L'édito de Philippe Bailly

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Les ministres de la culture européens s’accordent sur la directive « SMA »

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Le Conseil « Education, jeunesse, culture et sport » a adopté, malgré de nombreux désaccords entre les Etats membres, son texte d’orientation générale qui servira de support pour les négociations avec le Parlement sur la proposition de directive relative aux services de médias audiovisuels (SMA). Le Conseil souhaite appliquer un quota de 30% d’œuvres européennes pour les catalogues des services de médias audiovisuels et imposer les obligations de protection du public et des mineurs contre les contenus d’incitation à la haine aux plateformes pour lesquelles la fourniture de vidéos est une « fonctionnalité essentielle ». Enfin, afin de lutter contre le « forum shopping », le Conseil a proposé d’autoriser les Etats membres à imposer des mesures plus strictes que celles de la directive à un fournisseur de services établi dans un autre Etat membre, sans avoir à prouver l’intention de ce fournisseur de contourner sa réglementation nationale.

Ce texte peut être considéré comme une « victoire » notamment pour la France, dont la nouvelle Ministre de la Culture, Françoise Nyssen, est parvenue à mobiliser de nombreux Etats membres pour soutenir ses propositions.

Les « trilogues » informels entre le Parlement européen et le Conseil de l’Union devraient débuter dès le mois de juin, la Commission européenne souhaitant qu’un texte final et commun soit adopté à l’automne 2017.

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Extension de la définition des « plateformes de partage de vidéos »

Dans la proposition de la Commission européenne, la directive proposait d’imposer aux plateformes de partage de vidéos une obligation de prendre les mesures appropriées pour protéger les mineurs de contenus nuisibles et l’ensemble du public de contenus d’incitation à la haine ou à la violence. L’article 1, paragraphe 1, point a bis définissait ces plateformes comme des services qui stockent, sans responsabilité éditoriale, de grandes quantités de vidéos créées par les utilisateurs, organisent, affichent et séquencent ces contenus, et dont « l’objet principal », pour tout ou partie du service, est de fournir des programmes ou vidéos créés par les utilisateurs « dans le but d’informer, de divertir ou d’éduquer le grand public ».

La question débattue au sein du Conseil avait trait à ce dernier critère, à savoir « l’objet » du service. Le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Suède et le Danemark notamment souhaitaient réduire le champ de cette définition en n’y incluant que les services pour lesquels la fourniture de contenus audiovisuels était une fonctionnalité « principale et essentielle ». Selon eux, étendre cette obligation à un trop grand nombre d’acteurs présenterait des risques pour les industries culturelles, d’autant que les conséquences d’une telle mesure restent floues en l’absence d’études d’impact préalablement réalisées.

La France, l’Italie et l’Allemagne notamment soutenaient au contraire une extension de cette obligation aux plateformes dont la fourniture de contenus audiovisuels était une fonctionnalité « essentielle », et non pas principale. Idéalement, la France aurait voulu inclure également les services de diffusion en direct, tout comme l’Espagne et la Roumanie, mais s’est dit satisfaite de cette nouvelle définition, qu’elle qualifie de « première étape ».

On notera que cette inclusion des services ayant comme fonction « essentielle » la fourniture de contenus audiovisuels va dans le sens des propositions des commissions CULT (saisie au fond) et LIBE du Parlement européen, qui proposaient d’étendre la définition de « plateformes de partage de vidéos » aux services qui avaient un « rôle significatif » ou « important » dans la fourniture de programmes ou de vidéos.

Difficile accord sur le financement et la promotion des œuvres européennes

Les questions du financement et de la promotion des œuvres européennes ont également fortement divisé les Etats Membres.

La Commission européenne proposait de fixer un quota de 20% d’œuvres européennes dans les catalogues des services de médias audiovisuels, et d’autoriser les Etats membres à exiger que les services établis dans un autre Etat membre mais visant des publics sur leur territoire contribuent financièrement à la production d’œuvres européennes (article 13).

