L’histoire a parfois de savoureux raccourcis. C’est la banque d’affaire Messier & Associés qui intervient en tant que conseil auprès d’Orange dans la vente d’OCS à Canal+, et l’aide ainsi à tirer un trait sur ses tentations de convergence réseaux / contenus. Il y a vingt ans ou à peu près, l’alors président de Vivendi (maison-mère de Canal+) inventait ou au moins popularisait le concept même de convergence…
Au-delà de rappeler les espoirs déçus des opérateurs, les forces centripètes qui trouvent leur source dans le développement de l’OTT conduisent à s’interroger : après le rêve d’étreintes fécondes (la convergence), opérateurs de réseaux et détenteurs de droits sont presque tous revenus à une liaison plus distante (le modèle historique de la distribution / agrégation). La rupture totale du lien (le simple référencement dans les plans de service) représente-t-elle l’étape suivante ?
Le schéma d’intégration verticale était rationnel (optimisation des marges pour le distributeur), mais il avait négligé un élément essentiel : à la différence des biens de consommation courante, les services culturels ne sont pas substituables, et un abonné ne souhaite pas forcément regarder les chaînes que possède son opérateur. Il est frappant, a contrario, de constater que l’attelage Comcast / Universal, régulièrement cité comme LE cas de convergence réussie… se caractérise par la totale autonomie dans laquelle opèrent les deux entités.
Revenir au modèle historique de distribution, sur lequel les câblo-opérateurs américains, notamment, ont construit pendant des décennies une solide profitabilité ne suffit plus, au regard de deux transformations intervenues au cours de la dernière décennie :
- Alors que les marques des opérateurs ont longtemps été les plus puissantes dans l’esprit du public, au point que les chaînes pouvaient être vendues « au kilo » outre-Atlantique (les Top 100, Top 200, Top 300 channels, sans même les nommer), les streamers, Netflix le premier, ont renversé cette hiérarchie ;
- La montée progressive des débits a permis d’assurer, via l’Internet ouvert (en OTT), une qualité d’image et de son équivalente à celle qui prévalait sur les réseaux managés de l’opérateur.
L’écart s’est progressivement creusé : maintien du lien avec l’opérateur pour la connectivité, mais composition d’un bouquet sur mesure via des abonnements souscrits en D2C.
La marge générée par les activités de distribution de contenus s’en est trouvée réduite d’autant, et pire : compte tenu de la puissance qu’ils ont acquis, les services de streaming leaders sont devenus des must have qu’un opérateur se doit d’intégrer à son plan de services, sans – sauf exception – partager la « propriété » des abonnés, sans être substantiellement intéressé aux revenus qu’ils génèrent, sans que la navigation se fasse dans son interface (donc qu’il ait une chance de promouvoir ses autres offres et de générer du cross-selling), sans que le streamer renonce à commercialiser des services directement concurrents (par exemple les Amazon Channels)… mais avec une charge bien réelle et inégalement partagée sur l’infrastructure (sur le terrain du fair share, la Commission européenne et, notamment, Thierry Breton, est courageusement en train de renvoyer le dossier à l’équipe qui sera nommée à l’été 2023…).
De la colonne Revenus, la distribution des contenus glisse ainsi peu à peu vers celle des Charges. De façon irréversible ?
La multiplication des services, la complexité qu’elle crée dans l’esprit du consommateur et la difficulté de leurs éditeurs à les rentabiliser, ouvre sans doute pour les opérateurs une fenêtre d’opportunité pour se replacer dans le jeu. En améliorant l’expérience utilisateur (moteurs de recherche, outils de recommandation transverses…), en regroupant la gestion des différents abonnements et, potentiellement, en contribuant à en réduire le montant (on peut noter sur ce terrain les initiatives de l’américain Verizon ou de plusieurs opérateurs scandinaves).
Mais le temps presse. D’autant que les fabricants de téléviseurs – LG et plus encore Samsung en tête – se projettent volontiers comme nouveaux grands ordonnateurs de l’accès aux contenus gratuits (cf leur développement dans les chaînes FAST et l’AVoD) comme payants.