L'édito de Philippe Bailly

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Pourquoi la Ligue 1 restera sur Canal+ jusqu’en 2029

« Le football est un sport qui se joue à onze contre onze, et à la fin, c’est l’Allemagne qui gagne » ; Thomas Müller et Leroy Sané s’en sont assurés ce 12 septembre aux dépens de l’équipe de France. Quelques heures plus tôt, à Paris, les dirigeants de la LFP avaient lancé les enchères pour la diffusion de la Ligue 1 jusqu’en 2029. Et on est tenté de reprendre la formule, en y substituant Allemagne par Canal+, tant on imagine mal que le championnat disparaisse des écrans de la chaîne cryptée. Ou en tout cas de l’interface myCanal.

Dans l’hypothèse, d’abord, où Canal+ déciderait de jouer à plein le jeu des enchères, la conquête du lot 1 apparait comme sa cible naturelle, avec en perspective le retour à l’antenne du combo historique du dimanche soir, Canal Football Club / meilleure affiche de la journée. La valeur de ce lot (qui comporte aussi les choix 2 et 4) a été fixée à 530 M€ par saison… c’est-à-dire, à 10 M€ près, le prix que payait Canal+ pendant le cycle 2016 et 2020 (540 M€, pour les choix 1, 2 et 3).

Plus qu’à une coïncidence, on pense bien sûr à un clin d’œil appuyé de la Ligue, qui laisse même la porte ouverte à un tour d’enchère ascendante (les paliers ont été fixés à 10 M€) sans que Canal+ ait à débourser davantage qu’il y a sept ans. Au-delà des tensions qui ont pu survenir depuis, la question sera, pour Vivendi et sa filiale, celle des montants totaux investis depuis pour développer une offre alternative au championnat national (Formule 1, Moto Racing, Rugby, coupes européennes de football…), et de la capacité à intégrer dans l’équation 200 M€ supplémentaires par rapport à ce que Canal+ paie actuellement (340 M€).

Au vu des candidatures acquises ou probables, on peine à ce stade à identifier l’enchérisseur qui viendrait sérieusement disputer le lot premium à Canal+. Le risque de voir les enchères s’envoler semble donc limité.

Concernant Amazon, miser sur le Lot 1 reviendrait à plus que doubler la mise, par rapport au « prix d’ami » dont il bénéficie actuellement (250 M€ par an), pour un volume de rencontres limité compliquant le maintien du Pass Ligue 1, et en traitant alors les plus de 500 M€ dépensés par saison comme un pur investissement marketing pour Amazon Prime. A titre de comparaison, quand même, le « cadeau » équivaudrait à une petite moitié de ce que le groupe dépense pour diffuser en exclusivité le Thursday Night de la NFL vers l’ensemble du marché nord-américain. Ce scénario ne parait donc pas des plus plausibles.

Fraichement arrivé dans le marché français, DAZN sera-t-il le Mediapro mieux financé de 2023 ? Dans une interview à L’Equipe, son PDG confirmait que « DAZN participerait à l’appel d’offres, (qu’il voulait être) un diffuseur important de la L1 », et qu’il serait également candidat pour l’attribution des droits de diffusions du championnat à l’international. Mais s’agissant spécifiquement du Lot 1, investir plus de 500 M€ par an dans un marché où il est tout juste arrivé et ne dispose encore d’aucune base d’abonnés, alors que Mediapro s’est trouvé en son temps incapable de faire couvrir son risque par des engagements de minimum garantis venant des distributeurs, cadre mal avec l’objectif de rentabilité de DAZN en 2024 fixé par son dirigeant. Pour mémoire, la plateforme a accumulé plus de 6 Mds€ de déficit depuis son lancement en 2016.

On imagine donc davantage le « Netflix du sport », comme il aime à se présenter se diriger vers le lot 2, et il ne semble pas certain qu’Amazon vienne le lui disputer. Pour le e-commerçant, cela reviendrait à dépenser autant qu’aujourd’hui (270 M€ vs 250 M€), pour cinq matches par journée au-lieu de huit, et avec des affiches moins attractives (pas mieux que le choix 3 en direct). Difficile dans ces conditions d’espérer rentabiliser le Pass Ligue 1, alors que NPA a évalué à 130 M€ par saison, au moins, les pertes directes générées par ce dernier.

Comme à chaque appel d’offres, analystes et bookmakers soupèsent les probabilités que d’autres candidats viennent troubler le jeu. Le passé a montré qu’il ne faut jamais sous-estimer la capacité de la Ligue à susciter des vocations inattendues. Il n’empêche…

La procédure qui se déroule depuis le mois de juin pour l’attribution des droits du championnat italien donne à penser. Le « champion national » Mediaset a été le seul à se joindre à DAZN et Sky, qui se les partagent dans le cycle finissant. Les montants mis sur la table n’ont pas permis d’atteindre le prix de réserve fixé par la Ligue italienne, et les négociations de gré à gré n’ont toujours pas abouti…

Dans un moment où la rentabilisation des investissements réalisés ces dernières années dans le streaming apparait comme LA priorité partagée, on n’imagine aucun des acteurs dont les noms reviennent dans les analyses (Disney, Netflix, Apple…) mettre en danger leurs trajectoires et s’attirer les foudres de la bourse en se lançant dans l’aventure du football français.

Donc finalement, Canal+ pour le Lot 1 et DAZN ou Amazon pour le lot 2 ?

Un point semble à peu près acquis, en tout cas : que ce soit en direct, sur Canal+, ou via les chaînes et services que sa stratégie de super agrégateur l’a conduit à progressivement fédérer : d’Apple à Netflix en passant par beIN SPORT, Disney et, depuis le mois d’août DAZN, tous ceux qui sont considérés comme de possibles enchérisseurs figurent dans les offres de Canal+.