L'édito de Philippe Bailly

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Rachida Dati, France Inter et l’occasion manquée

Apprendre en début de semaine que la ministre de la Culture serait le 7 mai l’invitée de la matinale de France Inter apparaissait d’autant plus réjouissant que les secteurs des médias et du numérique sont manifestement indifférents aux jours fériés et aux « ponts » ce début de mois, multipliant les sujets sur lesquels une parole publique capable de situer les enjeux et de tracer un cap semblerait précieuse.

Après que le Wall Street Journal a dévoilé son ambition de doubler son chiffre d’affaires d’ici à 2030, Netflix a par exemple commencé à déployer le 7 mai une nouvelle interface utilisateur, qui doit y contribuer en renforçant le niveau « d’engagement », de satisfaction, donc de fidélité des abonnés. L’Intelligence artificielle jouera un rôle majeur, les aidant à identifier les programmes à regarder, donc à rester connectés. Et l’IA est également au cœur de la vision développée le 1er mai par Marc Zuckerberg, d’un monde publicitaire totalement désintermédié. Parce qu’elles illustrent la vocation de la technologie à impacter l’ensemble de la chaîne de valeur, ces deux informations soulignent le besoin d’éclairage et de décryptage.

De portée plus immédiate, les résultats financiers pour le premier trimestre publiés par les groupes Disney, Paramount et Warner Bros. Discovery convergent dans leurs grands enseignements : accélération dans le déplacement du centre de gravité économique, de la télévision linéaire vers le streaming ; arrivée à maturité des studios, à la suite – lointaine – de Netflix, dans la capacité à rendre bénéficiaires leurs plateformes ; augmentation des abonnements venant principalement de l’international, en coopétition le plus souvent avec des éditeurs/distributeurs locaux dont Canal+, dans les nombreux pays où il est présent ; place croissante de la publicité dans les revenus, en concurrence avec les éditeurs de télévision en clair. Si l’on ajoute les recours intentés par Netflix et Amazon contre l’arrêté d’extension de la chronologie des médias, la crainte peut se faire jour que les acteurs mondiaux, maintenant qu’ils ont appris à mieux maîtriser la grammaire du streaming, troquent le gant de velours qu’ils ont affiché ces dernières années pour un gant de fer destiné à asseoir leur leadership. Difficile pour les dirigeants européens d’ignorer le sujet, alors que l’actualisation de la Directive SMA doit être négociée par les 27 Etats membres d’ici à la fin 2026.

Le lancement officiel, le 7 mai, de l’OPA du groupe MFE-MEDIAFOREUROPE (famille Berlusconi) sur l’allemand ProsiebenSat1. peut apparaître comme une forme de réponse venue du marché : des stratégies de consolidations entre groupes privés visant à permettre aux acteurs européens d’atteindre une taille (un peu plus) critique. A sa mesure, le rachat annoncé de Chérie 25 par CMA Média répond à la même logique. En beaucoup plus petit : ProsiebenSat1. est le 2e groupe privé allemand et son chiffre d’affaires était de presque 4 Mds€ en 2024. Mais, au corps défendant de Rodolphe Saadé, sans possibilité d’opération plus ambitieuse : par la combinaison de la loi de septembre 1986 et des cycles de renouvellement des autorisations de la TNT engagés en 2023 avec M6 et TF1, les 6 « TNT HD » lancées en 2012 sont les seuls aujourd’hui à pouvoir être cédées. Deux d’entre elles appartiennent déjà à CMA Média ; TF1 et M6 en détiennent chacune une ; Chérie 25 est la 5e. Et la dernière, l’Equipe, s’inscrit dans un écosystème beaucoup plus large que la télévision, et qui en est difficilement séparable.

Anticipation de l’impact de l’intelligence artificielle et des mesures permettant d’en réguler l’impact ; adaptation du cadre juridique national et européen à la place toujours croissante du streaming ; assouplissements envisageables pour réduire les asymétries réglementaires et accompagner la consolidation des acteurs nationaux. A 8 heures 15, ce mercredi 7 mai, l’échange s’annonçait passionnant sur France Inter…

Et puis le débat n’a pas dépassé le seul sujet de l’audiovisuel public.

Et pas pour un débat au fond sur son projet, son organisation et ses moyens, mais pour de longues minutes de contestation – sans précédent à ma connaissance – de la stratégie suivie par un média public et de son positionnement, sur son antenne même, et par celle qui en assure la tutelle ministérielle.

Il n’appartient pas ici de juger des responsabilités des uns et des autres dans ce rendez-vous manqué.

Mais la liste – très loin d’être exhaustive – des sujets qui attendent une évolution du cadre légal ne peut qu’en accroître le regret : statut légal de la mesure d’audience, « clause des 5 ans » de l’article 42-3, adaptation du cadre applicable aux droits voisins, assouplissement du régime des mentions légales en radio, 3e coupure publicitaire sur les films de plus de deux heures, adaptation de la loi Sapin en vue d’éliminer les biais profitant aux plateformes globales…  sans compter les propositions des Etats Généraux de l’Information, dont le Premier ministre Français Bayrou avait affirmé dans son discours de politique générale qu’elles feraient l’objet d’un projet de loi.