Autant, ou presque, que le fond même du texte, les modalités d’adoption de la réforme des retraites auront nourri débats et polémiques au cours des premiers mois de 2023, et particulièrement le fait que le « passage aux 64 ans » ait pu être finalement adopté sans que le projet de loi qui l’organise ait jamais fait l’objet d’un scrutin public – dédié – à l’Assemblée nationale ; les prochaines semaines indiqueront si la proposition de loi relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle (PPL Lafon) est appelée à un sort symétrique : adoptée par le Sénat ; correspondant « à 95% » aux orientations de la Mission d’information sur l’avenir de l’audiovisuel public conduite par les députés Jean-Jacques Gaultier et Quentin Bataillon, selon les termes du premier ; mais susceptible de rester à quai, faute d’être inscrite par le gouvernement à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
Si la ministre de la Culture ne s’est pas formellement prononcée dans ce sens lors des débats du Sénat, elle n’y est pas apparue farouchement déterminée à défendre devant les députés sa « conviction » affirmée « qu’une véritable ambition pour l’audiovisuel public peut reposer sur des coopérations par projet (…) sans accroître les rigidités ni courir le risque de perdre en souplesse organisationnelle » plutôt que sur « un grand meccano institutionnel (qui ne lui semble) ni nécessaire ni prioritaire ».
Quand Jean-Jacques Gaultier estime en outre, côté Palais Bourbon, qu’il n’est « pas possible » de statuer sur l’avenir de l’audiovisuel public et sur les autres dispositions de « souveraineté audiovisuelle » adoptés par le Sénat dans le cadre d’une niche parlementaire, aux temps de discussion chichement comptés, l’avenir de la PPL Lafon apparait aujourd’hui très aléatoire…
Sept ans après la parution du rapport Leleux / Gattolin préconisant la constitution d’une « BBC à la française » , la nouvelle réjouira les adeptes des multiples missions qui se sont succédés depuis, et qui en apprécient les recettes désormais bien éprouvées : plusieurs dizaines d’auditions – avec des taux de recoupements de l’une à l’autre proche de 90% –, l’incontournable voyage d’études au Royaume Uni – mais très rarement au-delà –, et des conclusions aussi radicales que leur absence totale de mise en application.
C’est heureux ! Chaque bureau a désormais sa cale, et cela permet de donner du travail à des dirigeants de l’audiovisuel public qui se trouveraient bien désœuvrés à défaut, tant le paysage audiovisuel mondial comme les usages des Français sont d’une morne stabilité.
Bonne nouvelle aussi pour les bookmakers, s’il n’est donné aucune suite à la proposition de loi Lafon et à celle déposée à l’Assemblée nationale par Jean-Jacques Gaultier et Quentin Bataillon, ils verront leur fonds de commerce de paris possibles prolongé sur la solution qui sera un jour peut-être, clairement tranchée : fusion, holding ou « synergies par le bas » …
Bonne nouvelle encore pour les groupes privés.
Laisser les textes en l’état assure que la propriété des acteurs de l’audiovisuels français restera de facto inchangée jusqu’en 2032, bien loin de la précipitation des Américains et, par exemple, de celle d’AT&T, capable d’acheter Time Warner, de le transformer en Warner Media et de le fusionner avec Discovery en moins de quatre ans, procédures devant les autorités de la concurrence comprises.
Cela permettra que chaque plateforme continue à trouver mesure d’audience à son pied pour se valoriser auprès des marques, le cas échéant en la fabriquant elle-même, plutôt que de s’embarrasser d’une toise commune à l’ensemble des médias.
Cela conservera à la TNT Ultra Haute Définition son statut d’objet de laboratoire, et garantira que la montée en puissance du parc de récepteurs capables de recevoir la radio numérique (DAB+) ne s’emballe pas…
Mais plus sérieusement…
Femme de culture, Rima Abdul Malak est en passe de réinventer la célèbre réplique du Guépard : parce que tout change (dans le monde digital), il faut que rien ne change (dans la législation audiovisuelle française).
Il est un élément, cependant, dont elle ne peut garantir la stabilité : la position d’Elisabeth Borne comme Première ministre et, partant, sa propre présence rue de Valois. Il n’en faut pas plus pour que les spéculations montent déjà sur la capacité d’un(e) successeur(e) à remplir avec davantage d’enthousiasme le dernier terme de sa fonction : ministre de la Culture et de la Communication…