L'édito de Philippe Bailly

Vous souhaitez recevoir l’Insight NPA ?

Pourquoi le MVNO Google ouvre son Project Fi à l’ensemble des américains

Google a décidé d’ouvrir à l’ensemble des américains la commercialisation de son offre mobile Project Fi en supprimant le système d’invitation qui en limitait l’accès. La décision apporte une nouvelle consistance à la stratégie de Google dans les réseaux. De la fibre optique aux ballons stratosphériques en passant par le Wi-Fi, Google multiplie les alternatives afin de maintenir sous pression les opérateurs traditionnels et perturber les équilibres existants.

Les atouts et les limites de Project Fi

Project Fi a été officiellement lancé en avril 2015. Depuis cette date, Google est donc est un opérateur de réseau mobile virtuel aux Etats-Unis (MVNO) proposant ses propres offres grâce à des accords avec Sprint et T-Mobile (numéros 3 et 4 du marché ) (1) pour l’utilisation de leurs infrastructures de réseau. L’originalité de Project Fi repose à la fois sur l’innovation et la politique tarifaire.

1L’innovation d’abord puisque Project Fi n’a pas été pensée comme une offre cellulaire traditionnelle mais comme une offre hybride associant les réseaux LTE – 4G des deux partenaires avec un réseau de plus d’un million de Hotspots Wi-Fi ouverts et gratuits, sélectionnés par Google pour leur qualité. Concrètement, les cartes SIM du Project Fi permettent une transition instantanée et transparente entre les réseaux des deux opérateurs d’une part et les réseaux Wi-Fi disponibles d’autre part. Ce, à la fois pour les communications et la navigation sur internet. Une application dédiée, « Wi-Fi Assistant » sélectionne automatiquement le réseau le plus performant afin d’y faire transiter les données. Le Wi-Fi est systématiquement privilégié, les réseaux cellulaires ne prenant le relais qu’en cas d’indisponibilité ou de débit insuffisant. Les usages Data via Wi-Fi ne sont bien sûr pas décomptés des forfaits mobiles. De plus, lorsque le téléphone est connecté à un Wi-Fi public les données sont systématiquement sécurisées grâce à un système de cryptage.

2
source : Google

Les prix et la souplesse de l’offre représentent le second atout. Les offres sont proposées sans engagement, avec une grille tarifaire extrêmement simple. Un abonnement standard unique (Fi Basics) permet pour 20$ par mois de bénéficier d’un forfait voix et SMS illimités aux Etats-Unis ainsi que du roaming dans 120 pays grâce à des accords avec les opérateurs locaux (le débit néanmoins est limité à 256 kbps soit l’équivalent d’une connexion 2G EDGE). L’internet mobile est illimité mais ne concerne que les réseaux Wi-Fi. Pour bénéficier d’un forfait data sur les réseaux cellulaires, Google facture 10$ par gigabit utilisé chaque mois. Le forfait complet incluant 1 giga de data est donc facturé 30$/mois. Et il faut compter par exemple 40$ pour 2 Go, 50$ pour 3 Go ou 70$ pour 5 Go. Si un utilisateur dépasse son plafond data avant la fin du mois, un Go supplémentaire est automatiquement facturé. En revanche, Google rembourse en fin de mois la somme correspondant à ce qui n’a pas été utilisé. Chaque abonné ne paye donc exactement que ce qu’il a effectivement consommé. Enfin, les abonnements Project Fi permettent d’utiliser le tethering, le partage de la connexion internet du mobile avec d’autres périphériques. Le téléphone peut donc être utilisé comme un modem.

Une des principales limites de l’offre est tombée le 8 mars dernier avec l’ouverture commerciale à tous les américains, mettant fin au système d’invitation préalable. Mais il en reste au moins deux toutes aussi importantes. D’abord une compatibilité matérielle très restreinte. La carte Sim de Project Fi ne fonctionne aujourd’hui que sur trois téléphones mobiles de la gamme Google Nexus (2) : le Nexus 6P (Huawei), le Nexus 5X (LG) et le Nexus 6 (Motorola, fabrication arrêtée en 2015). Depuis le 8 mars Google propose d’ailleurs une remise importante sur le modèle 5X proposé à 199$ aux abonnés Fi au lieu de 349$ (modèle 16GB). Un choix très restreint donc, qu’il convient néanmoins de nuancer. De fait, depuis décembre 2015, tous les abonnés de l’offre standard (voix et texte à 20$/mois) peuvent commander une nouvelle carte Sim « data-only »compatible avec cinq tablettes : Nexus 7 (Asus), Nexus 9 (HTC), iPad Air 2, iPad Mini 4 et la Samsung Galaxy Tab S. Chaque abonné peut déclarer jusqu’à 9 terminaux sur son compte pour profiter des forfaits data à 10$/Go de données sur les réseaux cellulaires. Il s’agit d’une évolution importante puisque les opérateurs américains tirent une partie non négligeable de leurs revenus de la commercialisation d’offres de plans de données multiples (autant de forfaits que d’appareils connectés) ou de plans partagés (avec un prix de marché +10$ par appareil supplémentaire sur le même forfait).

