Mille quatre cent soixante-dix réponses à la consultation publique sur le projet d’European Media Freedom Act, côté Bruxelles ; 82 personnalités entendues par la Commission d’enquête du Sénat sur la concentration des médias en France, côté Paris. Et, à l’arrivée, un même sentiment que les réponses proposées ne sont pas à la hauteur des enjeux soulevés et des promesses formulées : contribuer à un « un nouvel élan pour la démocratie européenne » ou imaginer « un cadre (national) plus en mesure de garantir la liberté d’expression, l’indépendance et le pluralisme des médias ».
Le diagnostic est sévère pourtant, à l’échelle européenne autant que sur le plan hexagonal.
Dans sa note de présentation de la Consultation publique sur le futur European Media Freedom Act, la Commission juge par exemple que « le marché intérieur des médias est affecté par la disparité des règles nationales en matière de pluralisme des médias, les cas d’ingérence publique et privée dans (le) fonctionnement des médias, et l’absence de garde-fous en matière de pluralisme des médias, y compris en ligne », ajoutant que « le niveau de transparence quant à la propriété des médias est insuffisant ».
« Seuls des principes communs et une coopération renforcée (garantiront) un fonctionnement fluide (au sein du) marché intérieur », ajoute la Commission… qui ne prône pourtant « aucune modification du cadre législatif actuel » dans son « scénario de référence », se limitant à des « rapports annuels sur l’état de droit », et à des « recommandations concrètes aux États membres ».
Le volontarisme n’est pas plus grand du côté de la Commission d’enquête sénatoriale, malgré le constat que « le développement des plateformes numériques suscite depuis plusieurs années trois grandes séries de questions :
- leur poids économique considérable (qui) serait une menace pour l’équilibre des marchés et leur assurerait une capacité à manipuler l’opinion à leur profit ;
- leur influence dans la conduite des débats publics au moment des élections, par le biais notamment des facultés d’expression non contrôlées offertes par les réseaux sociaux ;
- l’opacité de leurs algorithmes, qui nécessitent la collecte massive d’informations personnelles, souvent obtenues sans que les usagers en aient une réelle conscience, pour assurer leur traitement automatisé».
Au final, « la conviction largement partagée par les membres de la commission d’enquête est que les grandes plateformes Internet comme Google et Facebook jouissent aujourd’hui d’un statut juridique qui n’est pas adapté à leur rôle et à leur influence ».
Le terme « numérique » est pourtant le grand absent des 32 propositions formulées par le rapport de David Assouline.
Le mot « Internet », lui, y est mentionné deux fois, mais de façon incidente (les propositions n°6 et 7 proposent « d’assurer une réelle visibilité aux comités d’éthique, à la fois au sein des groupes et au-delà, en particulier par une exposition sur le site Internet des entités », et de « prévoir l’obligation de la publication sur le site Internet des bilans et avis formulés par les comités d’éthique »).
Rien au-delà, et surtout pas sur l’essentiel : dépasser la seule lutte contre les fake news pour imposer aux plateformes, sites et applications un minimum de règles en matière de pluralisme de l’information, plutôt que de continuer à renforcer encore le corps de règles qui s’appliquent aux médias historiques.
Reste à savoir si la règle du « jamais deux sans trois » trouvera, ici-aussi, à s’appliquer : saisis conjointement par les ministres de l’Economie et de la Culture sur le même sujet, l’IGF et l’IGAC ont remis leurs conclusions à Bruno le Maire et Roselyne Bachelot. On verra – dans l’hypothèse où il déciderait de publier leurs travaux – si le gouvernement a été plus efficace dans le traitement des angles morts de la régulation.