A partir de cette semaine, les abonnés vidéo du premier câbloopérateur américain Comcast vont pouvoir utiliser leur compte Netflix directement depuis la nouvelle interface XFINITY X1 de l’opérateur. Il ne s’agit pas loin s’en faut du premier accord de distribution avec un opérateur pour Netflix. Le géant du streaming multiplie les partenariats depuis 2013. Mais l’envergure de Comcast prouve que Netflix accélère sa stratégie. Le rapprochement des deux géants marque également la fin d’une dispute de plusieurs années et entérine une nouvelle étape dans les relations entre l’OTT et les opérateurs de réseaux.
• Une intégration poussée dans l’interface de Comcast mais pas dans l’infrastructure réseau
L’annonce du partenariat était intervenue au début du mois de juillet et se concrétise donc aujourd’hui après 4 mois de travail en commun pour les ingénieurs et designers des deux entreprises. Avec l’intégration native de l’application et du catalogue de Netflix sur XFINITY X1, Comcast ouvre pour la première fois sa plate-forme Cloud à un acteur OTT.
Netflix reste une application OTT. Les contenus sont streamés depuis l’internet ouvert et ne sont donc pas intégrés dans le réseau managé de l’opérateur. L’application Netflix ne dispose pas de bande passante dédiée sur le réseau de Comcast. Son utilisation impacte donc directement la capacité en débit dont dispose en temps normal l’abonné ainsi que sa consommation data.
En revanche, Netflix est intégré de manière assez profonde dans les interfaces X1. De fait, si l’application reste accessible de manière autonome dans la section « Entertainment » de X1, le catalogue du service de vidéo à la demande par abonnement est pris en compte par le moteur de recherche et par la recherche vocale via la télécommande Voice Remote de Comcast. La recherche peut porter sur le titre précis d’un contenu mais également les acteurs ou réalisateurs. Concrètement, à l’issue d’une recherche, la page de résultats présente côte à côte des contenus de Netflix, des programmes linéaires de chaînes TV, des programmes issus de la bibliothèque de vidéo à la demande de l’opérateur ou les enregistrements de l’abonné. Netflix acquiert donc un statut similaire à celui des grandes chaînes câblées HBO, Showtime ou Starz dans les interfaces de recherche de Comcast. En revanche Comcast n’est pas en mesure d’apporter sa propre couche d’éditorialisation autour du catalogue de Netflix. Ainsi, alors que Comcast propose dans sa section XFINITY On Demand des « Channels » qui permettent d’agréger de manière thématique des contenus provenant de différentes chaînes et/ou de ses propres services de VoD, les contenus de Netflix en sont absents. Reste qu’il s’agit d’une avancée importante pour les abonnés Comcast qui peuvent désormais retrouver sur X1 l’ensemble des épisodes et des saisons de leurs séries préférées, qu’ils soient en cours de diffusion en linéaire, proposés en TVoD par Comcast ou disponibles en exclusivité sur Netflix.
Enfin, autre élément décisif, les nouveaux utilisateurs de Netflix qui s’abonnent via XFINITY X1 seront directement facturés par l’opérateur sur leur compte Comcast. Les tarifs restent fixés par Netflix et Comcast ne propose ni promotion ni bundle particulier intégrant Netflix. La nature commerciale de l’accord n’a pas été rendue publique, mais à l’instar des autres accords avec des opérateurs, Netflix reverse sans aucun doute à Comcast une somme fixe forfaitaire pour chaque nouvel abonné recruté via X1.
Au final, s’il s’agit incontestablement d’une des intégrations les plus poussées de Netflix dans une interface opérateur, la nature du partenariat ne semble pas non plus inédite. Il n’y a pas de caractère réellement exclusif, Netflix restant positionné en OTT et gardant la main sur l’intégrité de son catalogue, sa politique tarifaire et la nature « stand alone » de son abonnement.
Le caractère singulier de l’accord réside donc plutôt dans la puissance des deux acteurs et leur rivalité passée.
• Un nouveau partenariat capable de mettre fin à plusieurs années de conflit ?
Le CEO de Comcast Brian Robert rappelait en présentant l’annonce au mois de juillet dernier que l’accord avait été décidé au plus haut niveau entre Reed Hastings et lui-même. Il entérine de fait une nouvelle étape dans les relations pour le moins conflictuelles entre les deux sociétés depuis 2012. Depuis cette date Comcast symbolise aux yeux de Netflix les dangers supposés que font peser la puissance des opérateurs sur la neutralité du net.
