Certains mythes ont la vie dure. Le « clair », symbole de « l’esprit Canal », « vitrine » de la chaîne et à ce titre vecteur d’abonnements pour cette dernière en fait partie. Il aura suffi que Vincent Bolloré évoque dans Les Echos la possibilité de « réduire les tranches en clair » pour que rebondisse la polémique ouverte depuis l’annonce du transfert de Yann Barthès vers TF1 et qu’il se voit propulsé sur Twitter parmi les Trending Topics de ce mardi.
Le patron de Vivendi a beau jeu de relever que de HBO à Sky, « il n’y a pas une seule chaîne payante au monde qui ait des tranches en clair ». De même pourrait-il rappeler que ces dernières étaient singulièrement plus limitées en 1984, au lancement de Canal+, et que François Mitterrand en a autorisé l’allongement fin 1985… en même temps qu’il l’autorisait à accéder à la publicité dans une période de forte expansion du marché permettant d’en financer le coût.
La donne a singulièrement évolué.
Coté audience, la fragmentation est passée par là et les performances du 19/21h sont en forte baisse sur l’ensemble des cibles clé depuis 2012 : ensemble du public (-47%), « Ménagères de moins de 50 ans » (population privilégiée des annonceurs, -37%) et CSP+ (cible naturelle d’une offre premium, -43%).
Dans le même temps, la multiplication des talkshows de début de soirée (C à vous, TPMP…) a retiré au Grand Journal son caractère évènementiel, et le programme est devenu une cible pour la presse spécialisée et les réseaux sociaux. « Maïtena Biraben mouchée par un invité », « Cyrille Eldin reçoit un accueil glacial » de Dominique Besnehard, « Les doutes de Maïtena Birabel sur la suite du Grand Journal »… Tels sont ce mercredi matin les premiers articles proposés par Google News à propos du Grand Journal. En sens inverse, l’espace mobilisé par ce buzz hostile parasite la communication positive que peut impulser la chaîne (tout juste une « brève », par exemple, ce mercredi toujours, sur le programme de fidélisation Canal Premier Rang lancé au début du printemps…).
Canal+ n’est pas démuni pour autant.
– Il peut d’abord redimensionner le clair autour des magazines les plus représentatifs de sa promesse et qui en constituent donc aujourd’hui la véritable vitrine. Le CFC en est probablement la meilleure illustration : depuis la saison 2009/2010, sa part d’audience s’est renforcée sur les cibles clé : de 5,3% à 5,5% sur l’ensemble du public, de 3,7% à 5% sur les Ménagères et de 6,9% à 8,6% sur les CSP+. Et son offre – mise en scène du feuilleton ligue 1 – constitue une promotion parfaite pour un abonnement donnant accès aux matches dans leur intégralité.
– Il peut ensuite s’appuyer sur ses chaînes gratuites (iTélé et, depuis 2012, D8 et D17) pour les utiliser comme vecteurs de promotion.
– Il peut enfin, et sans doute surtout, répéter les opérations de « prise en main » du « produit Canal+ » dans son intégralité, à l’exemple de celles conduites fin 2015 et renouvelée plus récemment autour de l’appli MyCanal. Magie du numérique aidant, offrir l’accès à la chaîne et à ses services associés est devenu simple comme un coup de fil, ou presque : plus de prêt de décodeurs ou encore moins de pose de parabole, mais un simple jeu de crédit d’accès à coût à peu près nul. Et découvrir Baron Noir, Le bureau des légendes ou « l’Affiche » du dimanche soir est certainement un meilleur vecteur de conquête que les situations fabriquées quotidiennement par Cyrille Eldin à l’encontre des responsables politiques.
Une convention ambiguë
Reste la question de la faisabilité juridique d’une réduction drastique du clair.
La convention qui lie Canal+ au CSA n’est pas sans ambiguïté : l’article 23 indique que « le programme comprend des plages en clair réparties entre le matin, la mi-journée et l’avant soirée » (et pas « peut comprendre »), mais aussi que « le service réserve au moins 75% de sa durée quotidienne de diffusion » (sans limite haute) à des programmes cryptés.
Reste au moins un certitude : on imagine mal par ailleurs les concurrents de Canal+ protester contre une évolution qui aboutirait à « rendre » aux chaînes gratuites 4 à 7 points de part d’audience (en fonction des cibles) entre 19 et 21 heures … et plus de 130 M€ de publicité à se partager.
Le 31 mai, le Président du Directoire de Vivendi Arnaud de Puyfontaine sera l’un des intervenants de la 23e Journée NPA / Le Figaro, de même que le Président de SFR Michel Combes, le Pdg de TF1 Gilles Pélisson, le directeur général de Bpifrance Nicolas Dufourcq, la Directrice exécutive Innovation, Marketing et Technologies du groupe Orange Mari-Noëlle Jégo-Laveissière, le Président France et EMEA du groupe Dentsu Aegis Network Thierry Jadot ou encore le Président de l’INA Laurent Vallet. Tout près de la date fixée par Vincent Bolloré pour arrêter ses arbitrages sur l’évolution du clair de Canal+…
Philippe Bailly
NPA Conseil
Twitter : @pbailly