La deuxième limite est liée aux réseaux cellulaires des deux partenaires, moins développés géographiquement et moins performants que ceux des deux leaders à commencer par Verizon. Si comme sur d’autres marchés les Big Four revendiquent tous le meilleur réseau se basant sur une multitude d’expertises indépendantes, souvent contradictoires, c’est bien Verizon qui dispose de la couverture la plus importante à l’échelle du pays et, de par son histoire des portions de spectre les plus intéressantes selon la FCC.

Les ambitions réelles de Google

Project Fi permet à Google de proposer sur le segment du mobile une offre transversale, totalement intégrée dépassant le modèle vertical d’Apple en ajoutant une brique réseau en plus du matériel (Nexus), de l’OS (Android) et de l’écosystème maison. Cette dimension est réelle et permet comme sur le fixe avec Google Fiber de maitriser de bout en bout l’expérience utilisateur (et les données) centrée sur les services Google.

Mais, comme dans le cas de Google Fiber, Fi n’ambitionne pas de devenir au sein d’Alphabet un projet dominant. La part de marché est dérisoire à l’échelle du pays et l’objectif n’est pas de concurrencer directement ou frontalement les offres de téléphonie mobile des quatre opérateurs dominants. En revanche, Fi s’inscrit parfaitement dans la stratégie de l’ensemble des acteurs technologiques de multiplier les investissements et les expérimentations innovantes dans l’amélioration de la qualité et de la couverture des réseaux à haut et très haut débit.

Les bénéfices sont évidents sur les marchés en développement où l’on ne compte plus le nombre de projets : Projet Link de Google en Ouganda (Fibre), projet Loon d’Alphabet pour apporter de la connectivité dans les zones les plus reculées, investissements de Facebook dans le câble sous-marin Asia–Pacific Gateway (APG), recherches de Microsoft sur les fréquences libres du spectre de diffusion TV (« TV white space »)… Dans tous les cas l’objectif est de développer la connectivité pour intégrer de nouvelles populations au sein des écosystèmes des géants du numérique. La situation est différente dans le cas de Project Fi limité au marché domestique de Google. Comme pour Fiber, l’objectif principal n’est pas tant de devenir un fournisseur d’accès réseau à part entière mais de maintenir sous pression et sous contrôle les opérateurs existants en se positionnant sur des solutions alternatives. Comme tous les acteurs dépendants de l’accès pour leur modèle économique, Google considère comme une menace majeure le déficit de concurrence et les situations de monopoles. Une situation d’autant plus risquée dans le mobile où les 4 opérateurs concentrent 99% du marché et Verizon et AT&T près de 70% a eux seuls. Dans ce contexte, les mouvements de concentration (rachat de DirecTV par AT&T) et surtout le développement de nouvelles offres flirtant avec les règles de la neutralité du net en excluant les services propriétaires des forfaits de consommation Data (Go90 pour Verizon, Binge On pour T-Mobile…) renforcent l’inquiétude de Google.

Project Fi vise donc principalemet à légitimer et à dynamiser les offres alternatives qui favorisent le Wi-Fi ouvert et gratuit comme technologie de connexion à l’internet mobile. Google mise sur le mobile par Wi-Fi pour développer la concurrence et limiter sa dépendance aux réseaux cellulaires. Dès lors, peu importe le gain d’abonnés direct ; l’enjeu est moins important que celui d’enrichir l’écosystème autour de ce type d’offres non traditionnelles. Les offres hybrides Wi-Fi cellulaires ne sont pas une exclusivité de Google aux États-Unis. Le MVNO Republic Wireless propose depuis 2011 une offre similaire quoique moins riche puisque reposant sur un partenariat avec un seul l’opérateur, Sprint. Mais il est évident que l’arrivée d’un acteur du poids de Google permet des avancées autrement plus conséquentes en termes de marketing ou de recherche et développement. Comme pour le gigabit sur le fixe, les effets d’entrainement sont immédiats et permettent de mettre en mouvement l’ensemble de l’écosystème et de perturber les positions existantes. Dès novembre 2015 Verizon a embrayé pour inclure dans son offre un forfait prépayé uniquement Wi-Fi avec appels et SMS illimités plus des options datas cellulaires très proches du Project Fi (3) . De la même manière, les initiatives se multiplient chez les cabloopérateurs pour qui le Wi-Fi est devenu essentiel dans leur stratégie de riposte aux offres des opérateurs convergents : Cablevision et Comcast aux Etats-Unis, Liberty Global en europe…

Google prend donc sa part pour animer ce marché alternatif aux côtés des telcos et des cablos, sachant que, dans tous les cas, la baisse des prix de l’accès mobile et le gonflement des enveloppes data disponibles grâce à un déchargement des réseaux cellulaires vers les réseaux Wi-Fi bénéficieront directement à son écosystème.

[1] Top 5 des opérateurs de téléphonie mobile aux Etats-Unis (T4 2015) : Verizon Wireless (140 millions d’abonnés), AT&T Mobility (128,6 millions), T-Mobile US (63,2 millions), Sprint Corporation (58 millions) et U.S. Cellular (5 millions)

[2] Au lancement du projet en avril 2015 un seul modèle était compatible, le Nexus 6

[3] 5$ pour 500 MB sur 30 jours ; 10$ pour 1GB sur 90 jours ; 20$ pour 3GB sur 90 jours

Vous êtes abonnés à l’Insight NPA ? Merci de renseigner vos identifiants pour accéder à l’ensemble de cet article.

Pas encore inscrit à l'Insight NPA ?