En introduction de cette table ronde, Caroline Huet, consultante senior NPA, présente 3 modèles de diversifications réussies extraits de la dernière étude NPA Conseil : « Groupe Médias : les nouveaux modèles économiques gagnants ».
ITV, tout d’abord, dont le revenu issu de la diversification représente 56% de son revenu global (3,7 Mds£) en 2017. Le groupe a initié dès 2010 une mutation complète qui repose sur les activités de production, tant pour ses propres canaux de diffusion que pour d’autres et sur une base de développement international. Ainsi, ITV a développé non seulement les productions et la vente des droits audiovisuels, mais a aussi opéré à des rachats successifs, dont Tetramedia en France, Cattleya en Italie et Apple Tree Productions au Danemark pour la seule année 2017. Une stratégie gagnante puisque les revenus de ITV Studios ont cru de 13% en 2017 par rapport à 2016, et de plus de 166% depuis 2010.
Deuxième exemple, CBS pour lequel la diversification représente 58% des revenus. Pour ce groupe, si les droits audiovisuels représentent encore une grande partie des revenus de la diversification (53%), les revenus liés à la distribution, abonnements et redevances des distributeurs TV, progressent de plus en plus, gagnants 12 points depuis 2012.
Enfin, ProsiebenSat.1, dont les revenus de la diversification, s’ils ne représentent que 45%, connaissent une progression rapide et devraient représenter en 2018 au minimum la moitié des revenus. Le groupe allemand a quant à lui misé sur les revenus du digital, mais surtout sur le segment investissement et e-commerce (21% des revenus en 2017). Sur le e-commerce, P7S1 se développe sur 4 verticales (voyages, comparateurs de prix, dating et lifestyle) en investissant sous deux formes : le media equity ou la prise directe de participation via SevenVentures.
Pour Caroline Huet, ces stratégies de diversifications vont de pair avec des stratégies de défense du modèle publicitaire, sur lequel les groupes sont aussi très actifs. Ainsi, les groupes vont travailler à étoffer leurs inventaires afin de les diversifier et de s’adapter aux nouvelles consommations (mobile, digital…) mais aussi de pouvoir proposer des opérations multimédia, à l’instar de ProsiebenSat.1 qui commercialise de l’affichage publicitaire. De même, les groupes vont proposer et travailler les opérations spéciales et le native advertising.
C’est le cas par exemple du Wall Street journal qui a créé le WSJ Custom Studios, dédié à ce type d’opération et dont la plus connue reste la création du site « Cocainenomics » pour accompagner la sortie de la série Narcos sur Netflix. Troisième axe de défense des revenus publicitaires, l’atteinte d’une masse critique via des alliances, notamment dans la data comme par exemple Gravity, ou pour proposer régies communes et des opérations pan européennes, comme EBX (TF1, ProsiebenSat.1, Mediaset et Channel 4).
Julie Medal-Johnsen, EVP global Content at ITV Studios
Julie Medal-Johnsen revient sur la diversification engagée par son groupe depuis 2010. Pour elle, la publicité reste très importante dans le modèle et la décision de faire grossir l’activité de production ne s’est pas faite au détriment du revenu des espaces. Au contraire, il s’agissait d’agir en parallèle d’actions autour de la publicité.
La stratégie d’ITV Studios est d’investir massivement dans les talents. Un investissement dans et en-dehors du Royaume-Uni. Ainsi, le marché américain est extrêmement important, mais ITV a aussi investi l’an dernier sur des marchés non anglophones. La stratégie est de disposer d’un catalogue qualitatif et quantitatif. Pour ce faire, il est nécessaire de laisser les talents s’exprimer. La philosophie d’ITV Studios est de repérer les meilleurs talents et leur faire confiance. Ainsi, le management d’ITV studio est minimal (3 personnes).
En termes de revenus, le Royaume-Uni reste majoritaire, les investissements hors UK ont vraiment débuté l’an dernier. Aux Etats-Unis, marché prioritaire pour ITV, les résultats sont attendus pour 2018 ou 2019.
Concernant la distribution, Julie Medal-johnsen, pense que la télévision gratuite reste un modèle viable. Elle reste le seul endroit qui permet de toucher des audiences massives. Les services OTT ou télévision payante viennent en complément, mais ne viendront pas remplacer la TV gratuite.
Concernant les distributeurs, la consolidation actuelle devrait se poursuivre, cependant pour les acheteurs, les options et achats différenciés devraient eux-aussi se poursuivre. Enfin, concernant les synergies possibles entre les différentes sociétés de production composant ITV Studios, la politique reste très libre. En effet, les synergies « forcées » ne peuvent pas fonctionner, ainsi les équipes facilitent les échanges entre entité tout en n’imposant rien.
Florian Pauthner, Président de SevenVentures
Pour Florian Pauthner, le développement d’ITV dans la production ou son travail au sein de SevenVentures ne sont pas si différents. En effet, il agit lui-aussi en investisseur, en utilisant l’inventaire publicitaire comme levier d’investissement dans des sociétés. SevenVentures investit dans des entreprises B-to-C, telles Zalando par exemple.
Ici, le business sera très centré sur le marketing et SevenVentures investira dans des sociétés en fin de développement (« Last Stage ») pour les aider à conquérir rapidement les marchés via du media for equity (échange d’espace publicitaire contre des actions) ou du media for revenues. Pour SevenVentures, la stratégie est très claire, investir dans des sociétés à fort potentiel de croissance. Par ailleurs, la filiale de P7S1 est aussi une source d’information sur des sociétés plus jeunes pour l’ensemble des sociétés du groupe qui sont en mesure d’investir, via des prises de participation minoritaires par exemple, dans ce type d’early-stage companies.
