2030, 2025 ou… 2019 ? Partant d’un horizon d’abord lointain (« le rapport de Pascal Lamy pour la Commission européenne (…) affirmant la nécessité de (…) sécuriser (les fréquences de la TNT) jusqu’en 2030 », Sébastien Soriano aboutit à une échéance singulièrement plus proche, dans l’interview qu’il a donnée aux Echos le 20 juin : « si un jour les télécoms doivent reprendre (les fréquences) de la TNT, comme cela s’est fait pour la 4G, c’est une décision qui doit être prise au niveau européen. Cette question va se poser en 2019 ». A écouter le président de l’ARCEP, l’entrée dans sa 15e année pourrait aussi coïncider pour la télévision numérique terrestre avec l’annonce de son extinction.
Sans que cela constitue vraiment une surprise, son homologue du CSA ne partage pas cette perspective, loin s’en faut : « le développement de modes de diffusion concurrençant la TNT ne saurait en sonner le glas », déclarait Olivier Schrameck ce mardi 26 juin, pointant notamment la proportion importante de Français dont elle demeure le support de réception principal (40,1% à fin 2017, d’après l’Observatoire de l’Equipement audiovisuel du CSA) ou secondaire (50,8% de foyer ont au moins un téléviseur raccordé à la TNT), voire le seul moyen de réception de la télévision (23,6%).
La capacité de modes de raccordements alternatifs, et singulièrement du très haut débit, constitue évidemment un élément central du débat.
En supposant une simple prolongation des tendances constatées depuis 2009 (baisse moyenne annuelle de 8% de la part de Français totalement dépendant de la TNT, de 5% pour les foyers qui l’utilisent pour recevoir la TV sur leur poste principal, et de 3% sur au moins un de leur récepteur), il faudrait attendre 2028 pour que la proportion des « exclusifs TNT » tombe en dessous de 10% de la population et 2049 pour franchir le même seuil sur le téléviseur principal (la proportion de ceux recevant la TNT sur au moins un poste restant alors de 21%).
Depuis 2009, le satellite ne s’est pas affirmé comme mode de substitution à la TNT : la part des « exclusifs » dans la population a reculé de 3,4 points (11,4% à fin 2017), et celle des foyers qui l’utilisent vers leur récepteur principal est restée stable (20,8% en 2017, 20,7% en 2009).
Alors la fibre ou autres raccordements très haut débit sont-ils capables d’accélérer le basculement ? Dans un rapport publié en janvier 2017, la Cour des Comptes estimait que la couverture à 100% du territoire ne serait pas réalisée avant 2030, au lieu de l’horizon 2022 fixé par François Hollande, et que son coût serait de 15 Mds€ supérieur à celui initialement anticipé (35 Mds€ au lieu de 20 Mds€). Intervenant en décembre 2017 lors de la Conférence des Territoires, le Premier Ministre Edouard Philippe a repris à son compte la date cible de 2022… mais n’a annoncé que 100 M€ d’aide publique supplémentaire, destinés à aider à l’équipement en liaison 4G fixe, satellite ou boucle locale radio des foyers installés dans des zones impossibles à fibrer. Et si l’ARCEP s’est félicitée ce mercredi 27 juin des engagements pris par Orange et SFR pour achever d’ici 2020 la couverture des zones AMII, la question des zones d’initiative publique (plus de 40% de la population, dans des territoires peu ou pas urbanisés qui concentrent la plus forte proportion de foyers dépendant de la TNT ou du satellite) reste elle largement en suspens. A la fin du 1er trimestre 2018, un foyer sur quatre seulement y bénéficiait d’un raccordement.
Dans ces conditions, programmer dès 2019 l’extinction de la TNT apparaît hasardeux. A défaut, gouvernement, parlementaires et professionnels pourraient engager la réflexion sur la régulation de l’après – même lointain – TNT. « Le modèle de la TNT s’est construit historiquement sur un accord gagnant-gagnant entre l’Etat et les chaînes de télévision. En échange de fréquences gratuites, celles-ci ont pris des engagements forts en matière de financement de la création et de production audiovisuelle française. », rappelle Sébastien Soriano. Et, de fait, les « dispositions applicables aux services de communication audiovisuelle distribués par les réseaux n’utilisant pas des fréquences assignées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel » sont sans commune mesure avec celles encadrant les chaînes de la TNT : la loi de 1986 consacre 3 articles aux premières et plus d’une vingtaine aux secondes (sans compter les articles spécifiques au service public), et les décrets d’application sont à l’avenant.
Définir de nouveaux équilibres ne se fera pas en un jour. Raison de plus pour commencer à y réfléchir !