Les applications de réalité virtuelle appliquées au cinéma ne sont pas à proprement parlé une nouveauté. Mais Paramount lance en partenariat avec la start-up spécialisée BigScreen une expérimentation qui en cas de succès pourrait conduire à utiliser les casques VR comme une plateforme dédiée à une nouvelle fenêtre d’exploitation pour les films. Paramount apporte ainsi une contribution originale aux différents projets des studios pour redynamiser le marché du Home Entertainment.
Paramount a choisi d’utiliser la plateforme de réalité virtuelle BigScreen, avec laquelle il a noué un partenariat, afin de promouvoir la réédition en blu-ray de la version 3D de Top Gun. Concrètement, le dimanche 3 décembre prochain, et pour 24 heures seulement, toutes les personnes équipées d’un casque de réalité virtuelle compatible avec l’application BigScreen, soit ceux qui utilisent les plateformes Oculus Rift, SteamVR (HTC Vive, Fove, Pimax, etc.) ou WindowsMR (Dell, Acer, Lenovo, HP, Samsung) pourront se connecter depuis leur ordinateur à la plateforme bigscreenVR.com pour bénéficier gratuitement d’une projection de Top Gun 3D. Il ne s’agit pas seulement d’une séance de vidéo à la demande, fusse-t-elle en VR, mais bien d’une expérience complète de projection dans une salle de cinéma virtuelle. Ainsi, l’avatar du spectateur pourra déambuler dans le cinéma, choisir son fauteuil dans la salle, échanger virtuellement avec ses voisins eux aussi connectés au même moment (la dimension sociale est centrale chez BigScreen positionné depuis sa naissance en 2014 sur le jeu en réseau local). Et des bandes annonces (des films Paramount a priori…) seront proposées avant le début de la projection du film sur l’écran de cinéma virtuel. Pendant les 24 heures de l’expérimentation, une séance débutera toutes les 30 minutes, soit 48 séances possibles pour retrouver Top Gun 3D. Paramount a par ailleurs annoncé que l’expérience serait reconduite en 2018 avec d’autres films à commencer par Terminator 3D.
L’expérience peut paraître modeste à plusieurs égards. D’abord, si BigScreen est en train de s’installer comme un partenaire incontournable pour la VR appliquée aux contenus audiovisuels professionnels, sa plateforme n’est encore utilisée que par 250 000 personnes pour une utilisation moyenne de 20 à 30 heures par semaine et par utilisateur (données 2016 révélées en octobre 2017 sur le blog de la start-up). Ensuite, si l’expérience de Paramount est inédite dans sa forme (un évènement promotionnel de 24 heures ouvert à tous), il existe déjà des applications VR pour la consommation de vidéo à la demande. BigScreen lui-même ne crée pas de toute pièce l’application nécessaire pour la séance de Top Gun mais personnalise simplement aux couleurs de l’évènement son application Cinema déjà utilisée par Netflix pour proposer une expérience VR et sociale à ses abonnés équipés de casques. Si BigStreen n’a pas inventé le concept (Cineveo proposait une expérience similaire mais a fermé boutique au mois de mars alors que RiftMax Theater reste confidentiel avec 4300 téléchargements…) c’est aujourd’hui sa solution qui s’impose auprès de l’industrie. Enfin, le choix des films de catalogue Top Gun et Terminator par Paramount est également déroutant. S’il s’agit certes des versions 3D de films devenus de véritables classiques, le choix est aussi celui d’une prise de risque minimale. Il faut sans-doute y voir un signe de manque de maturité des technologies VR qui ne permettent pas encore une expérience visuelle à la hauteur des attentes d’un studio pour l’une de ses dernières productions.
Mais malgré ces retenues, l’expérimentation mérite l’attention.
