L'édito de Philippe Bailly

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Samsung se retire du marché des lecteurs Blu-ray et mise sur le dématérialisé

Le géant de l’électronique a annoncé qu’il ne renouvellerait pas sa gamme de lecteurs Blu-ray. Une décision qui se limite aux États-Unis dans un premier temps mais qui constitue un signal fort pour l’avenir de la vidéo physique. Un choix en faveur d’un tout dématérialisé qui semble se généraliser à l’ensemble des industries culturelles.

Le retrait de Samsung : un signe des temps qui laisse présager un avenir en pointillés pour la vidéo physique

  • Une annonce surprise qui n’a finalement rien d’étonnant

Après plus de 15 ans sur le marché, Samsung a annoncé qu’il ne renouvellerait pas sa gamme de platines Blu-ray HD ou UHD 4K aux États-Unis. Alors que la firme sud-coréenne avait sorti plusieurs modèles en 2017, aucune nouveauté n’a été lancée en 2018, pas plus que sur les premiers mois de l’année 2019. Le constructeur a fait part de cette décision à l’occasion du Samsung Forum organisé à Porto la semaine dernière. Une décision marquante pour l’industrie qui intervient près d’un an après celle d’Oppo (marque chinoise particulièrement appréciée par la communauté cinéphile) qui a elle aussi choisi de stopper progressivement la production de lecteurs Blu-ray ainsi que le développement de nouveaux produits.

Alors qu’aucune raison officielle n’a été avancée, cette décision paraît motivée par plusieurs facteurs. D’abord, sur le plan technique, Samsung semble avoir du mal à faire adopter sa vision du HDR, chargé d’optimiser la dynamique de l’image. Alors que la firme sud-coréenne promeut le HRD10+, la majorité des constructeurs concurrents lui préfère le Dolby Vision. Une nouvelle guerre de formats et de normes, plus d’une décennie après celle du HD-DVD et du Blu-ray, qui freinerait les ardeurs du géant de la Tech. Le marché des platines Blu-ray reste par ailleurs d’une taille modeste et voit sa courbe de ventes reculer d’année en année, à l’image du marché des supports vidéo physiques. En perte de vitesse (4,2 M d’unités écoulées en 2018 contre 4,8 M en 2017 et 5,6 M en 2016) et avec des marges restreintes, le marché des lecteurs Blu-ray n’en demeure pas moins concurrentiel. Si Samsung reste le leader du secteur (37% de PdM aux USA en 2018[1]), la marque doit faire face à la concurrence d’autres grands noms de l’électronique comme Sony (31%) ou LG (13%). Sans compter que dans la galaxie des lecteurs compatibles Blu-ray, les fabricants traditionnels doivent composer avec la présence des consoliers (Microsoft, Sony) dont les dernières générations de consoles intègrent un lecteur optique. Une situation qui conduit aujourd’hui Samsung à limiter les frais et à se contenter de la commercialisation de ses modèles existants.

Enfin, et cela pourrait constituer la principale raison de ce choix stratégique, le constructeur miserait désormais à 100% sur la dématérialisation des contenus vidéo. Une dématérialisation qui passe notamment par l’adoption des Smart TV (et des nombreuses applications embarquées) dont la marque est l’un des principaux producteurs. Le partenariat inédit avec Apple annoncé lors du dernier CES va dans ce sens. Pour la première fois de son histoire, l’application iTunes proposant une très large sélection de films et séries sera intégrée sur des appareils électroniques (TV connectées Samsung) autres que ceux de la marque à la pomme. Les téléviseurs du fabricant sud-coréen seront également compatibles avec AirPlay 2, le protocole de diffusion de musique et de vidéo permettant notamment le multiroom.

  • L’irrésistible ascension du streaming

Si la décision de Samsung est uniquement actée pour le marché américain dans un premier temps, elle pourrait être étendue à terme à l’Europe et au reste du monde. Les États-Unis constituent en effet aujourd’hui le marché le plus mature en matière de distribution et de consommation vidéo. Les ventes de supports physiques y affichent un recul sévère depuis près de 15 ans et l’adoption du streaming (favorisée au départ par des caractéristiques de marché spécifiques avec notamment la prépondérance d’offres TV monolithiques et onéreuses) y est fulgurante (pénétration de 70% dans les foyers fin 2018[2]). Une tendance qui a pris corps outre-Atlantique mais qui s’est depuis propagée à l’ensemble des marchés mondiaux.

