L'édito de Philippe Bailly

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TF1/M6 : le butoir de mai 2023 et l’incompréhensible opposition du gouvernement à son assouplissement

Moins bien que Poulidor ! Si le rapprochement annoncé de TF1 et M6 est considéré comme une transformation majeure en France, il ne leur suffira pas pour accrocher la 2e place à laquelle était abonné le légendaire coureur cycliste :   d’après l’analyse conduite par NPA Conseil dans son INSIGHT NPA du 27 mai, le nouvel ensemble restera devancé par l’allemand ProSiebenSat1 et par le britannique ITV dans le classement des groupes audiovisuels européens.

Et tandis que se prépare la longue instruction à laquelle la fusion va donner lieu, les opérations annoncées ces derniers jours aux Etats-Unis (alliance WarnerMedia / Discovery ou rachat de la MGM par Amazon) rappellent que les leaders mondiaux, américains aujourd’hui et chinois demain, peut-être, n’entendent pas relâcher la pression qu’ils exercent sur les champions européens.

En France, l’ensemble des parties prenantes a commencé à fourbir ses argumentaires. On peine à dénombrer les segments et sous-segments dont les régulateurs devront soupeser les équilibres d’aujourd’hui et de demain. Avec, pour chacun ou presque, les questions de l’importance que prendront ces prochaines années les géants du numérique, du niveau auquel ils en modifieront les dynamiques et, finalement, de l’opportunité ou nécessité de revoir la définition des « marchés pertinents » pris en compte.

Les prévisions d’évolution de la publicité vidéo que NPA Conseil a publiées le 20 mai ont illustré par exemple la façon dont les marchés du replay et de l’AVoD pourraient se rapprocher ces prochaines années, en même temps qu’elles témoignaient de la difficulté des groupes audiovisuels à maintenir leurs parts de marché. Concernant le marché de la production, les financements qu’Amazon, Disney+ ou encore Netflix vont devoir engager au titre du décret SMAD (200 à 250 M€ dès 2022) permettent-ils de dissiper la crainte du « guichet unique » TF1/M6 mis en avant par certains producteurs ? S’agissant des droits sportifs, l’arrivée d’Amazon comme co-diffuseur du tournoi de Roland Garros ou le contrat qu’il a signé avec la NFL, à hauteur de 1 milliard de dollars par an pendant dix ans, suffisent-ils pour voir en lui un acteur clé des prochains appels d’offre pour la diffusion des compétitions ?…

Les débats seront longs, et espérons-le, passionnants.

Encore faut-il qu’un simple enjeu de calendrier ne suffise à les rendre inopérants. Dans le communiqué annonçant leur rapprochement, TF1 et M6 ont indiqué qu’ils tablaient sur un « closing » de l’opération à la fin 2022. Mais le CSA devra conduire en parallèle la procédure de reconduction de l’autorisation de diffusion dont dispose aujourd’hui M6, qui vient à échéance le 5 mai 2023, et qui ne peut pas être prolongée hors appel à candidatures en l’état actuel du droit.

A la suite de « l’affaire Numéro 23 » – la revente de la chaîne à NextRadioTv pour près de 90 millions d’euros par Pascal Houzelot 3 ans après l’attribution gratuite de la fréquence –  la loi Création de 2016 a intégré un amendement de David Assouline destiné à empêcher les « reventes spéculatives » de chaînes : sauf exception justifiée par des difficultés économiques menaçant la viabilité de la société, la loi interdit au CSA de maintenir son autorisation de diffusion en TNT pour une chaîne qui aurait été cédée dans les cinq ans qui suivent la délivrance de l’autorisation. Le « deal » TF1/M6, s’il n’est pas bouclé avant le 5 mai 2023, se verrait donc renvoyé au printemps 2028, au mieux.

Et le précédent Canal+ (une procédure qui s’est conclue début décembre 2020… dix-huit mois après que les premiers travaux aient été engagés, en juin 2019), donne la mesure de la complexité du calendrier. Mutatis mutandis, c’est dès la fin de l’automne que le Conseil devrait engager les premières étapes.

On comprend mal, dans ces conditions la position prise par le gouvernement le 21 mai, au Sénat, lors de la discussion du projet de loi Bachelot visant à renforcer la lutte contre le piratage audiovisuel et à donner jour à l’Arcom.

Manière d’éviter un télescopage des différentes procédures, un amendement du rapporteur Jean-Raymond Hugonet a proposé de revenir sur l’automaticité du retrait de l’autorisation introduite par la loi de 2016, en cas de revente d’une chaîne dans un délai de 5 ans suivant la délivrance de cette autorisation[1] (sans pour autant retirer au CSA la possibilité de s’opposer à une opération jugée « spéculative »). Le gouvernement a émis un avis défavorable et déposé un amendement de suppression de cette disposition ; le Sénat est passé outre et la disposition figure donc dans le texte adopté.

Il reviendra à l’Assemblée Nationale, et à ses rapporteures Aurore Bergé et Sophie  Mette de départager Gouvernement et chambre haute.

[1] Article 42-3 de la loi de 1986. Modifié par LOI n°2016-1524 du 14 novembre 2016 – art. 15

L’autorisation peut être retirée, sans mise en demeure préalable, en cas de modification substantielle des données au vu desquelles l’autorisation avait été délivrée, notamment des changements intervenus dans la composition du capital social ou des organes de direction et dans les modalités de financement. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel ne peut cependant agréer une modification du contrôle direct ou indirect, au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce, de la société titulaire d’une autorisation délivrée en application de l’article 30-1 de la présente loi intervenant dans un délai de cinq ans à compter de cette délivrance, sauf en cas de difficultés économiques menaçant la viabilité de cette société