L'édito de Philippe Bailly

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Radio Numérique Terrestre : une Europe à deux vitesses

La ville de Bodø en Norvège est entrée dans l’histoire radiophonique le mercredi 11 janvier dernier en devenant la première ville à basculer dans la radio uniquement numérique et à débrancher son réseau FM. La Norvège va progressivement opérer ce basculement à l’échelle nationale durant l’année pour devenir entièrement numérique d’ici à la fin 2017. Le pays deviendra ainsi le premier au monde à passer exclusivement à la RNT.

Les avantages de la RNT :

–          Meilleur qualité du son,

–          Coûts de diffusion moins importants que pour la FM,

–          Possibilité d’enrichir le signal sonore avec d’autres contenus comme du texte, des images, des vidéos ou des messages d’alertes,

–          Diffusion potentielle d’un nombre de stations plus importantes

–          Possibilité de pouvoir stopper ou rembobiner la diffusion en direct.

L’exemple de la Norvège laisse entrevoir un avenir prometteur pour la RNT. Ce pays, précurseur en la matière, pourrait montrer la voie à suivre pour l’ensemble du vieux continent. Aujourd’hui, huit pays de l’Union Européenne ont plus de 95% de leur population couverte. Une proportion qui passe à  56% si l’on raisonne à l’échelle du continent. Pour autant, la Norvège reste un cas particulier. La géographie du pays, avec ses fjords et ses montagnes, rendait en effet la diffusion FM assez chère. De plus, il n’y a que 5 millions de norvégiens et une grande partie de la population est concentrée dans la capitale ou dans les villes côtières. Une situation qui n’est pas comparable avec de nombreux autres pays dont la France, avec ses 65 millions d’habitants dont seulement 15% vivent dans une agglomération de plus de 100 000 personnes.

En Europe, la Suisse, où la radio numérique terrestre représente déjà 53% de l’audience radio au printemps 2016, va suivre l’exemple de la Norvège à l’horizon 2024. Au Royaume-Uni, 97% de la population est couverte et l’écoute en RNT représentait 46% de l’audience au troisième trimestre 2016. En Allemagne, 95% de la population est couverte mais l’audience ne représente que 12%. Aux Pays-Bas, 95% de la population est couverte pour 30% d’audience en 2016. Ces pays pionniers en la matière restent néanmoins minoritaires parmi les pays de l’Union Européenne.

La majorité des autres pays, bien qu’ayant un taux de couverture supérieur à 50% dans la plupart des cas, ont stoppé le développement de la RNT. Le gouvernement tchèque a par exemple mis en sommeil les autorisations de diffuser en DAB[1] jusqu’en 2021. Le service public radiophonique polonais n’a pas évoqué le sujet depuis plus d’un an malgré l’enthousiasme du régulateur local. En Autriche, malgré l’objectif du régulateur de lancer le projet en 2018, les groupes qui possèdent les principales stations n’ont toujours pas de projets concrets de développement de la radio numérique. Plus au sud, l’Espagne ne compte que deux villes couvertes et les trois grands groupes commerciaux qui représentent plus des deux tiers de l’audience refusent toujours de promouvoir la TNT.

La France toujours en retard

En France, la RNT est souvent qualifiée de serpent de mer. Les premiers travaux du CSA en la matière datent de 2005 et en décembre 2014, la RNT ne concerne toujours que 2% de l’audience nationale. Nous sommes aujourd’hui à 19% de couverture de la population avec les villes de Paris, Marseille, Nice, Lyon, Strasbourg et Lille déjà couvertes. Un précédent rapport de CSA du printemps 2012 prévoyait une couverture de 68% de la population en avril 2013. Devant le retard accumulé, le CSA a publié le 10 décembre 2015, après une consultation publique, un nouveau calendrier prévisionnel du déploiement de la RNT à travers le territoire français s’étalant jusqu’en 2023 en incluant de petites villes comme Mont de Marsan, Guéret ou Laval. Pour le moment, ce nouveau calendrier est respecté, même si le succès auprès du public reste à démontrer.

Une couverture de 20% de la population entrainerait des obligations légales non négligeables. L’article 19 de la loi du 5 mars 2007 dispose en effet qu’une fois ce cap de couverture dépassé, le CSA doit rendre cette information publique et les terminaux neufs dédiés à la réception de services de radios devront progressivement, en suivant un calendrier légal[2] selon le type de terminal, devenir compatibles DAB pour recevoir la RNT. En France nous sommes sur le point de passer ce cap légal des 20% de couverture de la population et pourtant 75% des français déclarent toujours ne pas savoir ce qu’est la RNT.

Un autre problème concerne la consommation de la radio en itinérance. Actuellement, 48% de l’audience radio se fait en voiture. Or, sur le marché français, seuls 15% des voitures neuves vendues sans options sont compatibles avec la norme DAB. Un chiffre qui monte à 33% si on considère les voitures avec options[3]. Pire, pour le moment, la RNT n’est pas disponible sur les autoroutes françaises.

De plus, les grands groupes nationaux, privés comme publics, ne se sont toujours pas engagés pour accélérer le développement de la RNT. Aucun d’entre eux,  n’a encore fait le choix de rendre ses stations disponibles en RNT[4], hormis RMC à Monaco ainsi que FIP et Mouv’ à Lille[5]. Les grands groupes (RTL, NRJ, Europe 1) se sont même frontalement opposés à ce mode de diffusion. Selon eux, la RNT est déjà dépassée par le succès de la radio via les réseaux IP qui permet l’écoute sous format numérique sans avoir à changer de terminal. Ils considèrent également qu’il n’existe pour le moment pas de modèle économique viable, les perspectives de revenus publicitaires étant faibles en raison d’une audience quasi inexistante pour le moment. En parallèle, le développement de la RNT impliquerait de dupliquer les réseaux analogiques et numériques, entraînant ainsi un surcoût pour les diffuseurs. En septembre 2012, le ministère de la Communication avait par ailleurs annoncé qu’il ne préempterait pas de fréquences pour Radio France, freinant un peu plus le développement de la RNT.

La radio numérique terrestre souffre donc toujours de plusieurs maux : un désintérêt du public (même en Norvège, 66% de la population ne veut pas envisager la fin de la FM), une opposition des grands groupes radiophoniques ainsi que la difficulté liée au renouvellement du parc de récepteurs. Pour autant, l’obligation de vendre des terminaux compatibles DAB à partir d’un certain seuil de couverture pourrait déclencher l’intérêt des auditeurs entraînant ainsi les grands groupes à proposer une offre réelle. L’avenir de la radio numérique terrestre est encore très incertain, les évolutions sont lentes mais réelles même si l’on cherche toujours en France un quelconque engouement de la part des principaux acteurs du secteur, du CSA, ou du public.

[1] Digital Audio Broadcasting : Technologie utilisée pour la diffusion de la RNT

[2] https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000248397

[3] http://www.worlddab.org/country-information/france#current_situation

[4] Liste des stations disponibles en RNT à consulter ici et ici.

[5] http://www.csa.fr/Espace-juridique/Decisions-du-CSA/Appel-a-candidatures-RNT-du-1er-juin-2016-reservation-prioritaire-de-la-ressource-radioelectrique-au-benefice-de-Radio-France-et-de-France-Medias-Monde-a-Lille-Lyon-et-Strasbourg

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