L'édito de Philippe Bailly

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Publicité en ligne : comment aller plus loin que l’Autorité de la Concurrence

Le 31 mars, la loi première Sapin, à laquelle je m’honore d’avoir apporté mon concours, sera en vigueur depuis un quart de siècle précisément ; son élaboration avait été précédé par une double enquête de la part du régulateur de la concurrence – le Conseil de la Concurrence à l’époque ; « Les circuits actuels sont trop compliqués et trop opaques (…) C’est l’intérêt même du secteur d’être plus transparent et plus concurrent », expliquait le ministre dans Le Monde du 3 septembre 1992 pour justifier l’intervention du gouvernement ; dans l’Avis sur la publicité en ligne qu’elle a rendu ce mardi 6 mars, l’Autorité de la Concurrence – le régulateur d’aujourd’hui – décrit « un marché très complexe, marqué par un équilibre concurrentiel fragile ».

En déduire que l’histoire est un éternel recommencement, à la façon du film Un jour sans fin, serait tentant. Tentant mais hasardeux. Quand les « centrales d’achat d’espace » se trouvaient au centre du débat il y a 25 ans, ce sont les « avantages concurrentiels significatifs dont bénéficient Google ou Facebook » que souligne aujourd’hui l’Autorité (ces deux groupes sont d’ailleurs les seuls cités dans son communiqué) ; quand les dysfonctionnements pointés alors relevaient principalement de la pression orale et de la pure négociation commerciale, l’instance présidée par Isabelle de Silva évoque plutôt la multiplication des « acteurs – tant du côté des éditeurs que des fournisseurs de services d’intermédiation, dont les processus sont fondés sur des prestations pointues et innovantes sur le plan technologique mais aussi très « séquencées », lesquelles peuvent donner une impression d’opacité » ; quand le business publicitaire de 1993 se pensait sur des bases presqu’exclusivement nationales (le Web était naissant et le haut débit encore dans les limbes), réseaux numériques et accords d’ouverture des marchés (GATT…) ont presque totalement effacé les frontières. Commercialement autant que technologiquement.

Ultime différence, et de taille, une intervention des pouvoirs publics apparaît peu probable à court terme. Comme l’Autorité elle-même le souligne, il ne lui est « juridiquement pas possible » de s’appuyer sur les éléments rassemblés dans le cadre de son avis pour « ouvrir (immédiatement) une (ou plusieurs) enquête(s) contentieuse(s) ». Et le lancement éventuel d’une telle procédure ne semble pas pouvoir aboutir avant deux ans. S’agissant du gouvernement, il semble surtout focalisé à ce stade sur la préparation de sa loi « anti fake news », après que la majorité précédente a publié début 2017 un décret visant précisément à adapter la loi Sapin au nouvel environnement numérique.

Restent deux armes pour rééquilibrer le marché :

  • Celle de l’influence, d’abord. A défaut de garantir la transparence dans le fonctionnement des marchés, le digital a apporté la fluidité dans la circulation de l’information et amplifié l’impact du lobbying. De ce point de vue, la campagne conduite par la Coalition for better ads a prouvé son efficacité, avec l’intégration progressive de technologies de blocage des formats publicitaires par les principaux navigateurs internet.
  • Celle de l’union, ensuite avec, là aussi, plusieurs signes encourageants : la création d’alliances regroupant marques et éditeurs (Gravity, Skyline…) pour l’exploitation en commun des données collectées ; outre qu’il permettrait de répondre aux contraintes nouvelles découlant de la Directive e-Privacy, le projet de log in commun associant éditeurs et acteurs de la publicité en ligne français s’inscrit dans la même logique.

Il faut espérer qu’une même dynamique de rassemblement s’appliquera demain – entre éditeurs, régies et FAI – au développement de la publicité adressée à la télévision. Pour donner pleinement son sens au concept d’auto-régulation des marchés.