La poussière est à peine retombée, et déjà le secteur des télécoms compte les plaies des 3 mois de négociations infructueuses qui auraient dû permettre de ramener le secteur de quatre à trois opérateurs sur le marché français.
« Télécoms, plus de 10 milliards partis en fumée en bourse », titrait ce mardi 5 avril au matin Les Echos ; Pour Orange, Numéricable-SFR, Iliad et Bouygues, les pertes se sont poursuivies au cours de la journée avec, au final, une dégringolade de 20,1% pour SFR entre le 31 mars – leur échéance supposée – et le 5 avril au soir, de – 18,5% pour Bouygues et de -17,8% pour Iliad/Free. Orange trouvera au moins dans le verdict de la bourse la confirmation de l’analyse de Stéphane Richard selon laquelle il était celui qui avait le moins besoin d’un accord : sa perte se limite à 8,4% ; le CAC 40 sur la même période est à -3,1%.
Le marché a sa part d’épidermique, d’irrationnel et de sur-réaction, qui a – provisoirement – amputé de 10 Mds€ la valeur des telcos français, quand le cabinet Sia Télécom estimait par exemple à 2,7 Mds€ les synergies Orange / Bouygues Telecom.
Mais s’agissant des craintes de retour à la guerre des prix, l’une des principales justifications avancée à ces mouvements de retrait, on peut d’abord s’amuser – ou se désoler – de la versatilité de certains analystes qui font mine de s’en effrayer aujourd’hui après avoir mis en garde contre le risque inverse en cas de rapprochement…
Plusieurs éléments incitent au-delà à écarter ce scénario.
En 2003 sur le marché du fixe – avec le lancement de son forfait 3P à 30€ par mois – comme en 2012 dans le mobile, Free s’est appuyé sur un triple levier : des pouvoirs publics – exécutif comme régulateur – accommodants et l’accueil sur des infrastructures préexistantes, permettant d’opérer à marges réduites tout en jouant l’opinion contre les opérateurs historiques (on se souvient des « pigeons ») : du mécanisme du dégroupage au début de la décennie précédente, au « droit à l’itinérance » 4G décidé par l’ARCEP fin 2011, Free a pu ainsi organiser son déploiement commercial à l’échelle national, tout en limitant son investissement. A titre d’illustration, Iliad avait investi 968 M€ en 2014, soit 13,8% de l’investissement total du secteur (d’après l’ARCEP), alors qu’il revendiquait une part de marché de 15% dans le mobile et que cette dernière était supérieure à 22% dans le fixe à la même échéance.
La situation est sensiblement différente aujourd’hui : entre 2011 et 2015, le résultat opérationnel d’Orange a diminué de près de 3 Mds€, Bouygues Télécom est en pertes, Numéricable-SFR supporte le poids de la dette liée à son rachat et la rentabilité d’Iliad (résultat opérationnel courant / chiffre d’affaires) a baissé de 8 points.
Impossible pour autant de lever le pied sur les investissements. Dans le mobile, la 4G est loin encore d’être généralisée (à mi 2015, l’ARCEP créditait Orange d’un taux de couverture de 76% de la population, contre 72% pour Bouygues Télécom, 58% pour SFR et 52% pour Free) que déjà se profile la 5G ; s’agissant du fixe, la proportion des foyers éligibles à une connexion supérieure à 100 Mbps restait inférieure à un tiers au 31 décembre 2015 (9,4 millions contre 30,2 millions d’après l’ARCEP) alors même que les offres des opérateurs (le lancement de box 4K par exemple pour Orange, SFR et Free) comme l’augmentation exponentielle de la consommation de données convergent vers une demande de connectivité croissante.
Les maverick, enfin, ne pourront plus compter sur la bienveillance des pouvoirs publics : l’Autorité de la Concurrence, dès 2013, comme l’ARCEP ne semblent pas envisager une prolongation de l’itinérance 4G dont bénéficie Free au-delà de 2018, et les régulateurs affichent une vigilance accrue à l’implication effective des différents opérateurs dans le déploiement du très haut débit.
A défaut de se relancer dans la guerre des prix, c’est par la qualité des services qu’ils proposent que les telcos devront donc se différencier. Par les contenus sans doute, comme l’ont montré les initiatives de SFR fin 2015 (lancement de l’offre de SVoD Zive, achat des droits de la Première League anglaise…) ou les annonces plus récentes de Stéphane Richard lors du Show Hello (accord avec Canal+ et diffusion de 8 matches de l’Euro en UHD…). Mais aussi, coté Orange, en intégrant Internet des Objets et mobile banking pour créer un écosystème numérique complet.
Cette perspective de rassemblement de la French Tech, de la Fintech et de l’exception culturelle est plutôt réjouissante !