La recommandation « cookies et autres traceurs » de la CNIL est entrée en application le 1er avril. A plusieurs titres, et particulièrement parce que son application va renforcer la position de Google, s’il en était besoin, on aurait pu souhaiter qu’il s’agisse d’un simple canulard.
Ainsi que le relève le dossier INSIGHT NPA du 8 avril 2021, nombre d’internautes auront l’impression d’avoir été trompés sur la marchandise : ils croient souvent qu’en « refusant tous les cookies », ils refusent la publicité… Et, au contraire. Faute de données de ciblage pertinentes, ils ont toutes les chances de « recevoir des publicités très éloignées de leurs centres d’intérêt et de leur profil – de la nourriture pour chat ou des couches pour bébé pour ceux qui n’ont pas d’enfant ni d’animal domestique », prévient la directrice générale du SRI Hélène Chartier. Le risque est alors qu’ils se radicalisent en ayant recours à un ad-blocker, comme près d’un internaute français sur trois l’a déjà fait, et s’inscrivent ainsi dans une trajectoire de destruction de valeur.
Le risque sera d’autant plus grand pour les éditeurs de contenus que le durcissement des conditions de recueil du consentement va permettre à un nouvel acteur de s’inviter dans la chaîne – déjà passablement complexe – de gestion de la publicité digitale et, naturellement, de prendre sa part du chiffre d’affaires généré : les consent management platform (CMP) ou « plateformes de gestion du consentement » dont le marché se développe depuis deux années… sans que ces dernières permettent au final à l’éditeur de s’exonérer de sa responsabilité juridique.
Et parce qu’il est maintenant bien connu que l’idéogramme chinois 危机 est synonyme d’opportunité autant que de crise, Google pourrait, paradoxalement, être le principal bénéficiaire de cette évolution. Côté face – le « don’t be evil » du mantra du groupe –, la suppression des cookies tiers est présentée comme un renforcement de la protection des données privées ; côté pile, le système de cohortes, et ses composantes FLEDGE, FLoC qu’il a commencé à tester, contribueront à renforcer encore sa position centrale, et sa capacité à capturer tout ou partie des flux d’investissements. Et on peut douter que la pression des régulateurs soit suffisante pour infléchir cette trajectoire : l’amende de 100 M€ prononcée par la Cnil à l’encontre de Google en décembre 2020 représente à peine 3,5% des bénéfices du groupe en 2019…
On est tenté finalement de paraphraser Claude Lelouch en 1993 : Tout ça… pour ça ?
Osons dire aussi que la question de la captation des données personnelles nous semble mal posée, parce que concentrée sur les conditions de recueil plutôt que sur la finalité.
Que des données de navigation et un outil de reciblage mal calibrés conduisent à être exposé, beaucoup plus que de bon sens, aux messages d’une même catégorie d’annonceurs, est agaçant, voire exaspérant. Mais l’on reste là dans une sphère relativement superficielle, sans relation avec les conséquences que pourrait avoir, par exemple, l’utilisation commerciale de données médicales.
Et, pour finir par un paradoxe, il est frappant de voir cheminer, en parallèle, la demande de restriction dans l’accès aux données de surf sur internet (donc d’indication des centres d’intérêt de l’internaute), d’une part, d’amélioration de la performance des outils de recommandation des plateformes de vidéo à la demande, de l’autre (donc d’exploitation de la liste des programmes visionnés).
Je vous souhaite une bonne lecture.