Abondance et rareté, c’est le paradoxe que va vivre la production audiovisuelle et cinématographique dans les prochaines années.
Abondance de financement avec la multiplication et la surenchère des plateformes comme Disney+, Netflix, Discovery, HBO Max pour produire toujours plus de contenus originaux et séduire puis retenir des abonnés volatiles et sensibles à la nouveauté. Les milliards d’investissements en production annoncés se traduiront en centaines de films et en milliers d’heures de séries dans le monde. Dès 2021 Netflix a prévu de lancer 107 nouveaux programmes en Europe dont 15 en France.
NPA Conseil, dans une nouvelle prévision à horizon 2025, estime entre 700 et 800 M€ la nouvelle manne apportée en France par les décrets production refondus, avec les obligations de contribution des SMAD. Et à 1,6 milliard d’euros le maintien de celles des acteurs historiques en cumulant 1,35 milliard dans l’audiovisuel et 250 millions dans le cinéma. Soit un bond par rapport à la moyenne des 10 dernières années.
Rareté des talents Mais pour produire plus, encore faut-il avoir les talents pour écrire, diriger, interpréter ces nouvelles histoires et les capacités logistiques et industrielles nécessaires. La compétition qualifiée désormais de « frontale » avec les plateformes par Ara Aprikian, dga contenus du groupe TF1, ne porte pas seulement sur l’audience et les recettes publicitaires. La course aux meilleurs programmes est une course aux talents. Netflix l’anticipe depuis plusieurs années en multipliant les partenariats avec des écoles de cinéma et d’audiovisuel, en remettant des bourses, pour faire émerger et encourager de nouveaux scénaristes, showrunners… Et en créant ses propres capacités de production près de Londres ou Madrid.
Les diffuseurs français savent toutefois fidéliser des scénaristes sur leurs fictions à succès. Par exemple pour TF1, Alice Chegaray-Breugnot et Nicolas Jean, créateurs d’HPI, avaient déjà collaboré pour la série La Mante. Mais les chaînes font peu appel à de jeunes talents. Et le risque pour elles, dès qu’un créateur émerge sur leur antenne, est de le voir aspirer par une plateforme. De Fanny Herrero (Dix pour Cent) à Marie Roussin (Les Bracelets rouges) en passant par Olivier Dujols (Le Bureau des légendes), tous ont fait une série pour une plateforme SVoD. Sans être forcément sous contrat exclusif, ils ne sont alors plus disponibles pour les projets de diffuseurs français. Lesquels peinent à renouveler les visages de leurs programmes de flux, pourtant encore moins en concurrence avec les plateformes que les fictions.
L’exemple anglais de l’instauration du Tax Relief sur la production premium, relevé par NPA il y a un an (Lire Royaume Uni paradis artificiel du développement de la production) a déjà donné des signaux d’alerte des conséquences possibles de cette abondance de financement : inflation des coûts, nouvelles productions monopolisées par les plateformes et éviction des chaînes. La guerre des talents, déjà engagée, en est un autre effet.