditer la citation de Nietzche selon laquelle « le diable est dans les détails ».
« La nouvelle règlementation européenne issue de la directive Services de Médias Audiovisuels ne permettra de résoudre que très partiellement (l’)asymétrie de régulation (entre acteurs nationaux et globaux), notamment parce que son application nécessitera une coordination délicate à établir entre les autorités de régulation de tous les Etats membres », relève ainsi l’Autorité de la Concurrence, dans l’Avis qu’elle a rendu le 21 février à la demande de la Commission des Affaires Culturelles de l’Assemblée Nationale.
L’application du quota d’exposition des œuvres européennes soulèvera ainsi « certaines questions inédites », poursuit l’Autorité : « Se pose d’abord la question de la base temporelle qui devrait être prise en compte pour considérer que le quota est respecté (base hebdomadaire, mensuelle, annuelle). De même, (…) il conviendrait de déterminer si la part de 30 % doit uniquement reposer sur le nombre d’unités disponibles, ou si elle doit également prendre en compte le volume horaire global des programmes proposés ». Autrement dit, si le décompte est effectué en titres uniques (une œuvre est égale à un titre, quelque soit le nombre d’épisodes qu’il comporte le cas échéant), en nombre d’épisodes, ou en nombre de minutes. Les décomptes effectués en décembre 2018 par NPA Conseil dans le cadre de son Baromètre SVoD montre plus de dix points d’écarts sur les catalogues français d’Amazon et Netflix, en fonction de la méthode retenue. Les lignes directrices attendues de l’ERGA (association des régulateurs audiovisuels européens) sont supposées clarifier ces points, et expliciter également « le principe de « mise en valeur » des œuvres européennes » inscrit dans la Directive. A suivre, donc…
L’Autorité n’est guère plus allante sur les dispositions visant à imposer à l’ensemble des acteurs de contribuer au financement de la création. Elle « ne précise pas si le principe du pays d’origine ou le principe du pays de destination s’applique en cas de non-respect par un opérateur de cette obligation », autrement dit si c’est « l’État de destination qui doit être compétent (…), ou si ce contentieux relève de la juridiction de l’État d’établissement, ce qui risque bien évidemment de rendre les procédures beaucoup plus lourdes et complexes à mener ». De manière plus pragmatique, l’Autorité pointe que « la portée financière de la directive (…) ne semble pas devoir être surestimée » : en admettant que la France parvienne à imposer à Netflix le même taux qu’aux diffuseurs hertziens (15%), « la contribution obligatoire se monterait à un total de 75 millions d’euros, c’est-à-dire le prix de cinq à sept séries internationales ou films » sur la base de 5 millions d’abonnés payant chacun 100€/an en moyenne. « Soit un nombre de productions pas très éloigné de ce que Netflix annonce vouloir réaliser en France ».
Enfin, l’Autorité relève que « la question de l’applicabilité de la directive aux opérateurs établissant (à dessein) leur siège social hors de l’UE demeure entière ».
Mais comme un train peut en cacher un autre, la (probable nouvelle) Directive Droits d’auteur pourrait elle aussi être source de déconvenues majeures. Outre que ses opposants ne désarment pas, à l’exemple de la députée européenne Julia Reda, rendant aléatoire l’adoption définitive du texte avant la fin de la mandature, l’article 14 risque de valoir quelques cauchemars aux représentants de certaines sociétés de gestion collective. Ce 26 février, le directeur des Affaires institutionnelles de la SACD n’hésitait pas à claironner sur la généralisation prochaine, à l’ensemble de l’Union, du « droit à rémunération proportionnelle des auteurs ». Las ! Le texte provisoire de la Directive – seulement disponible en anglais à ce stade – emploie l’adjectif « proportionate », lequel peut faire l’objet d’une double traduction : « proportionnelle » ou « proportionnée », autrement dit « adaptée », mais possiblement… forfaitaire ainsi que le relevait dès le 20 février l’analyse du pôle juridique de NPA Conseil. Chaque Etat pourrait donc en faire sa propre lecture.
L’heure n’est plus, décidément, où la France pouvait rallier l’ensemble de l’Europe à sa conception de l’exception culturelle. Raison de plus pour que les pouvoirs publics accélèrent leur réflexion sur la réforme audiovisuelle. A défaut de faire disparaître les asymétries réglementaires que les Français subissent par rapport aux acteurs globaux, elle pourrait au moins réduire l’écart qui les pénalise par rapport à leurs voisins européens.