L'édito de Philippe Bailly

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La distribution face à un triple bouleversement technologique, juridique et économique

Bibiane Godfroid, Directrice générale déléguée en charge des contenus, NEWEN

En tant que Directrice générale de Newen, figure majeure de la distribution et de la production en France, et dans un contexte d’absorption intégrale de la société par le groupe TF1, Bibiane Godfroid met l’accent sur la notion d’indépendance. Si beaucoup de producteurs se disent indépendants, ils travaillent parfois exclusivement pour des chaînes de télévision. Néanmoins, la relation avec ces chaînes est avant tout financière. Ces-dernières permettent d’investir de manière plus conséquente et de tendre vers l’internationalisation, une nécessité dans un monde global.

L’intégration capitalistique n’est pas synonyme d’intégration éditoriale, la verticalité sert à s’ouvrir sur le monde grâce à des fonds plus importants. L’autorité de la concurrence est là pour jouer un rôle de protection et les quotas de dépendance et d’indépendance font qu’une société ne peut produire qu’un nombre d’heures limitées pour le groupe détenteur. Bibiane Godfroid trouve essentiel pour une société de production et de distribution d’être autonome : « notre métier est une affaire de talents, d’auteurs, de réalisateurs, de comédiens, de producteurs, etc. Il est important que ces talents soient diversifiés : on ne travaille pas avec les mêmes auteurs pour une chaîne comme Arte, pour TF1 ou pour France Télévisions ». L’exemple des États-Unis est mentionné : les studios américains, même s’ils sont souvent intégrés à des networks travaillent pour d’autres networks. Ça n’a pas toujours été le cas puisqu’il fût un temps où les studios ne pouvaient travailler que pour le network dont ils dépendaient. Très vite, la règlementation a été changée pour permettre une concurrence éditoriale et avoir les meilleurs produits.

Interrogée sur « Newen Network », regroupant plusieurs sociétés de production et de distribution, la directrice de Newen met en avant le succès de Like-moi, permis grâce à ce réseau international. Ce-dernier a permis par ailleurs à Newen de tourner actuellement sa première co-production avec Amazon, et d’en assurer la production exécutive.

Par ailleurs, Bibiane Godfroid affirme que la distribution a un poids de plus en plus important dans la chaîne de valeurs pour trois principales raisons :

  • La société de distribution doit avoir un catalogue de plus en plus important vu l’essor de la demande et la possibilité de distribuer à l’international. Il faut donner des gap financing dès le point départ, dès qu’une idée émerge.
  • Les grandes productions internationales ne peuvent pas voir le jour sans l’appui d’une grande société de distribution.
  • Aujourd’hui, le lancement d’un certain nombre de programmes lie le producteur et l’éditeur. La voix de la distribution n’intervient pas nécessairement sur les projets locaux en France. Néanmoins, eu égard aux problèmes de financement et les possibilités d’internationalisation, les formats sont étudiés très tôt. Cependant, une série commandée par une chaîne française peut se lancer sans l’amont de la distribution. Dans ce monde global, le local reste en effet très important.

Nacho Manubens Guarch, Directeur des contenus, ATRESMEDIAS STUDIOS

L’échange avec Nacho Manubens Guarch a principalement porté sur le succès de La casa de papel. Philippe Bailly rappelle d’emblée que ce dernier a surtout été permis par Netflix. La plateforme est devenue un passage essentiel pour avoir un succès international confirme le directeur des contenus d’Atresmedia. Tous les ans, la société Atresmedia produit une ou deux séries sans spéculer sur leur réussite. La contribution de Netflix semble alors essentielle, la plateforme constituant une vitrine non négligeable et permettant de multiplier les retombées dans la presse.

Il est par railleurs souligné que contrairement à ses deux premières saisons, la troisième sera produite par Netflix. Il s’agirait d’une décision stratégique, suivant la tendance actuelle : ça a par exemple été le cas de la série Velvet avec Movistar. Néanmoins, Nacho Manubens Guarch avoue émettre quelques regrets, et ne pas avoir su jauger ce succès. Un succès tel, que d’après le baromètre hebdomadaire de la consommation SVOD NPA/Harris Interactive du 9 au 15 avril, la série s’est accaparée près de 10% de la consommation globale tous genres et toutes plateformes confondues. Nacho Manubens Guarch vit par ailleurs la réglementation imposant 30% de production européenne comme une belle opportunité.

Le directeur des contenus d’Atresmedia souligne enfin, tout comme Bibiane Godfroid, qu’il est important d’être indépendant des chaînes de télévision. La chaîne de télévision peut servir de tremplin mais ne constitue en rien une nécessité pour exister.

 

Gary Woolf, Vice-Président, ALL3MEDIA

Gary Woolf, vice-président de All3Media, insiste tout d’abord sur la nécessité d’internationalisation des structures de production et de distribution, facilitant les accords de co-production internationaux.  Il prend exemple sur sa société qui englobe 30 sociétés de productions à travers le monde notamment aux Etats-Unis, aux Pays-Bas, en Nouvelle-Zélande et en Grande-Bretagne. Estimant que le marché asiatique est en pleine expansion, la société a également récemment ouvert un bureau de ventes à Singapour. Mais All3Media n’oublie pas l’Europe, notamment pour développer des accords de co-production, au-delà d’accords globaux pouvant être conclus avec Amazon et Netflix.

Gary Woolf estime que le métier de distributeur a changé significativement dans le sens où il est beaucoup plus investi en amont du projet qu’auparavant, notamment dans toutes les étapes de la production de la série grâce à sa bonne connaissance du consommateur final et de la façon dont il pourrait visionner la série. De plus, le distributeur dispose d’un point de vue financier non-négligeable dans la production du projet. Quant à la façon de distribuer le projet abouti, deux marchés s’ouvrent au distributeur : soit la vente globale à des plateformes internationales, soit la vente pays par pays.

