TR : Les nouveaux acteurs
Les « Geeks » à l’assaut des marques médias historiques. Passage de relai ?
Pascale Bonnard, Fondateur d’A-Mano
En se connectant à un wifi, ou via un QR-code ou un tag NFC, A-Mano devient une page d’accueil automatique, sans téléchargement et géolocalisée : A-Mano est uniquement accessible dans un lieu déterminé. La fondatrice d’A-Mano explique son pari d’agréger des contenus sur ces plateformes de manière à livrer aux visiteurs des informations qui les aident dans leur parcours. Les clients français sont Viparis, France Galop, les Hôtels Accor (Mama Shelter).
A l’étranger, A-Mano est présent dans plusieurs pays dont l’Italie et a également monté une filiale à Dubaï. En 2015, A-Mano a enregistré entre 700 000 et 800 000 visiteurs sur son application.
Pascale Bonnard précise qu’il s’agit d’un modèle B2B : « les plateformes d’A-Mano sont créées pour ces lieux en particulier ». Par ailleurs, la fondatrice explique sa relation difficile avec les médias traditionnels et leur résistance au changement : « Nous agrégeons les flux RSS de la presse française et internationale mais il est difficile de récupérer des contenus plus premium. Les organes de presse ont énormément de patrimoine d’information mais ils sont peu enclins à les diffuser, alors que les clients sont prêts à acheter ces contenus ».
Frédéric Daruty, Directeur Exécutif de Prisma
Le 26 octobre, Prisma lançait Serengo, le nouveau magazine féminin, destiné aux femmes de 50 ans et plus. Côté numérique, le groupe allemand a décidé de s’allier avec un nouveau pure player anglo-saxon qui arrivera en France début 2016 : le site économique Business Insider. Le lancement est prévu sur différents supports dont éventuellement le support papier.
Pour Frédéric Daruty, « aujourd’hui, les marques médias, celles qui ont de vraies valeurs, nous intéressent quelles qu’elles soient. Avec Business Insider, nous avons une marque de qualité avec un véritable capital ».
Il s’agit ainsi pour le groupe, d’offrir des contenus différenciants et complémentaires de leur offre actuelle, qui propose des thématiques féminines, divertissantes, découverte, ou complémentaire sur des sujets économiques (Prisma propose déjà Capital ou Harvard Business Review).
Aujourd’hui, le groupe est davantage sensible aux valeurs d’une marque et à la manière dont elle est perçue et identifiée plutôt qu’à son origine. Mais alors que la tendance actuelle est d’aller vers des supports numériques, Prisma continue d’avoir une réflexion fortement tournée vers le print : « 80% de notre chiffre d’affaires se fait sur le print » précise Frédéric Daruty. Pour autant, le Directeur Exécutif défend sa présence sur le numérique : « sur la vidéo, le groupe compte 30 millions de vidéos vues chaque mois, et investi dans production propre pour le numérique depuis quelques mois ». Enfin, il souligne le « vrai levier de croissance » que sont les réseaux sociaux qui ont notamment fait gagner des parts d’audience à Business Insider aux Etats-Unis (3,5 millions de fans Facebook et 1,4 million d’abonnés Twitter).
Cédric Siré – Fondateur de Webedia
La question est inévitablement posée de l’équilibre entre les modèles payants et les modèles gratuits. Quel est le modèle économique performant ? Pour Cédric Siré, son business model s’appuie sur la ve rticalisation de ses activités. Les thématiques de niche sont choisies (cinéma, jeux vidéo, gastronomie, mode, tourisme), sont alliées à une logique internationale, avec des contenus les meilleurs possibles. Puis l’objectif est de réfléchir à ce qui peut être vendu à ces communautés et comment les marques peuvent s’appuyer sur ces thématiques. « La vente de contenus dématérialisé, le e-commerce opéré de bout en bout est un relai de croissance fort : il s’agit d’une intégration verticale des ensembles » indique Cédric Siré.
Concernant le modèle qui s’appuie sur la vidéo et les changements des processus de production, Cédric Siré rappelle le cas de Mixicom qui a compris la grammaire spécifique de la vidéo et la manière d’investir sur ces nouvelles grammaires en fertilisant les rédactions. Chez Webedia, ces nouveaux formats sont utilisés sur les publicités vidéo pour qu’elles soient mieux acceptées.
« Je ne crois pas au modèle vidéo tel qu’il est utilisé aujourd’hui sur le web. Le futur du web n’est pas constitué de vidéos de 30 secondes suivies de vidéos de 30 secondes. Il faut changer ce business model ». « Notre modèle est plus une ruche qu’un silot ». Cédric Siré décrit un modèle d’intégration naturelle, avec une mutualisation des moyens, des ressources et des expertises. Un modèle qu’il tente de répliquer à l’international dans les pays suivants : Brésil, Allemagne, Moyen-Orient, Espagne, Turquie, et une réflexion en cours sur le marché américain.
Benjamin Lassale, Directeur Général de VICE France
L’annonce du lancement de 12 chaînes TV Vice en Europe s’inscrit dans la continuité de l’histoire du groupe média américain. Ce n’est toutefois « pas une annonce ferme » puisque Vice a seulement « ouvert des discussions avec acteurs européens » en envisageant « beaucoup de scénarios différents, comme par exemple des sous-traitances par acteurs locaux ou des networks ».
Benjamin Lassale a souhaité rappeler que Vice « n’était pas si jeune que ça », puisque la marque-média a 20 ans. Vice est en effet né sous la forme d’un magazine Print en 1994 à Montréal, puis, naturellement, le magazine s’est adapté assez tôt aux nouveaux usages.
