Jean-Marie Messier est resté célèbre pour avoir théorisé la convergence entre médias et télécommunications ; Jeff Bezos le sera peut-être pour avoir – entre autres – réussi le rapprochement des univers de la vidéo et du e-commerce. Et avoir entrainé à sa suite Alibaba, Rakuten, et certainement demain d’autre distributeurs. Quand le service Amazon Prime Video a été d’abord considéré comme un goodies destiné à aider à l’acquisition d’abonnés pour l’offre Prime dans une approche retail centric, les investissements consentis dans l’acquisition de catalogue et dans les créations originales, le développement de l’activité de distribution de services tiers – via Amazon Channels – et la montée en puissance de la vente d’espace publicitaire se traduisent dans les comptes du groupes par des lignes de revenus de plus en plus significatives.
Dans une note parue mi-janvier, l’institut américain IHS Markit estimait à 44 millions le nombre des utilisateurs d’Amazon Prime Video au niveau mondial, dont 30 millions aux Etats-Unis et 11 millions pour les trois autres principaux marchés (Allemagne, Japon et Royaume-Uni). Le chiffre reste loin, au global, des 110 millions clients de Netflix, mais IHS Markit affirme qu’en Inde, en Allemagne et au Japon, le service du groupe de Jeff Bezos a (déjà ?) dépassé dans les usages celui de Reed Hastings, et il prévoit que le premier atteindra 78 millions d’utilisateurs en 2021.
L’acquisition des droits d’adaptation du Seigneur des Anneaux en série télévisé, conclue fin 2017 moyennant 250 M$, illustre les dépenses croissantes réalisées par Amazon pour renforcer l’offre de programmes. Il est symboliquement frappant de constater que ses développements dans les contenus n’occupaient pas moins de 20 lignes dans le Communiqué de présentation de ses résultats 2017 : intégration de l’application Amazon Vidéo au store Apple TV, nomination aux Oscars du film The bick sick, trophées aux Golden Globes pour The Marvelous Mrs. Maisel, lancement de nouvelles saisons pour The Grand Tour, Goliath, Sneaky Peke, The Man in the High Castle, Bosch, Mozart The Tick, Jack Ryan, The Romanoffs…
A titre de comparaison, le grand rival Walmart n’a pas un mot dans sa propre communication financière pour Vudu, la plateforme de VoD qu’il a acquise en 2010, mais dont Tech Crunch note qu’il « ne l’a pas pleinement exploitée pour challenger Amazon sur le front de la vidéo ».
Quant aux bénéfices de ces développements, le premier se situe au cœur même du métier du groupe. « Les abonnés Prime qui regardent de la vidéo dépensent également davantage sur Amazon », notait le directeur financier Brian Olsavsky lors d’un conference call avec les analystes financiers. « Nous voyons les données de visionnage et nous voyons aussi les données de ventes, de sorte que nous pouvons lier les deux ». Faute de précisions supplémentaires, Business Insider note que les marchés les plus consommateurs d’Amazon Prime Vidéo sont aussi ceux qui pèsent le plus dans l’activité du retailer. En 2017, les ventes de biens du groupe ont progressé de 25%, à 118,5 Mds$.
Développer l’offre de contenus permet aussi de justifier d’une hausse des prix de l’abonnement de Prime, tout en réduisant le risque de churn. Aux Etats-Unis, les tarifs mensuels sont ainsi passés de 10,99$ à 12,99$ aux Etats-Unis (le forfait annuel restant lui fixé à 99$). En 2017, les revenus d’abonnement ont crû de 47%, pour approcher les 3,2 Mds$.
Le développement de l’offre Amazon Channels représente une diversification plus nette vers le secteur des médias. Lancée en 2015, elle constitue un kiosque virtuel à travers lequel les abonnés Prime peuvent s’abonner à une sélection de chaînes ou services de SVoD payants diffusés en OTT. Avec l’intégration de CBS All Access en janvier, l’offre disponible aux Etats-Unis totalise aujourd’hui plus de 140 chaînes ; en Europe, l’offre Amazon Channels a été lancée au printemps 2017 en Allemagne, au Royaume-Uni et en Autriche. Elle y propose une grande quarantaine de chaînes ou services. Et d’après l’analyste financier Rich Greenfield (BTIG), son impact est loin d’être négligeable pour les éditeurs : à l’été 2017, il estimait qu’Amazon pesait pour la moitié des abonnés à l’offre OTT de HBO Now (sur un total estimé à 5 millions en février 2018) et jusqu’à 75% pour Starz (environ 2 millions à l’été 2017).
Last not Least, Amazon prend une place croissante du marché publicitaire. « La publicité a été un contributeur majeur à la croissance des revenus en 2017 », exposait sobrement le directeur financier Brian Olsavskylorsd de la présentation des derniers résultats. Plus factuels, le cabinet CDMG estimait les revenus publicitaires d’Amazon à 1,65 Md$ en 2017 dans une note publiée à l’automne, et JP Morgan les évaluait, lui, à 2,8 Mds$ à travers son analyste Doug Anmuth. En tout état de cause, Amazon fait d’ores et déjà partie du Top 5 des revenus de publicité digitale aux Etats-Unis.
Difficile dans ces conditions d’imaginer qu’Amazon appuie sur le frein dans le développement Médias… Mais, au-delà, son exemple semble source d’inspiration croissante pour d’autres géants du e-commerce. Fin 2017, le groupe japonais Rakuten, aussi propriétaire de Rakuten TV, a déboursé 225 M$ pour les droits de la NBA au Japon et il est en France le maître d’œuvre du partenariat avec Mc Donald’s permettant aux clients de l’enseigne de fast-food de télécharger gratuitement une saison entière de 50 séries ; de son coté, Alibaba vient d’annoncer un accord avec Disney, lui permettant de proposer 1000 heures de films et séries du studio sur sa plateforme Youku.
Et en France ? La FNAC se prépare à débrancher FNAC Play (VoD) après avoir fait de même pour FNAC Juke Box. What else ?