L'édito de Philippe Bailly

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Les défis d’aujourd’hui et de demain pour l’écosystème de la publicité numérique

Dans une étude de 124 pages publiée la semaine dernière, l’Observatoire européen de l’audiovisuel dresse une analyse des réformes proposées en matière de publicité par la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de l’Union dans le cadre de la révision de la directive « SMA ». Elle y aborde notamment les éléments de contexte et dynamiques de marché qui ont déclenché cette réforme, avant de s’interroger sur les évolutions à attendre (et déjà en cours) pour les grandes plateformes en ligne : production et acquisition de contenus originaux par les plateformes et diffusion en streaming. Au-delà de la directive « SMA », la concrétisation des discussions sur d’autres textes, dont le règlement « ePrivacy », permettent déjà de tirer certaines conclusions et de regarder plus loin encore, vers un environnement publicitaire en ligne post-RGPD et ePrivacy.

Google et Facebook : le géant à deux têtes

L’Obs insiste tout d’abord sur le poids écrasant des entreprises technologiques Google Inc. et Facebook Inc. dans l’écosystème publicitaire, qui ont avalé à elles deux jusqu’à 92 % de la croissance de la publicité numérique en France en 2016 et près de 99 % aux Etats-Unis sur la même période. Cette captation dominante de la croissance s’expliquerait principalement par le fait que les annonceurs se tournent naturellement vers les services qui captent au mieux la « ressource rare » qu’est l’attention des consommateurs. La question est donc de savoir comment ces plateformes captent l’attention de leurs utilisateurs.

Google accumule les données, « nouvel or noir de l’économie », depuis près de vingt ans, contre environ dix pour Facebook. Avec le développement des services vidéo, plus les producteurs de contenus diffusent via Facebook ou YouTube par exemple, plus ces dernières disposent d’informations sur les habitudes et préférences des utilisateurs. De plus, si les contenus eux-mêmes ne sont pas produits ou contrôlés par les plateformes en ligne, l’accès aux contenus l’est (algorithmes, contenus promus…). Les deux plateformes sont donc en mesure de cibler précisément leurs utilisateurs et les contenus qu’ils consomment. C’est ainsi qu’elles sont devenues « quasi-incontournables pour les annonceurs et les agences », rappelle l’Obs.

Cette domination est d’autant plus marquée par le fait que les acteurs « traditionnels » de la télévision « ne sont pas en contact direct avec leurs téléspectateurs », et ne peuvent donc pas répondre aux demandes des annonceurs en matière de ciblage. Les « box » des opérateurs télécoms qui distribuent les chaînes en IPTV auraient pu apporter une réponse à ces demandes, mais la collecte et l’exploitation de données par les FAI est étroitement régulée.

En France par exemple, l’article L34-1 du  Code des postes et des communications électroniques dispose que « les opérateurs de communications électroniques, et notamment ceux qui offrent un accès à des services de communication au public en ligne, effacent ou rendent anonyme toute donnée relative au trafic ». Par exception, certaines données d’identification des utilisateurs, de caractéristiques techniques des communications et de localisation peuvent être conservées et traitées par les FAI pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales et des enquêtes judiciaires, de la facturation et du paiement, ou encore pour la commercialisation de leurs propres services. La durée de conservation est aussi limitée dans le temps (période strictement nécessaire ou un an en matière de sécurité).

Les diffuseurs comptent donc sur leurs propres services numériques pour amasser des données consommateurs. En juin 2017, le Chief Digital Officer de TF1, Olivier Abecassis, rappelait l’effort de transformation entrepris par le groupe : « On ne savait historiquement rien de nos téléspectateurs. L’obligation pour l’internaute de s’inscrire pour consulter nos replay nous a permis d’y remédier. Ce sont désormais entre 11 et 12 millions d’utilisateurs qui sont logués et que nous pouvons donc segmenter depuis notre DMP selon les besoins de nos annonceurs pour faire du ciblage média ». Si la pratique se développe, les acteurs traditionnels n’occupent toutefois pas encore une place centrale dans l’écosystème numérique.

L’Obs souligne par ailleurs le fait que les internautes âgés de 18 à 24 ans tendent de plus en plus à accéder à l’information essentiellement par l’intermédiaire de réseaux sociaux comme Facebook (54 % des jeunes de 12 à 15 ans utilisent les réseaux sociaux pour accéder à l’actualité, seulement 8 points derrière la télévision, d’après une étude réalisée par l’Ofcom). Pour suivre cette tendance, les chaînes d’information doivent se tourner davantage vers le format court, consommé sur les réseaux sociaux et YouTube. Aux Etats-Unis, CNN a pris les devants cet été et a lancé The Update, une émission quotidienne conçue pour Snapchat (en format vertical) qui propose, tous les jours à minuit, un « résumé des actualités marquantes provenant du monde entier ».

Enfin, l’étude n’oublie pas de mentionner la transformation d’Amazon, qui vient concurrencer le duopole. La diversification du géant du commerce électronique est en marche depuis plusieurs années, mais l’élargissement géographique de son service Prime Video, l’acquisition de Twitch (plateforme de streaming de jeux vidéo) ou encore le lancement en mai 2017 de son service de chaînes linéaires à la carte « Amazon Channels » au Royaume-Uni et en Allemagne, témoignent de sa capacité à devenir un acteur incontournable du secteur des médias à court terme. Le directeur général de BBC Worldwide, Tim Davie, admet déjà que pour « les radiodiffuseurs et donneurs d’ordre qui se limitent à un seul pays, il est impossible de rivaliser avec Amazon ».

