Ce 27 novembre au matin, plus de 250 professionnels se pressaient sur les fauteuils, et jusque dans les travées, de la Maison de la Chimie, pour assister au 31e Colloque NPA, organisé par NPA Conseil, en partenariat avec 366, Publicis Médias, La Tribune et BFM Business.
Après l’intervention introductive de la ministre de la Culture Rachida Dati, c’est l’écart entre Monde Réel et Mondes Perçus qui a structuré le début de la matinée, mais qu’on a retrouvé au-delà dans l’ensemble des débats.
Résumant le diagnostic posé par le cabinet Georges sur l’état de l’opinion, le titre de la 7e édition de l’étude Françaises Français, réalisée pour la régie 366, en partenariat avec le SIG (Service d’Information au Gouvernement) pointe le rapport à l’information, et la tendance croissante à faire prévaloir sa propre perception par rapport aux hard facts. Un Français sur deux estime par exemple aujourd’hui que son jugement personnel est plus pertinent que les propos d’un scientifique, soulignent Dominique Lévy et Edouard Lecerf, co-Présidents de Georges.
Résoudre ce biais de perception suppose d’adapter la communication, en privilégiant le discours par la preuve (ce qui est tangible et perceptible), donc de se placer « sur le chemin du citoyen, au plus près de l’expérience qu’il vit », selon les mots du patron du SIG Michaël Nathan. Dépasser une approche binaire (pour ou contre) et multiplier les angles pour mettre en perspectives les enjeux dans leur diversité est aussi une façon de contribuer à réduire cette fracture, indique la directrice des rédactions de La Tribune Lucie Robequain. Privilégier la proximité comme le fait la PQR, dans le choix des sujets, dans les perspectives choisies et dans ceux qui les « portent » (auxquels les rédactions donnent la parole) permet au lecteur de réconcilier mondes réel et vérités perçues, en aidant le lecteur à se retrouver dans les traitements qui lui sont proposés, avance encore Bruno Ricard, Dga de 366.
Mais l’écart vaut aussi dans la perception des professionnels même. La ministre de la Culture avait indiqué en ouverture des débats son « intention de reprendre (dans un projet de loi) l’exhaustivité des recommandations des Etats Généraux de l’Information », et notamment d’introduire en vue de soutenir l’économie des médias privés « la notion de responsabilité démocratique qui vise à créer une transparence sur la part des budgets publicitaires alloués aux médias d’information » ? Le président de Publicis Media Gautier Picquet, s’il souscrit au principe, juge que l’urgence est plutôt à « sortir de la logique du millefeuille » et à opérer un « choc de simplification » parmi les 420 dispositions législatives ou réglementaires qui brident la publicité en France.
Réalités parallèles, encore, mais évoquées sur le mode de l’humour par Sibyle Veil à propos de France Inter : « si j’avais gagné un euro à chaque fois que l’antenne manquait au pluralisme, je serais millionnaire », s’amuse la Présidente de Radio France.
Vérités parallèles, toujours, s’agissant des apports possibles de l’intelligence artificielle mais aussi des dangers qu’elle recouvre. « Les moteurs d’IA poursuivent une démarche systématique de pillage de la création », dénonce la directrice générale de la SACEM Cécile Rap-Veber. « Les clauses d’opt-out que nous avons activées sur nos sites ne sont pas respectées », renchérit le directeur général du groupe La Dépêche Jean-Nicolas Baylet, tandis que le rédacteur en chef des quotidiens de l’est du groupe EBRA Sébastien Georges indique qu’une recherche lancée en fin de journée sur les moteurs d’IA « fait très exactement remonter les sujets que nos rédactions ont traités le même jour… sans d’ailleurs que ces moteurs aient toujours pris le soin de les actualiser, s’agissant par exemple de résultats sportifs ». Dans le même temps (pourtant ?), le directeur général de 366 Stéphane Delaporte détaille les trois champs dans lesquels la régie a déjà déployé l’IA (marketing et études, intégration dans l’écosystème digital des médias et production de contenus exploitables en brand content), et Sébastien Georges confirme qu’EBRA l’utilise depuis un an pour aider à mettre en forme les contributions de ses collaborateurs Locaux de Presse (CLP), et se dit persuadé que « les journalistes ne seront pas remplacés par l’IA mais seront remplacés demain par des journalistes qui utilisent l’IA ».
Le grand écart dans les perceptions des différents acteurs – et en tout cas dans les arguments qu’ils avancent – est au moins aussi grand concernant la TNT, et la nouvelle numérotation qu’arrêtera bientôt l’Arcom, de la référence biblique de Nicolas de Tavernost (RMC BFM), selon lequel « il n’y a que dans l’Evangile que les derniers sont les premiers », à l’emprunt de Fabrice Bakhouche (Ouest France) au film La vérité si je mens (« il faut donner sa chance au produit ») en passant par la mise en garde du futur patron de Réels TV Christopher Baldelli (« Les rentes de situation, c’est dangereux pour le développement »).
Mais c’est sur une double dynamique de réconciliation que s’est achevée la matinée.
Rapprochement indispensable entre activités de production et de distribution lors de la création de films ou de programmes audiovisuels, d’abord. « L’imbrication est de plus en plus forte, souligne le directeur général de Newen Studios Pierre Branco. Une bonne partie des programmes ne pourrait pas se financer sans l’intervention dès la phase de création des équipes en charge de la distribution, pour suggérer les aménagements artistiques qui permettent d’accroître le potentiel à l’international, et montrer les premiers rushs dès qu’ils sont disponibles dans les différents marchés comme le MIP ».
Rassemblement, aussi, des différents acteurs de la chaîne de valeur, dans la foulée de l’annonce de la création de LaFA (Filière audiovisuelle) le 13 novembre. Face aux bouleversements qu’il traverse, ce rassemblement doit permettre de défendre la valeur du secteur plutôt que de se diviser sur la façon dont on se la partage, fait valoir le PDG de TF1 Rodolphe Belmer. « Il faut qu’on agisse ensemble, parce qu’on n’a pas la même puissance de feu que les acteurs globaux », prolonge Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions. « Si l’on prend l’exemple du statut d’intermittent, ce rassemblement doit nous permettre de défendre une spécificité française que les autres nous envient et sur laquelle est bâtie une grande partie de notre système de financement de la création », illustre Iris Bucher, présidente de l’USPA et de Quad Drama. « S’agissant des plateformes, l’enjeu de la monétisation des contenus s’ajoute à celui de la monétisation », ajoute Cécile Rap-Veber, évoquant la « mainmise de YouTube sur le marché de la publicité digitale ». Mais « le fait d’être rassemblés au sein de la filière ne nous empêchera pas, au quotidien, de se faire concurrence », rassure Guillaume Charles, Directeur Général des programmes du groupe M6.
Renforcer la confiance ne peut pas se « décréter », avertissait le 27 novembre le président de l’Arcom Roch-Olivier Maistre, en conclusion des débats. Cela « se mérite, se construit et se consolide. Il faut rallumer le feu mais surtout entretenir la flamme ». A défaut de réconcilier en l’espace d’une matinée mondes perçus et mondes réels, cette matinée aura au moins fait ressortir quelques ingrédients pour y travailler !