Elle confirme tout d’abord l’intérêt croissant des studios américains pour la VR et le divertissement immersif même si le sentiment dominant est celui d’une profonde interrogation quant aux usages appliqués à l’industrie de l’audiovisuel. Les prévisions de développement des revenus du marché de la VR affolent Hollywood qui ne souhaite pas rater les opportunités offertes par la technologie sans avoir pour autant trouver le meilleur moyen d’y participer. Alors que la quasi-totalité des revenus du marché proviennent aujourd’hui des ventes de matériel, les productions de contenus VR premium coûtent cher (la somme de 1M$/minute circule à comparer à des coûts de 2 à 4M$/minute pour un film de cinéma) rendant l’équation économique encore impossible à résoudre. Dès lors, les expérimentations des studios tournent essentiellement autour de jeux vidéo (Batman: Arkham chez Warner Bros.), de bandes annonces enrichies (Spider-Man: Homecoming chez Sony) ou de films courts utilisant les licences sur lesquelles ils ont des droits (The Martian VR Experience ou Alien: Covenant chez Fox, directement produits par une branche spécialisée du studio, FoxNext VR Studio). Malgré la multiplication des Labs (dont Viacom NEXT pour Paramount) ou des investissements directs d’Hollywood dans plusieurs studios de production VR – Fox, Warner et MGM ont investi 10M$ dans Dreamscape ; Disney a investi 66M$ dans Jaunt – la technologie reste pour l’instant utilisée pour de la promotion et du matériel additionnel plutôt que pour des productions ambitieuses nativement faites pour la VR.
L’expérience de Paramount s’inscrit donc dans une voie complémentaire où la VR n’est pas utilisée pour le contenu lui-même, qui reste le film traditionnel en 3D disponible également sur les autres supports, mais précisément comme un nouvel outil, un nouveau support de diffusion. Fox Home Entertainment suit la même voie en vendant (14,99$) sur la plateforme Oculus Video des versions VR de certains films à grand succès (Die Hard par exemple) adaptés pour une expérience de salle virtuelle (écran géant virtuel, salle à 360°…). L’originalité de Paramount est de coupler cette nouvelle forme de diffusion avec une dimension évènementielle qui dépasse la simple promotion ou l’ajout de son catalogue sur une énième plateforme de vidéo à la demande. C’est cet aspect qui pourrait constituer un jalon important qui permettrait à la réalité virtuelle de s’imposer comme un outil au service des industries de contenus pour la projection d’événements spéciaux. A ce titre, même si l’expérience reste limitée à du catalogue, Paramount s’inscrit pleinement dans les réflexions en cours de l’ensemble des studios pour faire évoluer le modèle de distribution traditionnel avec l’instauration de nouvelles fenêtres à même de dynamiser le marché du Home Entertainement en déclin depuis plus d’une décennie (-7% en 2016, hors activité SVoD). Le choix de Top Gun est pour l’instant très éloigné du projet de Premium VOD, poussé par cinq des principaux studios hollywoodiens (sans Disney) et qui consiste à avancer la fenêtre VOD quelques semaines seulement après la sortie salles. Mais en cas de succès et au fur et à mesure de l’équipement des foyers en casques VR et des avancées en termes de résolution de l’image, la séance virtuelle de cinéma pourrait apporter une réponse intéressante avec une fenêtre PVOD dédiée et des partenariats avec les exploitants de salles.
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Le dernier rapport du cabinet spécialisé Canalys fait état d’une accélération des ventes de casques de réalité virtuelle. Un million de casques ont été vendu au troisième trimestre 2017, première fois que ce seuil symbolique est franchi. Canalys estime que c’est la baisse des prix, notamment chez Oculus, qui explique cette dynamique. Au cours du troisième trimestre, Sony a confirmé son statut de leader du marché avec 490 000 ventes du PlayStation VR (PS VR). Oculus (Facebook) se place en deuxième position avec 210 000 casques Rift livrés. HTC complète le podium grâce à 160 000 casques Vive VR. Les trois sociétés représentent 86% de part de marché des casques VR au troisième trimestre. Enfin, Canalys prévoit une nouvelle accélération l’année prochaine grâce à l’intérêt des constructeurs de PC qui déploieront de nouveaux casques compatibles avec la plateforme Windows Mixed Reality de Microsoft.