Signe symbolique du bouleversement que le streaming a entraîné, il semble finalement que les professionnels signeront au cours des prochaines jours un nouvel accord sur la chronologie des médias… reprenant à l’identique ou presque les termes de celui qu’ils avaient conclu en janvier 2022… mais au prix d’une fragmentation qui en limite la portée générale et en réduit la lisibilité.
L’accord annoncé par Disney+ et les organisations du cinéma va « inaugurer » en effet la fenêtre dévolue aux plateformes de la SVoD « avec accord professionnel premium » … laquelle ne se confond pas avec le créneau des services avec « accord basique » positionné à 15 mois après la sortie en salle, qui lui-même précède les 17 mois applicables aux services de SVoD qui n’ont signé aucun accord.
Disney+ pourra donc proposer les films neuf mois après leur sortie en salle. L’accord de 2022 aurait théoriquement rendu possible une ouverture à six mois. On comprend qu’une forme de principe de proportionnalité a conduit à écarter cet hypothèse… Et les choses commencent alors à se compliquer. Parce que sont mis en parallèle pour juger de cette proportionnalité la réalité d’hier – celle de l’accord cinéma de Canal+ qui a expiré le 31 décembre – et les engagements pris pour demain, d’abord. Parce que la transparence est loin d’être systématique concernant les termes négociés, et qu’il est donc difficile de les comparer.
Les négociations engagées entre Netflix et les organisations professionnelles du cinéma autour de la reconduction – sous réserve d’évolution – de l’accord de février 2022 ont toutes les chances de nourrir la complexité grandissante. Le leader mondial est réputé vouloir proposer les films à 12 mois (pas forcément plus tôt, pour éviter que son taux de contribution à la production passe de 20 % à 25 % de son chiffre d’affaires), et la chronologie applicable à la SVod pourrait donc connaître demain une quatrième déclinaison, dans un intervalle de 8 mois (9, 12, 15, 17).
Peut-on imaginer que Prime Video, Paramount+ ou Max souhaite encore enrichir cette « collection » ?
Déterminer les facteurs qui justifient de distinguer les « sous fenêtres » relèvera bientôt d’un travail de dentelière… Sauf à considérer que les critères « qualitatifs » (sur l’éditorialisation des offres par notamment) sont purement décoratifs, et que le montant du minimum garanti est la seule variable déterminante.
Mais s’agissant justement des financements sur lesquels il pourra tabler ces prochaines années, le cinéma français devra encore attendre… puisque Canal+ ne semble pas pressé de dévoiler son jeu.
Auditionné par le Sénat le 29 janvier, Maxime Saada a, en substance, reproché aux organisations professionnelles de s’être montrées aussi peu élégantes avec Canal+, après la rupture de ses accords avec le groupe Disney, que la LFP l’avait été lors de l’arrivée de Médiapro sur le marché français.
Il a indiqué que des fenêtres à 6 mois pour Canal+ et 9 mois pour Disney+, « c’était un sujet » si elles correspondaient à des apports respectifs de « 220 M€ et de 35 M€ ».
Il a prévenu que la sortie de Canal+ de la TNT, et le changement de statut juridique qui en résulte, donnait la possibilité au groupe de diviser par quatre son investissement dans le cinéma français.
Mais il n’a pas indiqué à ce stade le point d’atterrissage qu’il avait en tête pour la reconduction des accords de Canal+ avec le cinéma français, sur une fenêtre qu’on n’imagine pas différente de 6 mois.
Il faudra donc sans doute attendre encore quelques semaines avant que le nouveau paysage soit totalement dessiné.
Et plus que le fruit d’une véritable négociation interprofessionnelle collective, il constituera surtout la compilation d’accords bilatéraux.
Est-il déraisonnable dans ces conditions de renoncer au rituel des accords trisannuels, et de laisser à la pratique contractuelle et à la sagesse collective des « bons usages » professionnels, le soin de d’établir et de faire évoluer la chronologie ? C’est en tout cas ce qu’ont choisi la plupart de nos grands voisins.