On reproche parfois aux éditoriaux de se complaire dans le jeu des idées, au point de perdre de vue le monde réel. Actons alors que ce qui va suivre n’est pas un éditorial, mais en tout cas un avertissement sur la dérive qui se poursuit dans les environnements numériques.
Le 6 novembre, la plateforme Pharos a publié le bilan des signalements reçus au cours du premier semestre 2025 : 109 302 pour être précis. A peu près autant qu’un an plus tôt (111 522) mais presque 20 000 de plus que pour la même période de 2023.
Traduit en moyenne quotidienne, on est ainsi passé de 504 signalements par jour il y a deux ans à 604. Cent de plus, tout rond. Soit un de plus tous les quarts d’heure, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24.
L’évolution des différents motifs de signalement est plus inquiétante encore :
- En 2025, 88 signalements ont concerné chaque jour des atteintes aux mineurs. La moyenne était de 64 deux ans plus tôt,
- Le rythme quotidien des menaces est passé de 33 à 43,
- Et, plus encore, celui des signalements pour discrimination (y compris liée à des motifs xénophobes) a presque quadruplé, de 32 à 110.
A eux seuls, ces trois motifs ont représenté cette année 40 % des signalements (près de 45 000 donc pour le seul 1er semestre), contre 26 % et moins de 25 000 en 2023. Et Pharos indique qu’en moyenne, trois demandes ont dû faire chaque jour l’objet d’une intervention en urgence, contre moins de deux il y a deux ans.
Pour autant, ces chiffres ne suffisent pas, ou pas encore, à enclencher un effet repoussoir de la part du public. Dans une analyse réalisée pour l’Insight NPA, Pierre Bosson relevait en septembre que le nombre des utilisateurs mensuels continuait à croître en Europe pour la plupart des plateformes – y compris celles réputées être les plus nocives et ayant fait à ce titre l’objectif de travaux parlementaires spécifiques.

L’esprit de responsabilité ne semble pas non plus avoir gagné les annonceurs et les publicitaires. La croissance des dépenses publicitaires dans le social media ne décélère pas. Ou pas encore.
Et les responsables publics ?
Pour une Australie qui ne semble pas ralentir sur la mise en œuvre de son interdiction des réseaux sociaux aux moins de 16 ans, la crainte des foudres trumpiennes semble tiédir la volonté de la Commission européenne sur une utilisation offensive du DSA, la majorité numérique à 15 ans prévue par la loi française depuis plus de 2 ans (juillet 2023), reste théorique, faute de parution de son décret d’application, et le projet de loi « post EGI » préparé par les équipes de Rachida Dati peine à ressortir du Conseil d’Etat pour pouvoir être examiné par le conseil des Ministres et finalement discuté par le Parlement…
Reste la responsabilité individuelle.
Celle de la marque qui allie civisme et souci de brand safety pour décider d’ignorer certains environnements.
Celles des bénévoles comme des permanents mobilisés dans les associations – Respect Zone me concernant, mais bien d’autres.
Celle des parents qui prennent le temps de se saisir – vraiment – des outils de contrôle parental pour protéger les plus jeunes, comme hier les nôtres nous invitaient à aller profiter du soleil plutôt que de rester collés devant la télévision.
Le pire n’est jamais sûr. Il suffit, ensemble, de se mettre en mouvement pour s’en détourner.