Aux États-Unis, l’essor du streaming vidéo s’est également accompagné du développement du marché des boitiers OTT (clés et box) pour une diffusion des contenus sur téléviseur. Commercialisés à des tarifs nettement inférieurs à ceux des lecteurs Blu-ray (premiers prix autour de 30$ contre 81$ en moyenne pour les platines Blu-ray), ces boitiers ont remporté un vif succès et sont venus concurrencer les appareils de lecture traditionnels : leur nombre au sein des foyers américains a ainsi doublé en trois ans passant de 33,3 à 67,8 millions entre 2015 et 2018.

  • Là où Samsung va, les autres suivent

En annonçant son retrait du marché des platines Blu-ray, le leader du marché envoie un signal fort à l’ensemble de l’industrie. Si ce retrait devrait profiter à court terme à ses concurrents qui rivaliseront pour récupérer ses parts de marché, il pourrait aussi avoir un effet d’entraînement à un horizon plus lointain. De par son statut, le géant de l’électronique dispose en effet d’une grande influence sur le reste de l’industrie et ses mouvements sont observés avec la plus grande attention. En 2016, déjà à l’occasion du Samsung Forum, la marque avait surpris son auditoire en étant la première à déclarer officiellement qu’elle abandonnait le marché des téléviseurs 3D. Une décision qui aura finalement été suivie par tous ses rivaux moins d’un an après son annonce.

Biens culturels : vers une dématérialisation généralisée ?

  • L’industrie vidéo face au raz-de-marée SVOD

Si les fabricants n’ont cessé de se démarquer en développant de nouveaux formats et de nouveaux supports de lecture au fil des décennies (VHS, DVD, Blu-ray, Blu-ray UHD 4K) permettant de fournir aux consommateurs une qualité d’écoute et de visionnage toujours plus poussée, l’avènement d’internet et la montée en puissance des débits ont permis l’émergence de technologies et d’offres de contenus concurrentes. Les services de streaming comme Amazon, Netflix ou encore YouTube proposent aujourd’hui de larges sélections de programmes UHD 4K, y compris HDR, avec une expérience de lecture équivalente à celle des disques. La fin d’un avantage différenciant qui ne permet plus aux formats physiques de séduire le grand public qui lui préfère progressivement les formats numériques.

Sur chacun des principaux marchés mondiaux, le constat est identique : les revenus des contenus dématérialisés sont désormais supérieurs à ceux des ventes de disques physiques et s’affirment comme le relais de croissance attendu par l’industrie. Un phénomène déjà observé aux États-Unis et au Royaume-Uni depuis 2016 et qui est devenu réalité dans l’Hexagone deux ans plus tard. Les chiffres 2018 du CNC[3] confirment en effet le déclin continu des formats DVD et Blu-ray avec un passage historique sous la barre des 450 M€ de recettes (-16% en 1 an) quand, dans le même temps, les formats numériques poursuivent leur dynamique de croissance soutenue avec un total de 670 M€ (+38%). Pour la première fois en France, la structure du CA vidéo est dominée par les revenus des modes de distribution numérique (60/40).

Dans cet ensemble numérique, le modèle SVOD s’est imposé comme la locomotive du renouveau vidéo. En France, le revenu a explosé au cours des trois dernières années pour s’établir à 450 M€ en 2018 (contre 83 M€ en 2015). Une croissance vertigineuse qui fait aujourd’hui de la SVOD le principal poste de recettes du marché vidéo français (41% du CA total ; +17 pts en 1 an). Un phénomène également observé depuis 2017 outre-Manche et outre-Atlantique (55% du CA global), marchés plus avancés en matière de transformation digitale.

Structure des revenus vidéo sur trois des principaux marchés mondiaux / en %Valeur ; 2018

Source : NPA sur données CNC, BASE, DEG

La dématérialisation du marché vidéo n’annonce pas pour autant la mort complète des supports physiques. Connue pour être particulièrement gourmande en bande passante, et a fortiori sous format UHD 4K, la technologie du streaming ne peut s’adresser à tous les foyers. A titre d’exemple, en France, sur l’ensemble des abonnés internet fixe, seuls 29% bénéficient d’une connexion très haut débit, soit 8,4 millions d’abonnés[4]. Les supports physiques devraient donc continuer de constituer une alternative indispensable pour un public en recherche d’expérience qualitative.

