Le 23 mars, l’agence Reuters indiquait que Mediaset détenait désormais plus de 20% du capital du groupe allemand ProSiebenSat.1, après en avoir acquis 10% au printemps 2019. L’objectif affiché par le groupe Italien – également fortement présent en Espagne – est de constituer un ensemble européen suffisamment puissant pour résister à la menace concurrentielle des géants du numérique.
Qu’ils soient nouveaux entrants (Netflix, Amazon Prime Video, Apple…), ou Studios ayant entrepris un virage vers le D2C (Disney, Warner-HBO…), le paysage audiovisuel international apparaît plus que jamais dominé par des acteurs nord-américains… en attendant la déferlante possible des groupes chinois (Alibaba, Tencent…). Le groupe Mediaset, détenu par la famille Berlusconi, affiche l’ambition de constituer un ensemble européen capable de tenir tête à ces nouveaux concurrents, sur le marché de la publicité comme sur celui de la production de contenus.
Pour ce faire, Mediaset a entrepris depuis le début 2019 de monter au capital du groupe audiovisuel allemand ProSiebenSat.1, jusqu’à franchir ces derniers jours le seuil des 20%.
En mai 2019, Mediaset annonce avoir acheté 9,6 % des actions du groupe allemand. « Les opérateurs de médias européens doivent unir leurs forces pour continuer à rivaliser ou même seulement résister en termes d’identité culturelle européenne à d’éventuelles attaques de géants mondiaux », déclare alors Pier Silvio Berlusconi, le directeur général de Mediaset[1] et fils de l’ancien président du conseil italien.
En novembre 2019, la participation de Mediaset atteint 15,1%.
Le groupe ne s’est pas arrêté là puisque le 23 mars 2020, Mediaset a acquis un nouveau bloc d’actions, lui permettant de détenir désormais 19,3% des actions de ProSiebenSat.1 et 20,1% des droits de vote associés.
Le 26 mars, le groupe allemand annonçait le « départ avec effet immédiat » de son directeur général Max Conze – il en avait pris la direction début 2018 après six années passées à la tête du groupe Dyzon), et son remplacement par le directeur financier Rainer Beaujean. Au-delà de l’objectif affiché – recentrer l’activité de ProSiebenSat.1 « sur le divertissement sur les territoires Allemagne, Autriche et Suisse », il n’est pas indifférent de rappeler que Max Conze s’était opposé à toute idée de fusion du groupe avec Mediaset : « Je crains que si vous passez votre temps à fusionner de grandes, mais aussi lourdes, entreprises, vous vous laissiez entraîner dans des années de restructurations qui ne construisent pas vraiment l’avenir », déclarait-il en novembre 2019, lors d’une conférence organisée par Morgan Stanley. « Il continue de plaider pour la coopération entre les acteurs de l’industrie plutôt que pour la consolidation », notait alors Reuters.
Depuis l’annonce du changement de directeur général, les dirigeants de ProSiebenSat.1 n’ont pas commenté les évolutions intervenues dans le capital du groupe. La prochaine prise de parole impérative est programmée le 7 mai, avec l’annonce des résultats financiers du 1er trimestre.
Cela laisse cinq semaines à Mediaset et ProSiebenSat.1 pour négocier les termes et modalités de leur rapprochement.
Mais deux autres acteurs européens pourraient s’inviter à cette discussion :
- le groupe tchèque Czech Media Invest (CMI, par ailleurs, en France, propriétaire de Marianne ainsi que de nombreux magazines rachetés à Lagardère et l’un des actionnaires clé du Monde), d’abord. Il a doublé ces dernières semaines sa participation dans ProSiebenSat.1 pour la porter au-delà de 10% ;
- Vivendi, de l’autre, engagé dans différents contentieux contre l’évolution de la gouvernance de Mediaset mais qui en reste le 2e actionnaire (29%), derrière la famille Berlusconi (40%).
Dans le cadre d’une grande alliance européenne, le premier pourrait apporter sa puissance de feu financière et son ancrage en Europe Centrale ; le second pourrait valoriser ses positions en France (le poids de ses chaînes gratuites et payantes, et surtout sa capacité à monter des productions internationales), mais aussi le rachat récent de M7, avec ses 3 millions d’abonnés.
S’agissant des autres acteurs français, plusieurs passerelles existent pour que TF1 y trouve sa place, via EBX, dans le domaine publicitaire (Mediaset et ProSiebenSat.1 en sont également parties prenantes), via l’EMA (European Media Alliance, à laquelle participent également Mediaset et ProSiebenSat.1), ou au travers des autres collaborations nouées au fil du temps avec le groupe allemand, autour de Studio 71 notamment.
Sur le papier, les pièces du grand Lego européen de l’audiovisuel paraissent prêtes à s’emboiter.
Restent à franchir deux étapes majeures :
- L’accord des actionnaires, s’agissant de structures dans lesquels l’actionnariat familial est souvent structurant,
- L’aval des autorités de la concurrence, qui ne se sont pas toujours montrées très accommodantes dans le passé.
En Allemagne, les deux principales chaînes du groupe ProSieben font face à la puissance des groupes publics ZDF et ARD, dont les chaînes trustent les trois premières places du classement pour le 4ème trimestre 2019, en termes de part d’audience ; Sat 1 et ProSieben, se placent respectivement en 5ème et 7ème positions. A noter que ProSieben affiche pour le T4 2019 un recul de 10%, par rapport au T4 2018 (4,2% de PdA en moyenne pour le T4 contre 4,7% pour le T4 2018).
En Italie, les 2 chaînes du groupe Mediaset se portent bien : pour le T4 2019, Canale 5 suit de très près RAI 1 et Italia 1 se place juste derrière Rai 3. A noter que la chaîne Italia 1, autre chaîne du groupe Mediaset est en nette progression (+15%).
Les chaînes privées espagnoles enregistrent les meilleures audiences de la saison, la première d’entre elles étant Telecinco appartenant au groupe Mediaset España, et s’offre même le luxe de progresser de 8% de PdA sur le T4 2019.
[1] https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/television-litalien-mediaset-sinvite-au-capital-de-lallemand-prosiebensat-1024983