L'édito de Philippe Bailly

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Quelques idées simples sur la réforme du secteur audiovisuel

Ce jeudi 5 avril, la ministre de la Culture réunissait les dirigeants de l’audiovisuel public, pour un nouveau « comité stratégique » destiné à faire le point sur les chantiers de coopération engagés entre leurs entreprises respectives. Offre commune d’éducation aux médias, projet de média global à destination du jeune public, lancement de coproductions entre France Bleu et France 3… A voir la liste des collaborations déjà amorcées, certains pourraient presque – paradoxalement – s’interroger sur la nécessité de la réforme législative dont la préparation se poursuit en parallèle ? Une réforme d’ampleur n’en parait pas moins souhaitable pour adapter l’audiovisuel français au nouvel environnement numérique, dès lors qu’elle ne se limite pas aux sujets de gouvernance du service public et embrasse bien l’ensemble du secteur. Quelques idées simples permettent d’alimenter la réflexion.

Céder à la tentation du « tout culturel » conduirait France Télévisions sur le chemin du dépérissement en même temps qu’il constituerait une rupture historique dans la mission qui lui a toujours été assignée : s’adresser à l’ensemble des Français en alternant programmes exigeants et émissions plus accessibles, favoriser ainsi la découverte des premiers au moyen des seconds, et s’inscrire, au final, dans la célèbre promesse d’une télévision « populaire de qualité ». A l’inverse, le « zéro divertissement » ne permettrait plus aux différentes antennes d’affirmer leur identité respective et serait largement redondant d’avec ARTE. Imagine-t-on l’ensemble des stations de Radio France repositionnées sur le créneau de France Culture ?

Simplifier les dispositions organisant la contribution des chaînes à la production et/ou celles encadrant leur programmation. Contribution au financement du cinéma, à la production d’œuvres audiovisuelles en général, à la production d’œuvres « patrimoniales » en particulier, part de financement alloué à la production indépendante et « couloir dépendant », quotas de diffusion d’œuvres européennes et d’œuvres d’expression originale française, sur l’ensemble de la journée ainsi qu’aux heures de grande écoute, volume d’œuvres inédites à diffuser en prime time, jours interdits de cinéma… Les responsables politiques répètent avec constance la nécessité d’assouplir les contraintes pesant sur les diffuseurs, de Nicolas Sarkozy en 2007, dans sa Lettre de mission à Christine Albanel, à Edouard Philippe, dix ans plus tard, dans la « feuille de route » tracée à Françoise Nyssen. Ce 11 avril, elle est encore affirmée dans Les Echos par le président par intérim du CSA Nicolas Curien. Chaque nouvelle étape dans la montée en puissances des acteurs globaux auxquels ces dispositions ne sont pas applicables rend plus lourdes les chaînes pesant sur les opérateurs français… Se concentrer sur les seules obligations de financement préserverait les ressources du secteur de la production, et laisserait les chaînes libres des conditions de diffusion des programmes qu’elles financent.

Accompagner la structuration du secteur. La volonté affirmée de faire émerger des « champions nationaux » est aussi récurrente que celle de simplifier les règles régissant le secteur audiovisuelle… et aussi peu suivie d’effets. Y donner corps pourrait passer, notamment, par une amélioration de son financement au travers de la modification des règles de diffusion de publicité, dans la suite de la consultation publique de l’automne 2017 ; y contribuer conduirait également à accompagner le développement des groupes privés (TF1, Canal+, M6) dans la production, par la montée en puissance des filiales existantes et/ou des acquisitions.  Sans même évoquer le cas des studios américains qui sont totalement intégrés verticalement, c’est par la montée en puissance dans la production et la gestion de droits qu’en Europe, ITV a conduit son développement ces dernières années. Ces activités représentent aujourd’hui la moitié de son chiffre d’affaires.

Supprimer la disposition interdisant à un acteur non européen de contrôler plus de 20% du capital d’une chaîne de télévision de la TNT ou d’un réseau radiophonique prévue à l’article 40 de la loi de septembre 1986. La proposition peut paraître provocatrice, alors que le chef de l’Etat a justifié sa loi sur les fake news par l’influence développée par des médias contrôlés par des Etats étrangers, et ciblé de façon presque transparente la chaîne RT France. Mais certains développements récents – l’affaire Cambridge Analytica notamment – a montré que les manipulations de l’opinion savaient trouver d’autres voies que les grands médias traditionnels, dont les antennes sont surveillées par le CSA. Et, à l’inverse, l’article 40 apparaît aujourd’hui comme un frein pour les stratégies d’alliances internationales par échange de participation, que pourraient vouloir développer certains groupes français.