Eu égard à la dynamique du marché vidéo, Blu-ray et DVD devraient néanmoins se destiner à terme à un public de niche, limité par des contraintes technologiques donc, ou tout simplement expert du son et de l’image, cinéphile et/ou collectionneur, attaché à l’objet physique et souhaitant disposer d’une vidéothèque tangible. A l’opposé, le streaming vidéo et ses formes évolutives devraient poursuivre leur démocratisation et s’imposer auprès du grand public.

  • Musique, jeu vidéo, livre : des marchés aux trajectoires diverses

Sur les 15 dernières années, c’est peu dire que les quatre principaux marchés des biens culturels ont connu des fortunes diverses. L’avènement d’internet et des techniques de piratage ont placé les secteurs de la musique et de la vidéo en première ligne. Deux industries étroitement liées qui ont subi de plein fouet la révolution digitale avant que celle-ci ne permette de faire émerger de nouveaux modes de distribution. En l’espace de 15 ans, musique et vidéo ont chacune vu leur chiffre d’affaires sur supports physiques chuter de plus d’1,5 milliard d’euros. Après une longue période de déclin, et sans que les modèles numériques à l’acte (download en musique, TVOD et EST en vidéo) n’aient réellement permis de relancer ces marchés, le salut de ces industries semble aujourd’hui passer par les offres de streaming. Dans un cas comme dans l’autre, le modèle de l’accès illimité a permis à ces deux secteurs de renouer avec une dynamique de croissance (depuis 2016 pour la musique et depuis 2017 pour la vidéo).

Plus avancé en termes de transformation digitale, le marché de la musique donne une bonne indication du chemin que devraient emprunter les formats vidéo physiques. Alors que le streaming booste les recettes de l’industrie musicale (+15% en 2017, +16% sur le 1er semestre 2018), le vinyle connait un réel regain d’intérêt depuis quelques années : ses revenus sont en hausse de 31% sur les six premiers mois de l’année 2018 et ils représentent près d’un quart du CA audio physique (23% contre 12% en 2017). Un format rétro qui, même au plus fort de la crise, n’a jamais complètement tiré sa révérence.

A l’opposé de ces deux marchés, l’industrie du livre est celle qui a été le plus préservée par la déferlante numérique. Alors que les revenus issus des modes de distribution numérique comptent dorénavant pour plus de la moitié du CA de la vidéo et de la musique, le dématérialisé représente moins de 5% du CA du livre, en volume comme en valeur. Si éditeurs et distributeurs ont joué le jeu très tôt en rendant leurs catalogues accessibles sous format numérique et en commercialisant divers modèles de liseuses, l’attachement du grand public au format papier constitue une barrière majeure à l’essor de l’ebook. Autre causale qui peut expliquer l’absence de décollage du marché en France (quand l’ebook représente un quart des ventes du marché du livre au Royaume-Uni ou aux États-Unis), la fixation du prix unique qui empêche les revendeurs d’ajuster leurs tarifs. Un élément dissuasif de nature à inciter le consommateur à se tourner vers le format papier alors que, dans le même temps, dans les pays anglo-saxons, un acteur comme Amazon tire les prix vers le bas et s’attire les faveurs du public.

Du côté du jeu vidéo, première industrie culturelle en France avec 4,9 milliards d’euros de revenus en 2018 (+15% en 1 an)[5], l’impact du digital est là aussi conséquent. Alors que le mouvement de la dématérialisation avait pris logiquement naissance du côté du software PC (composé aujourd’hui à plus de 95% de ventes dématérialisées), il s’est depuis étendu au marché des consoles de salon : d’après les derniers chiffres du SELL, les ventes de jeux dématérialisés comptent pour plus de la moitié (54%) du chiffre d’affaires de l’écosystème console (918 M€ contre 782 M€ pour les ventes de jeux physiques). Une tendance qui devrait s’accentuer dans les années à venir et pourrait prendre une tournure définitive puisque nombre d’éditeurs et de distributeurs spéculent sur la fin des consoles de jeu traditionnelles pour faire place au cloud gaming, au streaming et au tout dématérialisé. La prochaine génération de consoles pourrait bien être la dernière.

[1] NPD Group.

[2] Tivo : Video Trends Report.

[3] CNC : Baromètre CNC-GfK de la vidéo physique ; Baromètre Digital GfK-NPA.

[4] ARCEP : Observatoire haut et très haut débit – Abonnements et déploiements (T3 2018).

[5] SELL : L’essentiel du jeu vidéo 2018 – Bilan du marché français.

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