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Dans le cadre de la procédure de reconduction simplifiée des autorisations d’émettre sur la TNT de TF1 et M6, les représentants des groupes Canal+, Orange, Iliad et SFR ont fait part au CSA de leur opposition au principe d’une rémunération des chaînes nationales gratuites, revendiquée par le groupe TF1 dont les contrats de distribution arrivant à échéance fin décembre 2016. Semble-t-il loin de parvenir à un accord avec TF1, les distributeurs ont évoqué leur volonté de saisir le CSA d’un règlement de différend.
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Le contexte
En vertu de l’article 28-1 de la loi du 30 septembre 1986, les autorisations d’émettre accordées à TF1 et M6 peuvent faire l’objet d’une reconduction pour une durée maximale de cinq ans hors appel à candidature, sur décision motivée du CSA. Ces autorisations arrivant à échéance le 5 mai 2018, le Conseil a entamé la procédure de reconduction dite « simplifiée » début novembre 2016, et a entendu les demandes formulées par les représentants des deux chaînes pour assouplir certaines obligations prévues par leurs conventions. Dans ce cadre, les groupes Canal Plus, Orange, Iliad et SFR ont demandé à être auditionné par le Conseil en tant que tiers intéressés et ont tous fait part de leur opposition à une autre demande du groupe TF1 – celle de sa rémunération par les distributeurs pour la reprise de son signal. Si la question de la rémunération des chaînes par les distributeurs n’a été soulevée qu’à titre secondaire par M6, les distributeurs (à l’exception de Bouygues Telecom qui n’a pas demandé à être entendu) en ont fait l’élément central de leurs auditions.
Les distributeurs ont tous indiqué avoir reçu de la part de TF1 une demande visant à « revoir le mode de rémunération » de la chaîne. Le groupe proposerait ainsi la diffusion des chaînes du groupe (TF1, TMC, HD1, NT1) au sein d’une offre globale intitulée « TF1 Premium », comprenant également le replay et plusieurs services innovants tels que la diffusion en très haute définition (4K), le start-over (possibilité de revenir au début du programme après son démarrage), et l’enregistrer de programmes dans le cloud (network PVR), dans le but de multiplier ses recettes de distribution par dix pour atteindre environ 100 millions d’euros par an.
Interrogé sur le sujet par le CSA, Nicolas de Tavernost a confirmé que le groupe M6 revendiquera aussi une rémunération de la part des distributeurs lorsque ses contrats arriveront à terme fin 2017 : « il est normal que nos chaînes et services soient rémunérés par les plateformes qui les distribuent. Nous continuerons les discussions avec les distributeurs sur ce sujet. Nous allons avoir un combat rude et nous le gagnerons ».
Premiers groupes privés, TF1 et M6 s’inspirent de modèles étrangers
Leader historique, la Une connait depuis plusieurs années une baisse constante de sa part d’audience, qui s’explique par l’accroissement de l’offre sur la TNT en 2005 et 2012, et plus récemment par la stratégie multi-chaînes du groupe TF1. Sur l’ensemble de ses chaînes, le groupe totalisait 28 % de part d’audience en septembre 2016[1] devant France Télévisions (27,3 %) et M6 (14,5 %). Malgré le succès de cette stratégie, Gilles Pélisson a insisté sur le fait que le modèle économique de TF1 s’est beaucoup fragilisé, et que le groupe cumulait les pertes malgré un coût global de grille pour quatre chaînes légèrement inférieur à celui de la chaîne TF1 seule en 2012 (956,2 M€ contre 1 Md€). En termes de revenus publicitaires, il estime que TF1 n’est « plus en position dominante » après une chute de sa part de marché à 32 % contre 49,6 % en 2002.
Pour combler ces pertes, les groupes privés français s’appuient sur les pratiques existantes à l’étranger. « Les allemands font payer très cher les chaînes gratuites sur les réseaux.
