Jugement sévère (discuté dans sa formulation exacte mais confirmé dans son fond) du chef de l’Etat, appel de la ministre de la Culture à un « très grand virage (placé) au cœur du projet présidentiel ». Dix ans ou presque après les annonces choc de Nicolas Sarkozy (début janvier 2008), l’audiovisuel public s’apprête à connaître une nouvelle révolution. Comme ceux qui l’ont précédé, le débat qui va accompagner la rédaction du projet de loi annoncé sera certainement tenté d’aller chercher outre-Manche sources d’inspiration et/ou éléments d’argumentation. Il y manquera sans doute d’autant moins que le rapport rendu en 2015 par les sénateurs Leleux et Gattolin a imposé la notion de
« BBC à la française » comme une référence obligée.
La réunion de France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA sous une holding commune en constitue l’un des piliers. Un argument de bon sens permet à ses opposants de contester le schéma : à la différence de l’ORTF, la Beeb n’a jamais connu l’éclatement. Son organisation est donc restée au fil des ans celle d’un groupe intégré… sans avoir à redouter l’alourdissement auquel la création d’une couche managériale supplémentaire pourrait aboutir.
Sur le reste des pistes qu’ils ont esquissées, les dirigeants français trouveront matière à encouragement dans les réformes conduites par les gouvernements britanniques successifs :
- réforme de la gouvernance, avec la suppression du BBC Trust, son remplacement par un conseil d’administration nommé par l’Etat et une régulation « de droit commun » désormais assurée par l’OFCOM ;
- restructuration sévère, avec la suppression de 1000 emplois, sur les 16 000 que comptait le groupe, la mise en œuvre d’un plan d’économie portant sur 800 millions d’euros à partir de 2010, et un nouveau plan d’économie de 650 millions de livres annoncé en juillet 2015 ;
- basculement vers le numérique de BBC3, la chaîne destinée aux jeunes adultes créée en 2003…
Alors que la BBC avait longtemps été considérée comme une institution intouchable.
Quand le Président de la République reproche à l’audiovisuel public de ne pas « s’être une seconde adapté à l’évolution des usages », le gouvernement pourra aussi mettre en avant les performances obtenues par l’iPlayer pour pousser France Télévisions à accélérer ses développements dans le numérique : ce service, qui combine simulcast et replay des chaînes de la BBC, mais aussi un volume croissant de productions spécifiques (les émissions précédemment diffusées par BBC3 ou encore une offre de sport qui devrait totaliser 1000 heures en 2018) dépassait en janvier dernier les 300 millions de visionnages. Soit près de la moitié du total des services de catch up des chaînes gratuites de la TNT française.
En sens inverse, les patrons de l’audiovisuel public ne manqueront pas de mettre en avant la réforme entrée en vigueur en septembre 2016, et par laquelle tout britannique qui regarde une émission de la BBC doit s’acquitter de la redevance (145,5 £/an), quel que soit l’écran utilisé et quel que soit le mode de diffusion en (linéaire ou à la demande). Telle un marronnier de salle de rédaction, cette évolution est évoquée de ce côté-ci de la Manche tous les ans pendant l’été, lors de l’élaboration de la Loi de Finances, et tous les ans renvoyée à l’exercice suivant.
Intervenant ce mardi lors du colloque sur « Les stratégies des groupes audiovisuels européens » organisé par la chaire Audiovisuel & Numérique de l’université Paris II – Panthéon-Assas, la ministre de la Culture Françoise Nyssen a laissé de côté ces sujets financiers, ou de structure, pour se concentrer sur « les vraies questions : celles des missions et du sens d’un service public audiovisuel. Il doit donner à comprendre le monde, faire rayonner la culture et la création françaises, refléter la diversité de la société, réaliser sa transformation numérique et parler aussi aux jeunes » ; au printemps 2016, le directeur général de la BBC Tony Hall se félicitait que le nouveau cadre posé au groupe « réaffirme (sa) mission d’informer, d’éduquer et de divertir tous les publics à la télévision, la radio et sur internet ».
Vérité au-delà de la Manche, erreur en deçà ?