En quelques jours à peine, le néologisme streamflation a dépassé le cercle des professionnels de la vidéo pour gagner le grand public. D’Europe 1 à Ouest France en passant par le site de l’académie de Versailles, Google en recense déjà plus de 25 000 occurrences. Ne doutons pas que la rumeur de hausse prochaine des tarifs de Netflix rapportée par le Walt Street Journal, programmée d’après le quotidien après que la grève des acteurs américains sera achevée, va encore faire flamber ce total.
Il est vrai qu’en France, il faudra payer 11,99 € à partir du 1er novembre pour souscrire au forfait premium de Disney+, et conserver les quatre accès simultanés et la vidéo au format UHD, aujourd’hui facturés 8,99 €. Il est vrai aussi qu’aux Etats-Unis, WBD a lancé à l’occasion de la réunion de HBO Max et de Discovery+ dans Max un forfait Ultimate à 19,99 $, et qu’il en coûte 11,99 $ depuis la fin juin pour accéder à l’offre Paramount+ with Showtime, au lieu de 9,99$ pour Paramount+ seul précédemment. Et il est vrai encore qu’à multiplier les déclarations selon lesquelles leur contenu n’est pas rémunéré à son juste niveau, les patrons de Disney Robert Iger, de WBD David Zaslav ou de Paramount Bob Bakish entretiennent le sentiment ambiant.
Mais la réalité est aussi à regarder au niveau de l’entrée de marché, avec de nouvelles offres qui se situent à des tarifs qui n’avaient jamais été aussi… bas. A 5,99 € par mois, le forfait Netflix avec publicité (2 streams simultanés) coûte 2 € de moins que le forfait Essentiel (1 stream)… en 2014, au moment de l’arrivée de la plateforme en France ; au 1er novembre, c’est à un prix identique que Disney commercialisera sa propre offre avec publicité… soit 1 € de moins que les 6,99 € facturés mensuellement en avril 2020, quand le service s’est lancé ; Prime Video a annoncé qu’il conservera un prix inchangé (6,99 €) après le lancement de la publicité prévu en 2024…
Plus que de streamflation, on est donc plutôt tenté de parler segmentation. Là où Disney+ ne comptait jusqu’alors qu’un prix, il en proposera bientôt trois, Prime Video passera de un à deux, et Netflix en totalise aujourd’hui quatre au lieu de trois – dans l’attente d’une probable disparition du forfait Essentiel sans pub.
Le consommateur a d’autant moins de raisons de s’en plaindre que les nouvelles offres garantissent à tous l’essentiel : l’accès au même catalogue, quel que soit le palier tarifaire choisi. Les différences se font sur le nombre de streams simultanés (jamais moins de deux), la qualité de la vidéo (mais avec la HD comme point bas) et la capacité à télécharger les programmes pour les visionner off line (pour des considérations difficilement contournables, celles-là, de gestion de l’insertion de la publicité). Le tout avec des niveaux de charge publicitaire – pas plus de 5 minutes – deux à trois fois inférieurs à ceux qui prévalent dans l’univers de la TV.
Du côté des éditeurs, l’espoir est certainement double : relancer les flux d’abonnements, à un moment où le marché semblait – en France mais bien au-delà – parvenu à l’asymptote, et étoffer le volume d’inventaire monétisable. Remplir cet objectif suppose que le développement des forfaits avec publicité ne se fasse pas par cannibalisation des offres sans publicité, plus rémunératrices. Sur ce point, un distributeur majeur interrogé par NPA s’est montré rassurant, s’agissant de Netflix et de la France en tout cas, en indiquant qu’il n’enregistrait pas de mouvement significatif de migration avec les offres d’entrée de gammes de la part de clients déjà abonnés, et que les prises de nouveaux abonnements se répartissaient de façon équilibrée.
La nouvelle configuration n’est pas sans enjeu pour les distributeurs, pour autant. La rémunération à laquelle ils peuvent prétendre sur la vente d’un abonnement à 5,99 € apparait, en bonne logique sensiblement inférieure à celle qu’ils touchent sur un forfait à 8,99 €, 11,99 € ou au-delà. La meilleure façon de les convaincre de mettre leur poids commercial sur les premiers est donc de les intéresser aux revenus publicitaires que les abonnés qu’ils apportent permettent de générer, donc de rompre avec la séparation historique des lignes de business et de fléchage des différentes lignes de revenus entre éditeurs et distributeurs. Bien que la communication des deux groupes soit restée extrêmement elliptique sur le sujet, c’est à ce type d’accord que semblent parvenus le groupe Disney et le câbloopérateur Charter aux Etats-Unis. Gageons que le sujet ne tardera pas à traverser l’Atlantique…