Vers un environnement numérique post-cookie

« A mesure que les citoyens du monde entier s’inquiètent de plus en plus de la collecte et de l’utilisation de leurs données personnelles, une division risque de s’opérer au sein des sociétés entre les plus pauvres et les plus riches », signale l’Obs. Ceux qui en ont les moyens se tournent déjà vers des outils payants (VPN, Ad-blocker…) ou des modèles économiques plus respectueux de leurs données, alors que les plus économiquement modestes accepteraient d’utiliser une multitude de services « gratuits » en apparence, en réalité fournis en contrepartie d’une exploitation continue de leurs informations.

Côté annonceurs, les inquiétudes ont davantage trait à des questions de « brand safety » et de fiabilité des factures. Après une série de « bugs mineurs » ayant faussé les calculs des outils de mesure publicitaire dans grandes plateformes ces deux dernières années, YouTube et Facebook ont autorisé des mesures de visibilité externes sur leurs sites afin de rassurer les annonceurs que leurs encarts étaient bien vus par des humains et non pas des « bots » (robots).

Malgré les inquiétudes des internautes et des annonceurs, tout laisse à supposer que le ciblage de plus en plus précis des consommateurs restera l’objectif poursuivi par le marché. Réalisé principalement grâce aux « cookies » aujourd’hui, ce ciblage est déjà en passe d’être réinventé. En effet, l’encadrement proposé des « cookies tiers » par le projet de règlement ePrivacy pousse les grands groupes à imaginer un écosystème « post-cookies ».

Le géant publicitaire WPP a lancé l’année dernière son outil « Mplatorm », qui vise à remplacer le cookie : Mplaform crée un « mID », élément de code qui se comporte comme l’identifiant d’un consommateur lorsqu’il navigue sur différents supports et active des publicités en « display », vidéo, hors ligne…une fonctionnalité qui fait défaut aux cookies aujourd’hui, qui restent cantonnés à un terminal. L’outil met en relation plusieurs flux de données provenant de Kantar, Wunderman, de fournisseurs et partenaires tiers ou encore des annonceurs eux-mêmes, afin de créer des « profils de consommateurs » correspondant au public cible d’un marque. WPP affirme ainsi que le groupe peut « identifier un utilisateur sur de multiples terminaux ».

L’agence Merkle (Dentsu Aegis Network) développe depuis l’été 2017 une vaste base de données avec plus 280 millions « customer IDs », construits à partir de données de clients du groupe aux Etats-Unis.

En Allemagne, Allianz, Axel Springer, Postbank (Deutsche Bank) et le constructeur automobile Daimler ont mis leurs efforts en commun pour créer un « passeport numérique unique ». Une fois identifiés, les particuliers accèdent aussi bien à leur espace personnel chez Postbank que chez de Daimler ou sur les sites du groupe Axel Springer. « Notre expérience montre que les modèles d’identification personnelle simples et intuitifs sont un facteur de succès essentiel pour faciliter les achats », explique Mathias Döpfner, PDG d’Axel Springer.

Les entreprises du numérique s’attendent à un mois de mai 2018 turbulent, et le développement d’outils d’identification unifiée de consommateurs pourrait leur permettre de contourner l’encadrement croissant du consentement de l’utilisateur par les règlements RGPD et ePrivacy.

RGPD : les fournisseurs de services devront-ils renouveler le consentement des utilisateurs ?

Alors qu’elles préparent leur mise en conformité avec le Règlement Général sur la Protection des Données personnelles, les entreprises proposant des services pour lesquels elles ont déjà obtenu le consentement des utilisateurs pour le traitement de leurs données se demandent si elles vont devoir renouveler ce consentement.

Dans une note publiée début novembre, Phil Lee, avocat associé au cabinet Fieldfisher (spécialiste du droit des données personnelles), répond à cette interrogation. Les doutes des entreprises proviennent selon lui de l’interprétation du considérant 171 du règlement, qui dispose que : « lorsque le traitement (déjà en cours) est fondé sur un consentement en vertu de la directive 95/46/CE, il n’est pas nécessaire que la personne concernée donne à nouveau son consentement si la manière dont le consentement a été donné est conforme aux conditions énoncées dans le présent règlement ». Les conditions sont détaillées à l’article 7 du règlement, à savoir un consentement libre, exprès, clair et distinct de toute autre réponse donnée à une autre question par exemple, et qui puisse être retiré à tout moment.

En pratique, peu d’entreprises obtiennent aujourd’hui le consentement des utilisateurs de leurs services de façon conforme au RGPD, car ces conditions n’existaient pas. Si elles ne se mettent pas en conformité, elles s’exposeront aux nouvelles sanctions pouvant atteindre jusqu’à 2 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent.

Phil Lee rappelle cependant que le règlement autorise le traitement de données à caractère personnel lorsqu’existe un « intérêt légitime » pour ce traitement. Le 47ème considérant ajoute que le « traitement de données à caractère personnel à des fins de prospection peut être considéré comme étant réalisé pour répondre à un intérêt légitime ». Cette exception pourra donc permettre aux entreprises d’échapper à l’obligation d’obtenir le consentement des utilisateurs pour réaliser certains traitements de données, dès lors qu’elles proposent un « opt-out », précise Phil Lee.

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