En 2012, Reed Hastings accusait Comcast “de ne plus respecter les principes de la neutralité du net” suite à la décision du câbloopérateur d’exonérer ses abonnés utilisant la nouvelle application Xfinity on-demand Video pour console Xbox 360 de leur décompte de consommation data. Un différend qui n’a jamais été vraiment résolu, Comcast poursuivant depuis cette date une double stratégie de plafonnement des données pour ses abonnés et de mise en place d’une politique de « Zero rating » pour certains de ses propres services. Ce fut notamment le cas fin 2015 avec le lancement du nouveau service Stream TV, bouquet de télévision en ligne édité par Comcast pour ses seuls abonnés Broadband (. L’intégration aujourd’hui de Netflix sur la plate-forme X1 ne résout en rien ce différend. Le service restant distribué sur l’internet ouvert en pur OTT, la consommation de Netflix sur XFINITY X1 entre bien dans le décompte de la consommation de données mensuelle des abonnés Comcast. Mieux, l’intégration de Netflix arrive exactement au moment où le câbloopérateur décide de généraliser ses expériences de plafonnement de la consommation des données sur l’internet fixe par le câble (la Fibre n’est pas concernée). 18 marchés sont désormais concernés au lieu de 4 précédemment. En revanche, alors que le plafond était de 300GB par mois, il passe à 1 Tera. En cas de dépassement, l’utilisateur paye 10$ par tranche de 50GB additionnels. Si Comcast rappelle que la consommation moyenne de ses abonnés se limite à seulement 75GB, il est évident que l’intégration native avec Netflix des premiers services OTT sur la plate-forme va modifier la donne.
Le second point de friction porte sur les accords d’interconnexion entre Comcast et Netflix. En février 2014, Netflix a dû se résoudre à payer Comcast pour obtenir un accès direct à son réseau haut débit afin d’améliorer la qualité du service, en dégradation constante depuis plusieurs mois. Une première pour Netflix qui défend au contraire une politique de développement de son CDN, Netflix Open Connect, lui permettant de pouvoir placer gratuitement ses propres serveurs de mise en cache sur les principaux points d’échange internet mais également à l’intérieur même des réseaux des opérateurs. Suite à cet accord, Netflix parlait d’ « extorsion » pour qualifier les pratiques de Comcast… La réplique d’Hastings a pris la forme d’une intense campagne de lobbying pour dénoncer les risques d’un rapprochement entre Comcast et Time Warner alors en cours d’examen par les autorités de régulation. Hastings arguait alors que le rapprochement donnerait à Comcast « un effet de levier anticoncurrentiel supplémentaire pour facturer des péages d’interconnexion arbitraires pour tous ceux qui veulent accéder à ses clients ». Un argument très controversé mais qui a porté, contribuant à la décision du Department of Justice d’envisager l’ouverture d’une procédure antitrust et qui conduira finalement Comcast à abandonner le rapprochement.
Le nouvel accord entre les deux géants américains ne suffira sans-doute pas à effacer l’ensemble des différends. Mais cette collaboration naissante permet aux deux sociétés de franchir une nouvelle étape et d’envisager une collaboration plus sereine entre le leader du câble US et le champion de l’OTT.
• L’évolution des rapports entre opérateurs de TV payante et acteurs OTT
Si Comcast dispose aux Etats-Unis d’une base de plus de 22 millions d’abonnés vidéo, tous ne bénéficient pas encore d’un équipement compatible avec la plate-forme XFINITY X1. A la fin du troisième trimestre 2016, X1 n’était déployé que chez 45% des abonnés. Avec un objectif de 50% à la fin de l’année. Concrètement, 10 millions de foyers environ pourront utiliser la nouvelle application Netflix. Mais, selon le cabinet Cowen & Co., 58% de ces abonnés X1 sont déjà des abonnés Netflix. Autrement dit le potentiel de recrutement pour le service de streaming grâce au nouvel accord se limite à 4 ou 5 millions de nouveaux abonnés. Un chiffre qui peut paraître modeste quand on pense au portefeuille global des abonnés Netflix dans le monde (86,74 M au T3 2016) mais qui est loin d’être négligeable eu égard à son rythme de recrutement sur son marché domestique. De fait, c’est l’international qui tire logiquement Netflix avec au dernier trimestre 3,20 millions d’abonnés supplémentaires, contre 0,37 million de personnes en plus aux Etats-Unis. L’accord avec Comcast reste donc important pour que Netflix puisse poursuivre sur cette bonne dynamique aux Etats-Unis.
L’intérêt est encore plus évident chez Comcast, pour qui l’accélération du déploiement de l’interface X1 basée sur le Cloud pour sa plate-forme vidéo reste un élément prioritaire de développement. En effet, le taux de churn des abonnés qui bénéficient de la nouvelle interface est plus faible de 20 à 30% alors que l’ARPU augmente grâce à une consommation de vidéo à la demande trois fois plus importante que chez les autres abonnés. De plus, la migration à un coût pour les utilisateurs et génère donc des revenus annexes pour Comcast, et ce même si le coût de la migration a été drastiquement revu à la baisse passant l’année dernière de 49,99$ ou 99$ selon les zones géographiques à 19,99$. Les bénéfices de la plate-forme X1 sont donc réels pour Comcast qui a réussi la prouesse de recruter 170 000 nouveaux abonnés vidéo sur les 12 derniers mois dans un marché global en déclin pour la TV payante américaine. Nul doute que l’intégration de Netflix va directement contribuer à l’attractivité de X1 et accélérer la migration dans les prochains mois alors que les marges de progression sont encore importantes (objectif de 50% de pénétration pour X1 à fin 2016).