Sur la façon dont travaille All3Media avec les plateformes de streaming et les diffuseurs, le premier point à aborder concerne le financement du projet car, lorsque le projet est attaché au Royaume-Uni, la production a droit à des fonds de la part des diffuseurs et des commissions d’origine britannique. Pour statuer ce point financier, la force d’impact qu’a le service de streaming ou le diffuseur est essentielle afin de déterminer quelle sera la potentielle audience de la série.

Gary Woolf estime que la tendance actuelle tend vers le fait que le diffuseur se présente comme propriétaire du contenu diffusé pendant un temps, à l’image de la qualification de Netflix Originals par le service de SVoD sur certains contenus dont il a l’exclusivité territoriale de diffusion pour un territoire. Pour cela, le distributeur doit statuer sur les droits dont dispose le diffuseur un par un ainsi que sur la temporalité de ceux-ci. De plus, l’apposition du label « Netflix Originals » dépend de la somme proposée par le service mais aussi du territoire. Par exemple, un contenu britannique déjà diffusé sur le territoire en linéaire ne pourra jamais disposer de cette appellation, à l’image de la série Requiem produite par BBC One et présente dans le catalogue Netflix UK.

Interrogé sur l’arrivée prochaine de nouveaux acteurs dans le secteur du streaming tels que YouTube avec YouTube Red, Apple ou Facebook, il estime qu’il s’agit d’une opportunité intéressante sur le plan créatif. Mais les cibles et communautés visées étant différentes, il s’agira d’identifier spécifiquement le contenu à produire pour chacun d’eux.

Gary Woolf conclut son intervention sur le fait qu’il n’y a plus le producteur d’un côté et le distributeur de l’autre. Désormais, ils travaillent main dans la main tout le long du développement du projet, ce qui permet de plus gros partenariats et accords financiers.

 

Christophe Thoral, Président, LAGARDERE STUDIOS

Interrogé premièrement sur la notion de cibles géographiques pour la production et la distribution de contenus, Christophe Thoral justifie la stratégie d’expansion internationale de Lagardère Studios développée depuis plus de 5 ans (Espagne, Pays-Bas, pays nordiques, Afrique) par la notion d’investissements sur des talents ainsi que la circulation de formats et de la créativité entre les pays. De plus, par rapport à la distribution, la présence sur certains marchés renforce la puissance d’un distributeur. Par exemple, la présence d’un bureau à Madrid permet d’ouvrir le marché sur l’ensemble de l’Amérique latine.

Interrogé ensuite sur la proportion entre la distribution de productions internes et celle de productions tierces, ces dernières représentent « une grosse minorité » dans le catalogue de Lagardère Studios, à l’image de la série récente Arctic Circle présentée au dernier MIPTV, co-production finlandaise et allemande produite par Yellow Film et Bavaria fiction, et distribuée par Lagardère Studios.

Avec le développement des géants de la distribution de contenus comme Netflix ou Amazon, le métier de la distribution est aujourd’hui à un carrefour entre la vente de projets à des clients sur des territoires précis pouvant permettre un retour sur investissement important. Par exemple, Lagardère Studios distribue la télénovela espagnole El secreto del puente viejo (Boomerang TV) diffusée quotidiennement depuis cinq ans sur Antena 3 et qui connait un très bon succès à l’international, particulièrement en Italie sur Canale 5, alors que son action prend place au tout début du XXème siècle dans un village espagnol. De plus, avec un distributeur investi dans la production du projet, une série peut trouver davantage d’écho à l’international de par sa connaissance des attentes du public. L’autre solution consiste à vendre une seule fois le projet à des plateformes comme Netflix en un seul deal lorsque la série dispose d’un potentiel mondial. L’inconvénient de cette dernière solution est le développement en parallèle d’une vingtaine de versions, ce qui réclame des coûts logistiques supplémentaires. C’est pourquoi, le choix de la distribution dépend concrètement de la nature du projet. Christophe Thoral précise que le métier de distributeur ne doit pas avoir le réflexe de tout vendre aux plateformes mondiales afin de « ne pas assécher le marché » et garder de très bons projets pour la vente au détail, pays par pays, assurant ainsi la pérennité de ces deux marchés.

A propos de la division du marché qui est en train de s’opérer entre d’un côté les producteurs locaux traditionnels et de l’autre les nouveaux grands groupes privilégiant les contenus à finalité internationale, il s’agit d’une véritable opportunité selon Christophe Thoral. En effet, le segment purement national continue et doit continuer à exister. Et des contenus originairement nationaux peuvent avoir une destination internationale grâce à ces nouveaux acteurs.

Avec l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché du streaming comme Apple, YouTube ou Facebook, Christophe Thoral avoue les rencontrer régulièrement mais décèle chez eux une façon de faire totalement différente, en raison de leur immaturité dans les contenus audiovisuels, notamment Facebook. Quant à YouTube Red, ils seraient assez certains de ce qu’ils souhaitent et Apple ne fait pour le moment que des acquisitions couteuses. Chacun essaie ainsi de trouver son positionnement sur le marché qui reste encore très focalisé sur les Etats-Unis.

Le président de Lagardère Studios conclut son intervention par le constat d’une demande de contenus qui n’a jamais été aussi forte. Les distributeurs doivent ainsi être à l’écoute du marché et agiles dans les nouveaux modèles de financement qui seront mis en place. Ainsi de nouvelles façons de coproduction et de distribution vont coexister.

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