Gilles Marchand, Directeur Général SRG SSR
Directeur général de la Société suisse de radiodiffusion et télévision (SSR) depuis 2016, Gilles Marchand est venu présenter le déroulement de la procédure d’initiative populaire fédérale suisse qui visait à supprimer la redevance audiovisuelle et par la même tout le système audiovisuel public suisse. Le référendum issu de l’initiative a finalement tranché en faveur du maintien du système audiovisuel public et de la redevance. Pour Gilles Marchand, l’enseignement qu’il y a à tirer de cette « aventure », qui a « commencé comme un véritable film catastrophe » et s’est « terminée comme un feel good movie », c’est d’ « écouter le peuple » et tenir compte de ses attentes et réactions pour conserver un système audiovisuel public adapté et responsif au service de la population.
L’initiative populaire fédérale « No Billag » (Billag étant la société chargée de la perception de la redevance) a été lancée par trois jeunes suisses qui désiraient réserver le paiement de la redevance à ceux qui souhaitaient avoir accès aux programmes de la SSR, à la manière des services audiovisuels privés. La redevance suisse est en effet universelle, et chère : elle s’élève à plus de 300 euros par an et par ménage. L’initiative a réussi à réunir les 100 000 signatures requises pour qu’elle donne lieu à un référendum, une procédure peut-être peu adaptée au traitement de questions complexes et techniques.
Gilles Marchand a en effet rappelé le budget de l’audiovisuel public suisse est composé à 75% de la redevance, et à 25% de publicité. La perception et l’attribution de la redevance sont organisées selon un mécanisme de péréquation entre régions : certaines régions contribuent plus que d’autres en fonction de leur richesse, pour un service équivalent pour tous, dans les quatre langues suisses. Tout le monde bénéficie ainsi d’un accès au même type de prestation.
En décembre 2017, à trois mois du vote, les sondages prévoyaient que le référendum aboutirait à l’abolition de la redevance à 51% des suffrages. Face à cette perspective inquiétante, la SSR, privée du droit de faire campagne, est intervenue auprès du milieu associatif, très riche en Suisse. Il s’agissait notamment d’expliquer que la télévision publique « permettait de garantir une cohésion nationale ».
La SSR a ensuite assisté à un wake up call « étonnant ». De nombreuses associations et une grande partie du secteur artistique se sont impliquées fortement dans la défense du service public entre février et mars. Des petites productions issues des milieux du cinéma, de l’audiovisuel et de la musique notamment ont vu le jour et circulé sur les réseaux sociaux et les médias afin d’encourager le maintien de l’audiovisuel public. Pour le DG de la SSR, c’est cet élan qui a enjoint la population à se mobiliser, pour aboutir, à un rejet de l’initiative No Billag, à 71,6% des suffrages.
Pour Gilles Marchand, cela témoigne de l’attachement à une Suisse qui respecte sa diversité langagière, sa diversité culturelle, « qui compense les déséquilibres démographiques et socio-économiques à travers un modèle de solidarité et de péréquation », et « qui ne se résume pas à satisfaire des besoins consuméristes et individuels ».
Ce vote a porté trois enseignements notables. Il a d’abord révélé des alliances politiques inédites, notamment entre les « néolibéraux » et les « populistes », tous deux favorables à l’initiative. Gilles Marchand a mis en garde les participants contre ces deux types de mouvements qui, bien qu’opposés, se développent « contre les institutions qui fédèrent la population ». Ensuite, les résultats du vote ont montré que les jeunes étaient très majoritairement favorables à l’audiovisuel public. Enfin, « sans alliance, point de salut » ; Gilles Marchand préconise la création d’alliances entre organismes publics et entreprises privés dans l’audiovisuel, pour « trouver de nouveaux modèles de coopération ».
Cette « aventure » a conduit à un certain nombre de changements au sein de la SSR. Elle s’est d’abord engagée à faire des économies, pour parvenir à réduire le montant de la redevance de 8%. Elle a également engagé un travail de redéfinition en interne, basé sur l’affirmation que « la performance n’est plus suffisante pour légitimer ». Il s’agit d’appuyer la spécificité et la différence du service public audiovisuel et de cultiver un lien avec l’auditoire qui n’est pas basé sur les outils audiovisuels classiques ni sur des données quantitatives comme la mesure de part d’audience. Par exemple, la SSR a résolu de mettre fin aux coupures publicitaires dans les films diffusés. Elle a également pour projet d’accentuer la construction d’une identité suisse en investissant dans la fiction et en créant une plateforme où tous les contenus produits et diffusés par l’audiovisuel public suisse sont disponibles, dans toutes les langues parlées en Suisse.