En 2018, une étude réalisée par Kantar estimait qu’une campagne TV était réellement efficace quand un consommateur y est exposé plus de dix fois. Mais la règle vaut-elle encore vraiment quand le total atteint… quarante-quatre fois en moins d’une demi-journée, comme cela a été le cas pour NPA ce jeudi 9 avril, sur Prime Video, avec un spot destiné à faire la promotion d’une chaise de jardin commercialisée par les hypermarchés E. Leclerc (Lire dans l’Insight NPA : Publicité dans Prime Vidéo : vingt marques au moins… et jusqu’à 44 répétitions du même spot).
L’absence de capping avait déjà été noté lors de l’arrivée de la publicité sur Netflix en novembre 2022 (Lire sur la plateforme Insight NPA : Netflix avec publicité : écrans sans générique ; spots non skippables ; ciblage inexistant). Elle avait été mise sur le compte d’une erreur de jeunesse d’une offre montée dans des délais records, par un acteur n’ayant pas d’expérience dans la monétisation de son audience. Elle était moins prévisible de la part d’Amazon, dont le chiffre d’affaires tiré de la publicité – 47 Mds$ en 2023 – semble gage d’un savoir-faire éprouvé. Et dont on pouvait attendre, à l’inverse, que la mise à profit des données tirées de son activité de e-commerçant garantisse un ciblage optimal (le compte maintes fois exposé à la publicité pour la chaise de jardin Leclerc est domicilié dans un immeuble, et en milieu urbain).
Au-delà de son aspect anecdotique, l’expérience vécue aux premières heures de l’arrivée de la publicité dans Prime Video est révélatrice du décalage qui reste aujourd’hui celui de la CTV : sophistication des promesses de performance associées à la data, d’une part, limitation de la mesure et difficultés à optimiser effectivement les plans médias, de l’autre.
S’agissant de la qualification de la cible, d’abord, les informations qui doivent permettre aux streamers d’en préciser le profil, quand ils dépassent les simples nom, prénom et numéro de carte bancaire, sont en général purement déclaratives. Elles ne renseignent que de manière floue (la création de profils d’utilisateurs) sur la composition du foyer, et pas du tout sur le coviewing (donc ni sur le nombre total d’individus effectivement exposés à une publicité diffusée en CTV ni sur les interactions – susceptibles de peser sur l’intention d’achat – que celle-ci peut entrainer).
S’agissant de l’optimisation du double curseur couverture / répétition, les limites constatées à propos de Prime Vidéo pourraient être relevées à l’identique sur de nombreuses autres plateformes de streaming. Dans un univers de fragmentation des offres, la disparition annoncée des cookies augmentera, au-delà, la difficulté à suivre le contact sur les différents sites qu’il fréquente pour dégager une vision globale de sa consommation, et des campagnes auxquelles il a été exposé. Et la multiplication des écrans (près de 6 par foyer d’après l’Arcom) ajoute une dimension supplémentaire, dans la mesure où la gestion cross devices est encore loin d’être la règle générale.
Face à ces difficultés, les acteurs de la CTV peuvent opposer l’incontestable dynamique des usages. Ne pas en tenir compte conduirait à laisser grandir un angle mort au sein duquel serait dissimulé une part croissante de la population vers laquelle les marques ne sauraient plus communiquer. Tout miser, à l’inverse, sur un panel de taille suffisante pour assurer à la mesure des temps numériques le niveau de précision qui a été, historiquement, celui de la télévision, apparait irréaliste, au regard de la multiplication des points de contacts (les écrans), des services auxquels ils permettent d’accéder, et finalement du nombre de panélistes qu’il faudrait embarquer.
De la même façon que l’économie des streamers s’est hybridée avec l’apparition des forfaits mêlant abonnements et publicité, l’heure est donc à bâtir un socle de mesure combinant panel et analyse des logs de connexion aux plateformes… que les données complémentaires – issues des cookies first party notamment permettront d’enrichir. Mais sans doute est-il prudent d’avoir achevé ce socle avant de trop compter sur les enluminures. Ça tombe bien. 2025, c’est déjà presque demain ! Il n’y en a que pour quelques mois…