Florian Pauthner estime que les différences d’investissements entre, par exemple la France et l’Allemagne, en media for equity viennent notamment de la vision développée dès 2009 par ProsiebenSat.1 d’investir dans l’internet et du choix fait à l’époque d’en faire un véritable business en acceptant la prise de risque inhérente. Concernant les métriques, SevenVentures mesure les retours sur son propre portfolio d’investissements, mais il est complexe de mesurer par rapport à une vente directe d’espace car les investissements se font sur le plus long terme. L’objectif du groupe est que l’activité soit rentable et s’auto-finance, ce qui est le cas actuellement.
Kim Younes, Directrice marketing des innovations et des études M6 Publicité
Kim Younes confirme très certainement une différence de culture et d’objectifs pour les différents groupes dans le Media for equity. Ainsi, même si M6 a investi dans un certain nombre de start-up ces dernières années, elle voit aussi trois limites principales pour le groupe français dans le développement de ce type d’investissement. Tout d’abord, trouver des start-up au bon stade de développement, avec un service suffisamment solide pour absorber les volumes draînés par la publicité TV. Ensuite, la difficulté à industrialiser cette opération, le média se négociant au coup par coup et la valorisation des attendus restant très largement supérieure aux participations proposées. Enfin, la disponibilité des espaces sur les médias du groupe M6, dont l’intégralité des inventaires est quasiment commercialisée.
Le Media for equity reste donc assez contraint pour M6. En revanche, le groupe dédie une équipe aux opérations de Media for revenue. Celles-ci vont nécessiter un minimum d’investissement de la part de l’annonceur et un engagement moyen terme (2 à 3 ans), afin de permettre un suivi d’impact et l’adaptation des campagnes. Cette situation est partagée dans l’ensemble du groupe RTL.
M6 avait bien investi dans des sites e-commerces, notamment MisterGoodeal, mais l’activité a été revendue depuis. Pour autant, le pôle Vente à distance (Ventadis), né dans les années 90 avec le téléshopping, continue son activité et a évolué vers du e-commerce. Ces activités de diversification au global ont largement progressé. La part du revenu publicitaire est aujourd’hui de 65% contre 90% il y a dix ans. Même si elles se développent, ces activités de diversification restent complémentaires.
Concernant la défense des revenus publicitaires, Kim Younes cite trois axes. En premier lieu, l’optimisation et la valorisation de l’offre, via le Yield Management qui permet à la régie de vendre des espaces particulièrement valorisés au plus offrant, ou la contextualisation, pour laquelle le groupe dispose d’une solution permettant de cibler émotionnellement les publicités. Second axe de défense, la recherche de nouveaux inventaires et de nouveaux clients plus « petits ».
Enfin, un troisième axe se développe autour des nouveaux gisements de revenus via la libéralisation des secteurs réglementés et la publicité segmentée. Sur ce dernier sujet, M6 travaille avec l’ensemble du marché dans le cadre du SNPTV depuis plusieurs années. L’étude de marché effectuée dans ce cadre estime le potentiel de la publicité adressée à 200 millions d’euros supplémentaires d’ici à 2022 dont 60% par la géolocalisation. Un potentiel qui pourra être atteint si des décisions sont prises d’ici 2019.
Concernant les data récoltées via des login, M6 dispose aujourd’hui de 21 millions de profils et ne devrait pas être impactée par le RGPD, notamment parce que le groupe se prépare déjà depuis un an afin d’être en conformité. De plus, M6 estime que le risque de pertes de profils qualifiés dû à la mise en place du règlement sera très minime.
Thomas Brémond, General Manager de FreeWheel – Comcast
Thomas Brémond confirme l’intérêt de la publicité adressée pour permettre aux médias de contrer Facebook ou Google. Ainsi, Comcast qui vend de l’espace publicitaire sur son réseau câblé aux Etats-Unis, a choisi d’investir dans sa propre plateforme technologique pour permettre l’adressage des publicités. A présent, le groupe propose sa plateforme aux autres sociétés, faisant ainsi le lien entre les plateformes de contenus et les distributeurs. Actuellement, NBC fait 100 millions de dollars de chiffres d’affaires sur la publicité segmentée (sur 8 milliards de revenus de la publicité au global).
En guise de conclusion, Thomas Brémond partage l’expérience NBC sur la publicité adressée. Pour lui, au-delà d’ouvrir le marché à de nouveaux acteurs, elle permet de baisser drastiquement le coût marginal de la couverture supplémentaire à une campagne TV classique. Kim Younes résume les échanges à travers 3 mots : rationalisation, complémentarité et ROI. Pour elle, l’ensemble des groupes sont amenés à travailler sur la meilleure manière de quadriller et de couvrir les territoires via une expérience publicitaire enrichie avec une attention toute particulière à retour sur investissement. Florian Pauthner confirme que la TV restera le meilleur moyen pour toucher les masses et que les opportunités de ciblages sont de réelles opportunités pour les médias dans leurs modèles classiques, mais aussi pour leurs activités d’investissements, car en enrichissant les inventaires, c’est de la valeur qu’il propose à ses clients. Enfin Julie Medal-Johnsen souligne la grande richesse des exemples de changements possibles en train de s’opérer pour les groupes médias et le fait que les différents acteurs, via la technologie, la créativité et les évolutions réglementaires sont en train de modifier profondément le paysage.