C’est aussi le cas aux Etats-Unis », soutenait Nicolas de Tavernost devant le Conseil. En Allemagne, le groupe RTL est en effet parvenu à un accord avec le distributeur Unitymedia en avril 2012 pour rémunération de la retransmission de ses chaînes en HD. Quelques mois plus tard, le câblo-opérateur Kabel Deutschland signait également un accord avec le groupe pour une rémunération de l’ensemble de ses chaînes, payantes comme gratuites.
Outre-Atlantique, les éditeurs peuvent choisir un modèle de distribution en must-carry pour avoir la garantie d’être distribué par les câblo-opérateurs, mais renoncent ainsi à une rémunération. A l’inverse, s’ils renoncent au must-carry, ils peuvent négocier un accord de retransmission (« retransmission consent ») pour tenter d’obtenir une rémunération. Depuis une dizaine d’années, le glissement des rapports de force a permis aux principales chaînes nationales gratuites d’exiger une rémunération croissante de la part des câblo-opérateurs. D’après le directeur exécutif du groupe CBS Corp., les frais de retransmission payés par les opérateurs à CBS atteindraient déjà le milliard de dollars en 2016, montant que le groupe espère doubler d’ici 2020.
Un risque de remise en cause des équilibres du marché selon les distributeurs
Premier distributeur auditionné, le groupe Canal Plus s’est fermement opposé au principe d’une rémunération des chaînes gratuites, soulevant l’incompatibilité de celle-ci avec la procédure de reconduction simplifiée des autorisations délivrées par le CSA. Il a annoncé qu’il saisirait le CSA d’un règlement de différend, fondant son argumentaire sur l’article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986. Cité par les représentants de Canal Plus, Iliad et SFR, cet article prévoit qu’une autorisation délivrée par le Conseil « peut être retirée, sans mise en demeure préalable, en cas de modification substantielle des données au vu desquelles l’autorisation avait été délivrée, notamment des changements intervenus dans la composition du capital social ou des organes de direction et dans les modalités de financement », le principe étant aujourd’hui une reprise gratuite par les distributeurs.
Par ailleurs, Canal et Iliad ont évoqué les multiples écrans noirs résultant des différends entre broadcasters et câblo-opérateurs aux Etats-Unis. En 2013 par exemple, refusant de se plier aux demandes de rémunération de CBS, première chaîne nationale gratuite, Time Warner Cable avait cessé sa diffusion pendant un mois dans les régions de New York, Dallas et Los Angeles, avant de parvenir à un accord. Orange a également souligné qu’au Royaume-Uni, le principe d’une rémunération des chaînes gratuites a été écarté par le gouvernement au profit d’une balance des paiements égalitaire (« zero net fees ») entre éditeurs et distributeurs. En effet, suite à une consultation publique menée par le Ministère de la Culture, ce dernier a conclu que celle-ci conduirait à déstabiliser le marché.
Enfin, le groupe SFR a évoqué la possibilité d’une répercussion des coûts engendrés par une rémunération des chaînes gratuites sur celle des chaînes thématiques indépendantes, qui sont « fragiles d’un point de vue financier ». De plus, Orange a rappelé l’obligation pour le distributeur de respecter un plan de numérotation qui serait remis en question par l’instauration d’une rémunération des chaînes du groupe TF1. Leur mise en avant par une numérotation favorable serait « un paradoxe » en cas de rémunération, d’après le distributeur.
A noter que la position de SFR sur ce dossier a fait l’objet de questionnements de la part du conseiller Nicolas About, alors que le groupe demande une rémunération aux autres distributeurs pour la reprise de sa nouvelle chaîne BFM Paris, actuellement disponible sur le canal 30 de la TNT en Ile-de-France et sur les box SFR. Reçue par plus de 10 millions de personnes, la chaîne est par définition « nationale gratuite ».
[1] NPA Conseil sur données Médiamétrie