Dans une publication professionnelle réputée, on pouvait lire ce mardi 3 décembre au matin que « TF1 accuse la plus forte baisse », mais aussi que « TF1 [est] plus fort ». Le sérieux de la rédaction n’est pas en question, mais les deux informations – présentées immédiatement à la suite dans le « chemin de fer » – illustrent la difficulté croissante à traiter des audiences des différents médias, à les comparer et, plus encore à leur donner un sens opérationnel.
Le sujet peut sembler basique : la baisse évoque les résultats de la semaine précédente (25 novembre au 1er décembre) ; la hausse rend compte des évolutions pour l’ensemble du mois de novembre. Mais il ne se résume pas à un simple problème de focale temporelle…
Dans un cas comme dans l’autre, se pose la question du passage des audiences « live » en linéaire aux résultats consolidés à J+7 qui intègrent les visionnages réalisés en rattrapage au cours de la semaine qui a suivi la diffusion.
L’écart est loin d’être marginal, s’agissant des cibles les plus stratégiques et des chaînes qui ont le plus investi sur la BVoD particulièrement : plus de 12 % pour TF1, plus de 7 % pour M6 et près de 5 % pour France 2 en moyenne, par exemple, s’agissant du public des FRDA 15-49.
Et les chiffres s’envolent concernant les programmes phares diffusés en prime time : alors que sur TF1 la dernière saison de Koh Lanta (La tribu maudite), a rassemblé 4,3 millions de téléspectateurs en moyenne, le rattrapage a compté pour plus de 30 % sur certains épisodes. Les scores sont proches pour Cat’s eyes : jusqu’à 1,6 millions de téléspectateurs supplémentaires et 28 % de l’audience de la série. Plus haut encore, « la moitié de l’audience totale de Pékin Express se fait en délinéaire », indique M6, tandis que les pourcentagessont sur la même chaîne de 26 % pour L’amour est dans le pré ou de 27 % pour La France a un incroyable talent…
A de tels niveaux, l’appréciation sur la performance d’un programme (comme sa part d’audience) peut changer du tout au tout, selon que l’on prend en compte l’audience en linéaire ou son résultat au bout d’une semaine. Mais les résultats consolidés ne sont guère, voire pas, commentés. Et c’est toujours « l’audience veille » qui nourrit les commentaires quotidiens des blogs et publications spécialisées.
Il suffirait pourtant d’un « consensus de place » pour remettre l’église au milieu du village : que les chaînes ou leurs régies s’accordent à décaler de sept jours les tweets qui pleuvent entre 9 et 10 heures, et que Médiamétrie concentre de la même façon sa communication sur les audiences à J+7. Gageons qu’on ne verrait pas les Champs-Elysées envahis de manifestants pour réclamer le retour aux audiences du lendemain !
L’autre évolution est plus lourde, qui consiste à faire converger les mesures des broadcasters historiques et celles utilisées par les acteurs de la vidéo digitale. S’en remettre à un tiers de confiance plutôt qu’à l’automesure, et surtout compter la même chose : le nombre de téléspectateurs présents en moyenne pendant l’ensemble du programme, et en le regardant sur l’ensemble d’un écran de téléviseur, plutôt que ceux qui n’y ont consacré que quelques secondes sur un smartphone, avec l’œil également attiré par quelques pop-up ou bandeaux concurrents, pour prendre les deux extrêmes.
Bien plus que de « prestige » ou de sujet de communication corporate, l’enjeu est économique, au travers de l’audience effectivement réalisée par les campagnes des marques, la rentabilité de leur investissements et l’impact sur le chiffre d’affaires et, plus largement, la bonne santé des annonceurs.
On ne peut donc que se réjouir de la confirmation par le PDG de Médiamétrie Yannick Carriou que les poids lourds du streaming (Netflix, YouTube et Prime Video) seront tous trois membres du comité cross média qui doit finaliser la « mesure hybride » qui englobera bientôt TV et streaming.
Un coup de pouce législatif pourrait conforter cette dynamique. Dans sa rédaction adoptée par le Sénat, au mois de juin 2023, l’article 12 bis de la proposition de loi Lafon prévoit l’obligation pour les chaînes et plateformes de « recourir à des mesures d’audience réalisées par un ou des tiers qui (…) assurent une concertation large des différents utilisateurs pour les élaborer ou les faire évoluer (…) assurent une transparence sur les méthodes employées et les soumettent régulièrement à des audits d’experts indépendants ».
Cette consécration législative aurait pu intervenir dès le 17 décembre, avec la discussion du texte en séance publique par l’Assemblée nationale. La démission du gouvernement Barnier, consécutif au vote de censure intervenu ce mercredi, décale cette perspective.
Gouvernement et parlementaires pourraient profiter de ce délai pour approfondir les évolutions possibles du cadre législatif applicable à la publicité, rechercher les voies d’une concurrence plus équitable entre éditeurs locaux et acteurs globaux, et garantir aux annonceurs davantage de transparence sur le coût réel de leurs dépenses de publicité. « Il faudra à un moment ou à un autre une étude de la loi Sapin 1 qui a tendance, sans l’avoir voulu évidemment, à privilégier aujourd’hui l’investissement publicitaire sur les plateformes plutôt que dans les médias d’information », notait précisément ce mercredi Bruno Patino, auditionné par la Commission Culture du Sénat au titre de ses responsabilités de Président des Etats Généraux de l’Information.