Ce n’est qu’en 2003 que Vice a fait sa véritable révolution en commençant sa production vidéo, qui s’est muée en WebTV en 2007 et site web hybride en 2011.
Vice se caractérise par une très bonne connaissance des centres d’intérêts de sa cible 18-35 ans dans les registres de « la musique, l’art, le sport, l’information, le divertissement, la cuisine ». Vice se définit comme un média « Support Agnostique », pensant le contenu avant de penser le support, « on ne part pas dans l’idée qu’un contenu est print ou digital, on peut se servir d’un de nos contenus pour un documentaire sur France 4 en France et du même contenu pour notre site dans un autre pays ». Vice propose « un contenu premium qui est rentabilisé sur différents supports et distribué internationalement ».
En termes de contenus vidéo et de thématiques, le ratio est de 20% de contenus locaux contre 80% de contenus vidéo à visée internationale. Dans le choix de ses sujets, Vice privilégie toujours « des histoires qui trouvent une résonnance mondiale ». Benjamin Lassale observe que, malgré le fait que Vice soit un titre d’actualité, « ce n’est pas vraiment du contenu chaud », même si les échanges entre les 36 pays où Vice est présent sont quotidiens.
Vice totalise 100 millions de visiteurs uniques par mois, dont 5 millions en France. Le groupe a prévu de continuer son déploiement de verticales en se renforçant dans ses trois domaines de prédilection :
- La production de contenus
- La production d’événements
- La production digitale
Benjamin Lasalle estime enfin que la force de Vice et ce qui le préservera, « c’est la qualité du contenu ».
Franck Annese, Directeur de la Rédaction de Society
Franck Annese décrit la genèse des magazines « So », comme un projet né de « manière intuitive presque par accident » par « une bande de potes » qui a lancé des magazines autour de ses sujets d’intérêts : le foot, la culture, les enfants, le cinéma, la musique et l’information. Franck Annese estime que le succès de ses magazines est facile à comprendre : « à partir du moment où le contenu n’est pas déceptif ça marche ». Les fortes ventes des magazines sont moins liées à la communication (à l’exception du lancement de Society) qu’au bouche à oreille, au réseau et à l’affinité qui existe entre lecteurs et journalistes.
Le nouveau magazine Society est vendu à 50 000 exemplaires par numéro, ce qui est « très bien au regard du marché peu portant de la presse Print ». Le lancement du magazine en print a demandé plusieurs années d’efforts économiques au group et a coûté 8 millions d’euros. Le titre sera prochainement décliné dans une version numérique « sophistiquée ».
Il n’est pas dans les projets immédiats de « So » de s’adosser à un groupe (plusieurs propositions ont pourtant été faites) : son « mode de fonctionnement nécessite d’être indépendant ». Cependant Franck Anesse ne rejette pas totalement l’idée. Le chiffre d’affaires du groupe sera de 12 à 15 millions d’euros fin 2015 pour 70 à 75 permanents (38 journalistes, 30 pigistes et un personnel administratif limité). 70% des revenus des titres sont liés à la vente au numéro, contre 30% pour les recettes par abonnement.
Dans l’immédiat le groupe « So » prévoit de regrouper ses activités vidéos au sein d’une entité nommée « AllSo » regroupant la production de contenus pour les marques et la TV (le groupe réalise des contenus pour des sites et écrit des sketchs et des séries pour la TV). La rentabilité économique n’est pas la priorité du groupe, « on fait des choses non rentables – comme produire des disques – pour se faire plaisir ».
Hervé Digne, Président de Postmedia Finance
Hervé Digne se pose la question de la rationalité économique des mouvements en cours : est-ce un changement de génération ? Est-ce un changement d’acteurs ? Est-ce un changement de lignes de force ?
Du point de vue du banquier d’affaire, « les groupes traditionnels cherchent à rester dans une logique de média », en se développant tous azimuts grâce à l’intégration des talents du web. Pour Hervé Digne, on assiste à un fort mouvement de consolidation caractérisé par « un renforcement des sociétés de production à l’échelle mondiale comme Banijay-Zodiak ou Endemol-Shine ». Il note toutefois qu’avec « l’irruption du numérique, le lien s’est désarticulé avec d’un côté des groupes très forts dans le contenus, et d’autres très forts dans l’accès au client ». Le cas de consolidation français TF1-Newen n’est pas isolé, on assiste au même phénomène en Grande-Bretagne avec par exemple le rapprochement ITV-Talpa. Les entreprises des Télécoms et les entreprises des contenus devraient également continuer à se rapprocher : « ce n’est pas juste une opportunité, c’est une direction durable ».
Entre le mouvement de consolidation des groupes et la montée en puissance de nouveaux entrants, Hervé Dine « ne sait pas quel mouvement l’emportera », mais il observe qu’une recherche de valorisation financière est à l’œuvre.
Hervé Digne juge également que les prix de ventes des entreprises médias sont en train de remonter : « le segment du print a plongé par le passé mais à voir les transactions actuelles, l’investissement dans les talents et la transformation numérique, cette époque est derrière nous et les prix se redressent. »
Il juge que le prochain secteur porteur pour les investissements des groupes média sera celui du secteur de la data : « c’est un secteur qui a longtemps été négligé par les médias, or il s’agit d’un secteur clé car l’analyse de la data permet de toucher le client, et tout le monde est à la recherche de la cible ».