Ce n’était sans doute pas leur objectif premier mais, à leur façon, Rodolphe Belmer et Greg Peters ont offert à Rachida Dati une belle toile de fond pour justifier son projet de rapprochement de l’audiovisuel public. Confirmation, à voir l’accord annoncé le 18 juin entre TF1 et Netflix, que l’union des forces est plus que jamais de mise dans l’univers numérique, quitte à former des alliances encore impensables il y a peu. Et validation, a fortiori, de la capacité à rassembler ceux qui sont déjà cousins germains ?
La logique semble imparable, et le « rationnel » en est connu : optimisation de la ressource (mutualisation de l’infrastructure numérique, du parc immobilier, des fonctions support…) pour laisser le maximum de moyens au cœur de métier (travail des rédactions, des équipes de production, des plateformes de distribution) ; meilleure force de frappe marketing et garantie de visibilité, donc plus forte présence à l’esprit… dans la préservation des identités de chaque marque éditoriale.
Le rapport Bloch, avec sa métaphore des colocataires partageant un loft, s’est chargé d’illustrer cette approche.
Mais comme dans tout projet de transformation d’ampleur, la qualité d’exécution devra rapidement prendre le relai de l’impulsion initiale. Et de ce point de vue, quelques réflexions peuvent aider peut-être à négocier le meilleur cap.
S’agissant par exemple du périmètre du futur France Médias, plusieurs députés – y compris les corapporteurs Virginie Duby-Muller (LR) et Jérémie Patrier-Leitus (Horizons) – ont plaidé pour que France Médias Monde y soit maintenu plutôt que de se limiter à France Télévisions, Radio France et l’INA. Et de la remarque de simple bon sens sur les synergies possibles en termes de bureaux ou correspondants à l’international, à l’observation des schémas suivis dans les autres grands pays européens, on peine à comprendre pourquoi France 24, RFI et RMC Moyen Orient pourraient au final rester à l’écart.
Le deuxième point d’attention tient au principe « une plateforme / une filiale » défendu par Laurence Bloch, et qui prévoit le regroupement dans deux structures dédiées, des équipes travaillant sous l’étendard de la proximité ICI (ex France Bleu et ex France 3 Régions) d’une part, et de celles travaillant sur l’information en continu (France Info radio, France Info TV et les équipes digitales) de l’autre. Avec un formalisme juridique lié au droit des sociétés comme aux aspects RH, le danger d’une plus grande rigidité, et le risque finalement d’une plus grande difficulté à activer les moindres collaborations. Ce résultat serait d’autant plus paradoxal que Laurence Bloch cite par exemple l’appui insuffisant des rédactions de France 2 et France 3 à France Info TV comme l’une des raisons de sa difficulté à se développer.
En trois touches pointillistes, le troisième aspect renvoie à l’équation économique globale du secteur. La première a trait au financement de l’audiovisuel public. La Commission des Affaires culturelles a adopté – contre l’avis du gouvernement et de ses corapporteurs – une disposition de plafonnement, en durée, de la publicité sur les antennes et plateformes de l’audiovisuel public, sans que la « sanctuarisation » de son financement public puisse par ailleurs aller au-delà du mécanisme de fléchage vers la fraction de TVA, à cause du principe d’annualité budgétaire ; le deuxième point concerne l’autorisation de la 3e coupure publicitaire (dans les films ou œuvres de plus de deux heures), régulièrement évoquée depuis 2019 et tout aussi régulièrement renvoyée à plus tard. En l’espèce le projet de loi « post EGI » dont le dépôt en Conseil des ministres est promis pour la fin juillet. La troisième touche, c’est le député de Paris (PS) Emmanuel Grégoire qui l’a apportée lors des débats de la Commission des Affaires culturelles, en constatant qu’on encadre d’une part l’accès de l’audiovisuel public au marché publicitaire, qu’on ne facilite pas l’accès des acteurs privés à cette ressource (en autorisant la 3e coupure mais, bien plus, en s’attaquant aux asymétries réglementaires), et qu’on laisse au final les plateformes digitales continuer à siphonner le marché. La citation n’est pas littérale, mais elle reprend bien l’esprit du propos.
Souhaitons que le climat apaisé dans lequel se sont déroulés les travaux de la commission se retrouve en séance, et que ministre et parlementaires, au-delà du seul Meccano organisationnel, prennent le temps d’un véritable débat au fond sur la façon de préserver la vitalité du secteur audiovisuel français. L’avenir appartient aux optimistes.