Concernant la promotion des œuvres européennes, la France a fait valoir qu’imposer un quota de 20% serait totalement inefficace, étant donné que les principaux services diffusent déjà en moyenne 27% d’œuvres européennes. Elle a ainsi défendu la fixation d’un quota minimum de 30% (proposé également par la commission CULT du Parlement), tout en plaidant, avec l’Italie, pour une élévation de ce minimum à 40% au moins. L’amendement français est adopté avec le soutien notamment de l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne, la Pologne et la Grèce, malgré l’opposition britannique et tchèque. Les pays scandinaves sont peu enthousiastes, estimant qu’imposer des quotas n’est pas une solution et qu’il faudrait plutôt soutenir la coproduction européenne et mettre l’accent sur la qualité des contenus. Pourtant, la Suède finit par se rallier à la position française.

Concernant le financement des œuvres européennes, la proposition de la Commission est reçue avec satisfaction par la France et l’Espagne, tandis que le Luxembourg et le Royaume-Uni y voient une insécurité juridique importante pour les entreprises concernées, qui risque de décourager les offres transfrontalières de services et de fragmenter le marché. De la même façon, la commission parlementaire IMCO avait supprimé la référence aux contributions au financement de la production de la part de services établis dans d’autres Etat membres, mais cet amendement n’avait pas été repris par la commission CULT.

Lutter contre le « forum shopping »

Les Ministres ont simplifié la possibilité pour les Etats membres d’imposer des mesures plus strictes que celles de la directive à des services établis dans un autre Etat membre, donc en-dehors du champ de leur compétence.

Le texte proposé par la Commission prévoit, à son article 4, que les Etats membres peuvent adopter des mesures plus contraignantes à l’égard des entreprises pour certains points de la directive, et notamment pour les quotas d’œuvres européennes dans les catalogues des SMAD.

Toutefois, cette faculté ne serait possible que par le biais d’une procédure longue et contraignante. En effet, si un Etat membre estime qu’un fournisseur de services de médias audiovisuels établi dans un autre Etat membre fournit des émissions ou programmes dédiés principalement au public situé sur son territoire, il doit d’abord entamer des négociations avec cet autre Etat membre pour parvenir à une solution. Dans le cas où cette solution n’aurait pas été satisfaisante, l’Etat peut soutenir, devant la Commission, l’autre Etat membre et le fournisseur lui-même, que ce dernier s’est établi à l’étranger pour contourner les règles, plus strictes, qui lui auraient été applicables sur son territoire. L’Etat membre se doit, selon le texte de la Commission, de justifier les motifs sur lesquels son évaluation du contournement sont fondés. Après examen, la Commission peut finalement autoriser ou interdire à l’Etat membre à appliquer ses mesures nationales plus contraignantes au fournisseur en question.

Plusieurs commissions parlementaires avaient proposé un raccourcissement des délais de réponse de la Commission, mais n’avaient toutefois pas proposé de changements significatifs à cette disposition. Le Conseil a quant à lui facilité cette procédure pour l’Etat membre en supprimant son obligation de prouver l’intention du fournisseur de contourner ses règles nationales.

Le débat entre les Ministres s’est articulé autour de la question du maintien ou non du principe de pays d’origine comme fondement pour déterminer la compétence des Etat membres. Selon la Pologne, la Grèce et la Hongrie notamment, le fait que le pays d’établissement du fournisseur de services détermine quel Etat membre sera compétent le concernant doit être aboli. La Pologne soutient ainsi que ce principe mine l’efficacité de la directive et favorise le « forum shopping », c’est-à-dire le fait, pour le fournisseur, de choisir le pays dont la réglementation est la moins contraignante.

Le texte adopté parvient donc à un compromis, entre les partisans du maintien du principe de pays d’origine, comme la République Tchèque, et les Etats militant pour une meilleure protection des pays ciblés par les fournisseurs de services, comme la Grèce.

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