« Quand Renault tousse, la France s’enrhume ». La formule a longtemps fait le bonheur des éditorialistes économiques. Apple lance il y a quelques jours un avertissement sur résultat, c’est sans doute plus qu’un accès de fièvre, pourrait-on prolonger aujourd’hui.
En lançant l’iPod et en réunissant dans iTunes les catalogues des principaux labels, Apple a accéléré l’accélération de la musique vers l’environnement digital ; en inventant l’iPhone, il a permis à chacun d’avoir toujours et partout un terminal multimédia à portée de la main ; en imaginant l’iPad, il a offert un substitut presqu’idéal au second téléviseur du foyer. Mais depuis ? L’Apple Watch ou l’Apple TV restent cantonnées aux rôles secondaires, quelles que soient leurs performances technologiques et leurs qualités d’ergonomie.
Et à défaut de nouvelle rupture, le groupe a joué pour ses terminaux « cœur de métier » sur le « toujours plus » (de centimètres pour la taille des écrans, de millions de pixels pour la caméra embarquée…) pour justifier l’augmentation continue de ses prix. Jusqu’à provoquer la lassitude des consommateurs, à faciliter la montée en puissance des industriels chinois (Huawei, Xiami…) au positionnement plus raisonnable, et à se faire damer le pion par Amazon et Google sur l’innovation – logicielle celle-là – de laquelle pourrait venir la prochaine disruption : la reconnaissance vocale. Quand Amazon et Google représentent à eux deux près de 55% des smart speakers installés dans le monde, et que les chinois Alibaba, Baidu et Xiami en totalisent un quart, la part de marché d’Apple ne dépasse pas les 5%, d’après le cabinet Strategy Analytics. Et l’écart est plus impressionnant encore si l’on raisonne en termes de technologie embarquée sur les appareils de fabricants partenaires. A la veille du CES, Amazon a annoncé avoir franchi le cap des 100 millions d’équipements intégrant Alexa, LG a confirmé une double option Amazon / Google, Deutsche Telekom, Free, Orange, Telefonica ou encore Vodafone ont signé avec le premier…
Pour Apple, la volonté affichée de trouver dans les services un relai de croissance devra surmonter quelques sérieux écueils. Le risque, de racornissement de la « rente » Appstore, d’abord : les mauvaises nouvelles n’arrivant jamais seules, Netflix a indiqué ces derniers jours qu’il n’autoriserait plus les achats « in-app », autrement dit la possibilité de s’abonner via Apple, s’alignant ainsi sur Spotify et Epic Games (l’éditeur du jeu vidéo Fortnite). Economiser la commission de 30% (puis 15% au bout d’un an) conservée par le groupe de Tim Cook représente une motivation évidente. Mais la décision de Reed Hastings pourrait trouver sa source au-delà : de même que Spotify subit la concurrence d’Apple Music, et ne souhaite certainement pas contribuer indirectement à son financement, Netflix pourrait rapidement se trouver en compétition avec la plateforme vidéo d’Apple dont le lancement est attendu courant 2019. Et la même logique pourrait valoir à chaque fois que le groupe se lancera sur une nouvelle thématique.
Le développement de ces nouveaux services pourrait creuser une autre contradiction. Ayant privilégié pour ses terminaux une logique de haut rendement par unité vendue, plutôt que de volume, son parc de clients s’en trouve naturellement limité (l’iPhone pesait pour moins de 15% des smartphones écoulés dans le monde en 2017 d’après Gartner), et Apple se trouve conduit à se tourner vers les autres environnements : déjà proposé dans Google Play, Apple Music est maintenant disponible sur les smart speakers Amazon, et iTunes s’apprête à intégrer les TV connectées Samsung.
Au risque de fragiliser ses positions en conquête (plus besoin d’acheter du matériel Apple pour bénéficier des services du groupe) comme en rétention (une plus grande facilité à « quitter » iOS pour un autre environnement).