Les bénéfices sont donc réels pour les deux parties. Mais, plus fondamentalement, l’accord semble valider définitivement l’heure de la coopération tous azimuts entre OTT et distributeurs.
Côté Netflix, la multiplication des accords prouve l’importance des box opérateurs pour s’installer sur le téléviseur. Si Netflix ne communique jamais sur la segmentation entre ses recrutements OTT (majoritaires) et ses recrutements via les tiers opérateurs, il est clair que sa stratégie d’hyper distribution et de présence massive sur l’ensemble des terminaux et OS disponibles ne peut faire l’impasse sur un équipement présent dans les 82% des foyers américains abonnés en septembre 2016 à une offre de télévision payante (95,7 millions de foyers…). Aux Etats-Unis, l’accord avec Comcast permet à Netflix de signer le principal câbloopérateur alors qu’il était déjà présent dans les boitiers DVR Hopper de DISH Network (satellite) depuis 2014, dans les boitiers TiVo de Suddenlink Communications, Mediacom Communications, CableOne, RCN, Atlantic Broadband, Midcontinent et GCI (depuis 2015). Globalement, selon SNL Kagan, Netflix était présent sous forme d’application dans 20% du parc installé des box opérateurs avant l’accord Comcast. La proportion est désormais de 30%.
Une situation identique à l’international puisque, alors que Netflix n’était présent en 2013 que dans la Box TiVo de Virgin Media au Royaume-Uni, on dénombrait 25 partenaires au début 2016, soit 17 en dehors des Etats-Unis dont Orange et Bouygues Telecom en France. Surtout, outre Comcast, un accord majeur a été annoncé en septembre 2016 avec le câbloopérateur américain Liberty Global pour la distribution du service de streaming via l’ensemble des décodeurs de l’opérateur. Le partenariat porte sur plusieurs années et concerne une trentaine de pays dans le monde (Europe, Amérique Latine et Caraïbes) dans lesquels Liberty Global est présent sous différentes marques, soit environ 29 millions de clients abonnés à l’une de ses offres TV.
Enfin, du côté des opérateurs, après une première phase marquée par le rejet global d’une ouverture de leurs plates-formes aux applications OTT, l’heure est clairement aujourd’hui à une segmentation très nette entre deux types d’opérateurs. D’un côté, ceux qui considèrent que leur travail d’agrégateur doit s’étendre aux nouveaux services OTT, et qui constatent que les grands services de streaming sont complémentaires de la télévision payante (40% des abonnés Sky au Royaume-Uni sont abonnés Netflix par exemple, selon le BARB), de l’autre, ceux qui engagés dans une stratégie poussée de convergence dans les contenus préfèrent éviter toute concurrence avec les services qu’ils éditent (Sky de nouveau, SFR mais pas BT).
Globalement, les opérateurs reprenant Netflix ne notent pas de transformation radicale. Au début de l’année 2016, la division Technology de l’institut IHS a mené l’enquête auprès des opérateurs TV qui ont fait le choix de distribuer Netflix directement sur leurs plates-formes. Le rapport « Netflix on Pay TV: A Marriage of Convenience » est basé sur une série d’entretiens auprès des dirigeants et de leurs partenaires techniques. Il montre que la méfiance des opérateurs reste toujours très forte avec des craintes de cannibalisation de leurs propres services de vidéo à la demande quand ils existent ou de baisse des abonnements aux chaînes de cinéma premium qu’ils distribuent. Ceci étant, la première information de l’étude reste que le fait de travailler avec Netflix ne permet pas de générer de nouveaux revenus. Les reversements accordés par Netflix sont faibles (10-15% du montant des abonnements) et les revenus supplémentaires insignifiants pour les opérateurs car la plupart des utilisateurs Netflix ont déjà un compte ou ont préféré s’abonner en OTT. En revanche, selon Ted Hall, directeur de la recherche chez IHS Technology, la majorité des opérateurs ont observé un taux de satisfaction en hausse chez leurs clients. Mais IHS ne conclue pas pour autant à une fidélisation plus forte. Seuls Com Hem et TalkTalk mettent en parallèle la distribution de Netflix et la baisse du Churn. Reste, au-delà de l’étude IHS, l’exemple de Virgin Media, le plus ancien et le premier partenaire de Netflix, donc celui qui possède également le plus de recul. Cet été, Mike Fries, CEO et Président de Liberty Global (maison-mère de Virgin) était particulièrement clair sur ce sujet déclarant que « Netflix est plus un ami qu’un ennemi pour nous (…) Au Royaume-Uni, où nous intégrons Netflix dans notre set-top box [Virgin Media], les clients paient maintenant plus et achètent plus de produits et nous constatons moins de désabonnement. Les clients sont plus heureux, nous devons donner à nos clients ce qu’ils veulent ».
Après Liberty Global, la décision de Comcast d’intégrer Netflix montre bien que l’on assiste à une nouvelle vague de partenariats permettant de soutenir le développement international de Netflix, trop faible tout seul sur de nombreux marchés, et de défendre la valeur des plates-formes de télévision payante comme principal porte d’entrée pour la consommation des contenus audiovisuels.