L'édito de Philippe Bailly

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Production : faut-il se réjouir de la blitzkrieg annoncée de Rachida Dati

Le débat est moins spectaculaire que celui qui entoure l’avenir de l’audiovisuel public. Touchant à un décret et pas à une loi, donc sans la chambre d’écho du Parlement ; plus technique… voire abscons (la clause de diversité des investissements dans la production audiovisuelle des services de médias audiovisuels à la demande, à l’article 18 du décret n° 2021-793 du 22 juin 2021 relatif aux services de médias audiovisuels à la demande) ; et plus feutré, à ce stade au moins, puisque quelques lignes d’une tribune signée par la ministre de la Culture et publiée par le Film français en constituent la seule trace officielle.

Rachida Dati y annonce avoir « demandé un aménagement du décret SMAD (…) qui sera notifié à la Commission européenne dans les trois prochaines semaines ». Dans un contexte de crise aigüe de la production d’animation française, marqué par le dépôt de bilan, la cession, voire la liquidation de fleurons de la filière (TeamTo, Cyber Groupe Studios, Mikros, Technicolor Animation…), la ministre souhaite soutenir l’activité, en aidant au lancement de nouvelles productions et, pour cela, en fléchant vers le financement de productions inédites une partie de l’enveloppe que les plateformes de SVoD doivent investir dans la création en vertu du décret de juin 2021.

Sans esprit de polémique, on peut noter que la blitzkrieg annoncée sur la modification du décret SMAD aurait sans doute gagné à une mobilisation plus précoce, puisque les clignotants sont passés à l’orange depuis une bonne année déjà.   

On peut s’interroger au-delà sur la voie qui a été choisie. Au-delà du volontarisme affiché, la procédure de modification du décret conduit à raisonner en trimestres plutôt qu’en semaines, de la consultation juridiquement exigée des professionnels, à la notification à la Commission européenne comportant un délai incompressible d’au moins trois mois, en passant par l’avis du Conseil d’Etat.

Une voie alternative consisterait pour la ministre à encourager plateformes et associations professionnelles à rouvrir les accords qui ont été signés pour mieux flécher vers les nouvelles productions les investissements que toutes – Apple TV+, Disney+, Netflix, Prime Vidéo – se sont engagées à réaliser dans l’animation, en lien avec les présidents de l’Arcom et du CNC. Nul doute que les pouvoirs publics seraient entendus dans leurs encouragements, laissant les professionnels décider des modalités les plus appropriées. Avec la flexibilité et l’évolutivité d’une solution négociée, par rapport au caractère – presque – figé d’un pourcentage gravé dans le marbre, ou en tout cas dans le droit positif.

Cette solution aurait évité, aussi, les phénomènes de propagation.

Le premier est d’ores et déjà à l’œuvre. D’un objectif de soutien à l’animation, le sujet s’est étendu au renforcement de la « diversité » dans la répartition de la contribution des éditeurs à la production audiovisuelle. Autrement dit dans la part de financement dévolue à l’animation, mais aussi au documentaire et au spectacle vivant. Avec une formulation de l’objectif aussi simple que brutale : un « sous quota » de 20% (une part de 20% des investissements dans la production audiovisuelle) que les plateformes de SVoD seraient ou seront tenues d’allouer à ces trois genres.

Le deuxième risque de propagation n’est encore que potentiel. Les plateformes de streaming – via le décret SMAD – ont été les seules visées par la ministre dans sa tribune au Film français. Mais gageons que le gouvernement sera engagé à étendre la logique du « sous quota » aux chaînes de télévision. Un argument juridique puisé dans la directive SMA pourrait même être utilisé à l’appui (la réciprocité et la proportionnalité à respecter pour qu’un pays membre puisse soumettre à contribution des éditeurs installés juridiquement dans d’autres Etats de l’Union… comme l’ensemble des grandes plateformes de SVoD).

Le projet, s’il prospère, confirmera – tristement – la tendance, en France, à préférer le « droit dur » (lois et décrets) par rapport au droit souple, de la négociation et de la régulation.

Il sera à souhaiter que les financements administrativement fléchés vers l’animation, le documentaire et le spectacle vivant, ne viennent pas mettre en difficulté demain les producteurs de fiction, et qu’au final, on n’ait pas bouché des trous en en creusant ailleurs à la façon du sapeur Camember.

Si l’on garde en tête, finalement, que les programmes sont financés pour être agencés dans des offres (chaînes, plateformes), portés vers le public et finalement appréciés de ce dernier, on regrette, en euphémisant, que l’intérêt de ce dernier paraisse parfois un peu secondaire.