L'édito de Philippe Bailly

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Pourquoi il ne faut pas de loi anti « fake news »

Tous les vœux ne méritent pas d’être exaucés et on est, a minima, tenté de considérer avec un grand scepticisme l’annonce d’une prochaine loi « anti fake news » exprimé par Emmanuel Macron lors de ses vœux à la presse.

« J’ai décidé que nous allions faire évoluer notre dispositif juridique pour protéger la vie démocratique de ces fausses nouvelles en période électorale », y expliquait alors le président de la République.

La première réserve tient naturellement à la restriction aux seuls moments d’élection. Pour d’évidentes raisons de fond – la propagation de fausses nouvelles serait-elle plus admissible à certaines périodes ? – et de difficultés de mise en œuvre : la formation de l’opinion sur des sujets essentiels, autant que sa manipulation, sont des processus lents, qui se jouent dans la durée. Dès lors, comment fixer les limites des « périodes électorales » visées par le chef de l’Etat ?

La deuxième critique n’est pas sans évoquer les reproches autrefois formulés à l’encontre du « style Sarkozy » : annonces surprises sans concertation préalable, pointillisme législatif consistant à prendre des textes de circonstance plutôt que réflexion d’ensemble sur l’adaptation du cadre existant et, au final, tendance à considérer que la publication d’une loi se suffit par elle-même, sans se soucier de sa capacité à être effectivement respectée. Dans le champ numérique, la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, et le secrétaire d’Etat chargé du Numérique, Mounir Mahjoubi, s’étaient déjà distingués avant Noël, avec leur volonté d’instaurer une autorisation parentale préalable à l’inscription sur les réseaux sociaux des mineurs de moins de 16 ans.

S’il était encore besoin de se convaincre, les premiers pas de la loi contre la haine sur Internet entrée en vigueur en Allemagne le 1er janvier finiraient de convaincre de la grande prudence avec laquelle considérer la proposition : « En adoptant un arsenal très restrictif, l’Allemagne pensait pouvoir lutter contre la propagation des messages racistes et haineux via les réseaux sociaux, rappelle Le Figaro ce mercredi 10 janvier. Mais aujourd’hui, le pays se retrouve confronté à un débat sur la liberté d’expression. (…) Avec sa part de subjectivité et le risque de dénonciations abusives des contenus, la loi s’avère difficile à appliquer. »

Le quotidien pointe la difficulté à discerner polémique légitime et propos haineux ; on peut s’interroger plus globalement sur le concept même de « fake news » et sur la capacité à en délimiter le périmètre. Faut-il par exemple y intégrer le Gorafi et ses annonces loufoques mais traitées selon les codes et dans la forme journalistique (au point, notamment, que Christine Boutin s’y était laissé piéger) ?

Plutôt qu’un raisonnement en creux, on est tenté de penser en bosse. Autrement dit de réfléchir à la valorisation des real news plutôt qu’au combat contre les fake news et, d’abord, à améliorer la capacité du lecteur à évaluer la qualité des contenus qui lui sont proposés dans les environnements numériques (réseaux sociaux mais au-delà). Pour la lui garantir, il n’y dispose ni des repères formels (le fait d’avoir acheté un journal dans un kiosque et pas de s’être fait distribuer un tract dans la rue, le générique annonçant le lancement d’un J.T…), ni de la vigilance constante du CSA (s’agissant de l’audiovisuel) existants dans les médias historiques. A l’inverse, il navigue entre des URL non porteuses de sens et toutes construites selon la même syntaxe, sur des pages d’allure presque semblable, à force d’utiliser les mêmes CMS.

Donc revenir aux fondamentaux : la valeur de signature. La labellisation des sites garantissant une information de qualité a été régulièrement évoquée au fil des ans, sans jamais s’être concrétisée ; le gouvernement pourrait s’en saisir ou, mieux, la Commission Européenne, compte tenu de la disparition des frontières pour la circulation des contenus numériques.

Et symétriquement aux initiatives vertueuses prises en matière de fact checking, l’intégration de l’éducation aux médias numériques dans le cadre scolaire aiderait à rendre les adultes de demain plus vigilants à la nature des sources, à la possibilité de les croiser et, au final, à la véracité des « informations » qui leur sont proposées.

Il y a 25 ans, j’ai participé à la rédaction d’une circulaire conjointe des ministres de la Justice et de l’Education Nationale aux Inspecteurs d’académie visant à la mise en place de dispositifs d’éducation aux médias (il s’agissait alors d’aider les élèves à prendre de la distance par rapport à la force émotionnelle des contenus audiovisuels). Les élections sont arrivées quelques mois après la publication du texte. La majorité a changé. Le chantier est resté en l’état.

Il y a presque 20 ans, j’ai été associé au titre de l’INA à une réflexion proche. Avec la même absence de résultats.

Deux décennies ont passé. L’urgence a grandi. Ne désespérons pas !

Philippe Bailly

PS :  l’équipe NPA Conseil vous souhaite une excellente année 2018 ! Pour le cabinet, elle débutera d’ici à quelques semaines par le lancement d’une application INSIGHT NPA qui vous aidera à retrouver nos publications sur vos smartphones et tablettes. Et cette information là vous est garantie 100% authentique !