En même temps qu’elle célébrait ce 6 septembre la « qualité de l’information » produite par France Télévisions, France Médias Monde, Radio France, ARTE et l’INA la ministre de la Culture s’est avouée incapable de confirmer que les ressources de l’audiovisuel public resteraient en 2024 à leur niveau de 2023. Résumant l’angle mort qui guette les Etats Généraux de l’information, dont elle a par ailleurs confirmé le lancement avant la fin du mois de septembre : débattre de la gouvernance des rédactions, examiner les enjeux liés aux innovations technologiques, s’inquiéter des risques d’ingérence par des puissances étrangères… mais ne jamais parler d’argent, autrement dire de moyens.
Or l’information a un coût : près de 500 M€ par exemple, pour les seuls TF1, France Télévisions (hors info régionale) et M6, ou la moitié des coûts de grilles des principales radios généralistes RTL, Europe 1, France Inter ou RMC. Et l’info se situe aux antipodes de la notion de scalabilité que les investisseurs chérissent concernant les entreprises de technologie : à l’inverse d’un logiciel ou d’une plateforme dont les coûts de développements ne sont payés qu’une fois, chaque article, chaque photo, chaque reportage se répercute directement dans les coûts de fonctionnement.
Mesurer les revenus directs qu’elle permet de générer est aléatoire ; la rentabilité reste en tout cas des plus limitées, et la mutation numérique n’aide évidemment pas à l’améliorer. Elle renchérit les coûts techniques avec la nécessité de développer et maintenir les sites et applications. Elle intensifie la concurrence avec, rien que pour les médias historiques, la disparition des « couloirs » (kiosques, téléviseur, transistor) qui voyaient hier télévisions, radios et journaux vivre des vies parallèles. Elle s’est déjà traduite, surtout, par de gigantesques transferts des dépenses de publicité, et le mouvement ne semble pas prêt de s’arrêter : le WARC, l’un des instituts de référence sur le marché publicitaire, prévoit que ces dernières dépasseront 1000 Mds$ en 2024, et que cinq groupes, AliBaba, Amazon, Bytedance (TikTok), Google, Meta (Facebook, Instagram, Threads, WhatsApp), s’en partageront plus de la moitié. A charge pour l’ensemble des chaînes de télévision, radios, journaux, magazines, sites internet… du monde entier de se partager le reste.
Espérer que des mécanismes de redistribution viendront demain rééquilibrer les flux n’est pas loin de l’utopie.
Les décisions récentes de X (appauvrir la présentation des liens vers des publications de média) ou de Meta (supprimer l’onglet Facebook News et, plus généralement, réduire la part des contenus d’actualité présentés sur la plateforme) ne vont pas dans le sens d’un renforcement volontaire de la collaboration et du partage de valeur ; la transposition de la Directive européenne sur les droits voisins n’a pas suffi à installer un mouvement de collecte significatif ; et les projets de taxe sur le chiffre d’affaires des plateformes laissent sceptiques quand on se rappelle le cheminement tortueux de l’impôt mondial sur les multinationales…
Mieux assurer la viabilité économique des médias d’information (l’un des 20 critères pris en compte à juste titre par l’Observatoire européen du pluralisme), suppose d’abord que l’Etat fasse son devoir d’actionnaire en assurant aux entreprises de l’audiovisuel les ressources nécessaires pour maintenir une information de qualité ; cela suppose ensuite que législateur, administration et régulateur s’accordent pour « peigner » les règles qui pénalisent la compétitivité des médias dans la défense de leurs revenus publicitaires : 3e coupure dans les films de plus de deux heures, acquise dans son principe depuis 2019 mais jamais mise en œuvre, possibilité d’indiquer une adresse dans les spots de publicité segmentée, gage de survie des télévisions locales, simplification des mentions obligatoires qui dénaturent la publicité radio… En soi, cela suffirait sans doute à constituer l’un des chapitres de la réforme appelée de ses vœux par Nathalie Sonnac ; comme annonceur, on peut attendre enfin que l’Etat soit particulièrement vigilants au choix des médias qu’il utilise pour sa propre communication, et prennent en compte la qualité de leur contenu éditorial (en se référant éventuellement à des labels, tels que celui du Journalism Trust Initiative de RSF).
Pour les marques elles-mêmes, suivre le même chemin assurerait à leurs campagnes la qualité de valeur contextuelle à laquelle la plupart se dit attachée avec, au final, la démarche civique qui rejoindrait ainsi l’efficacité commerciale.
L’ambition n’est évidemment pas avec ces quelques lignes de prétendre répondre à l’ensemble des enjeux. Mais d’en appeler beaucoup plus modestement à ceux qui animeront les Etats Généraux pour qu’ils n’en oublient pas la dimension économique. Une information de qualité ne se produit pas simplement avec de l’amour et de l’eau fraiche !