L'édito de Philippe Bailly

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La lutte contre le piratage aujourd’hui et demain

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La lutte contre le piratage en France repose aujourd’hui principalement sur la notification de contenu illicite, qui engage les hébergeurs à le retirer, et sur l’assignation de fournisseurs d’accès à internet pour les obliger à rendre inaccessibles des sites contrefaisants. Ces mécanismes ne permettent toutefois pas une opposition efficace au phénomène du piratage. C’est pourquoi plusieurs solutions alternatives sont mises en avant au niveau européen ainsi que dans certains Etats membres, visant tantôt à imposer le filtrage des œuvres mises en ligne par les internautes, tantôt à limiter la visibilité des sites de piratage ou encore à bloquer les moyens de financement de ces derniers. NPA Conseil propose un état des lieux des outils actuels et prospectifs servant à lutter contre la mise à disposition illicite d’œuvres en ligne.

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Les moyens actuels de lutte contre la contrefaçon sur internet

Au-delà du contrôle effectué par la Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet (HADOPI), qui met en œuvre le système de la réponse graduée pour informer les internautes sur leur obligation de surveiller leur accès à internet et prévenir son utilisation à des fins de contrefaçon, le cadre juridique actuel permet aux titulaires de droits d’auteur de veiller eux-mêmes à la protection de leurs œuvres sur internet.

L’efficacité de la lutte contre le piratage dépend essentiellement de la rapidité de la réaction à la mise à disposition illicite d’une œuvre sur internet, dans l’optique de minimiser le dommage subi. La mise à disposition d’œuvres en ligne est généralement effectuée via des acteurs se revendiquant du régime de responsabilité des hébergeurs, qui en vertu de la directive 2000/31/CE (« e-commerce »), ne sont pas responsables de la présence sur leurs serveurs de contenus illicites tant qu’ils n’en sont pas informés. Le retrait de ces contenus peut alors suivre deux voies principales :

  • L’article 6 I 2. de la Loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004, qui transpose la directive e-commerce, précise que les hébergeurs doivent agir « promptement » pour retirer les contenus illicites ou les rendre inaccessibles, dès qu’ils en ont eu connaissance. Les ayants-droit doivent donc notifier le contenu contrefaisant selon la procédure de l’alinéa 5 du même article pour imposer à l’hébergeur de retirer le contenu.
  • Si l’hébergeur ne tient pas compte de la notification (comme c’est le cas par hypothèse pour les sites dédiés à la contrefaçon), les ayants-droit peuvent également se prémunir de l’article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle pour assigner, le cas échéant en référé, les fournisseurs d’accès à internet, et les obliger à prendre des mesures rendant inaccessible le site qui donne accès au contenu illicite. Il est également possible de se prévaloir de l’article 6 I 8. de la LCEN, qui s’applique à tout dommage, sans viser spécifiquement la contrefaçon de droits d’auteurs ou voisins. Ces deux fondements ne sont toutefois efficaces que si la mesure demandée au fournisseur d’accès est proportionnée avec le dommage subi, ce qui est le cas notamment si le site est dédié à la contrefaçon.

La première possibilité, reposant sur l’article 6 I 2. de la LCEN, avait donné lieu à une interprétation par certains tribunaux selon laquelle, après une première notification de contenu contrefaisant sur les serveurs d’un hébergeur, celui-ci devait empêcher toute nouvelle mise en ligne du même contenu. On passait ainsi du « notice and take down » (notification et retrait) au « notice and stay down » (notification et blocage). Toutefois, la Cour de cassation a invalidé cette interprétation dans plusieurs arrêts du 12 juillet 2012, estimant qu’elle contrevenait à la LCEN, qui interdit de soumettre les hébergeurs à une obligation de surveillance générale des contenus mis en ligne sur leurs serveurs. Cette disposition est une des raisons pour laquelle la lutte contre le piratage a lieu essentiellement a posteriori, comme sanction de la contrefaçon.

Les nouveaux moyens de lutte examinés par les institutions européennes

La Commission européenne a manifesté la volonté de coordonner la lutte contre le piratage en amont, afin de limiter l’offre de contenus contrefaisants sur internet. L’accent est mis sur le rapprochement entre les ayants-droit et les acteurs les plus influents dans la diffusion de contenus en ligne, afin de trouver des accords permettant de limiter les atteintes aux droits. Ainsi, le projet de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique, dans la rédaction proposée par la Commission européenne, préconise la conclusion d’accords entre ces acteurs ainsi que la mise en œuvre de techniques de filtrage de contenus mis en ligne, pour que les œuvres désignées préalablement par les ayants-droit ne puissent être rendues accessibles par des tiers (article 13 du projet). On reconnaît ici l’inspiration de procédés comme le Content ID déployé par YouTube, qui met en place ce système de filtrage de contenus et permet un partage des revenus publicitaires générés par le visionnage des œuvres entre la plateforme de partage de contenus et le titulaire de droits. Le but est donc de permettre une certaine maîtrise, par l’ayant-droit, de la diffusion de son œuvre sur internet, et d’empêcher que cette diffusion ne profite qu’à un tiers contrefacteur au détriment de l’ayant-droit.

Pour autant, ces mécanismes génèrent de nombreuses critiques. On leur reproche notamment d’enfreindre la directive e-commerce, ou de n’être pas à même, du fait de leur automatisation, de détecter l’applicabilité d’exceptions aux droits d’auteur ou voisins, comme celle de courte citation ou de parodie. De fait, ces outils pourraient faire obstacle à de nombreuses utilisations courantes sur internet, qui seraient susceptibles de bénéficier de telles exceptions. C’est pour cette raison que le rapport de l’eurodéputée maltaise Therese Comodini Cachia (Parti populaire européen) pour la commission des affaires juridiques propose de préciser que les mesures prises par les acteurs mettant à disposition des œuvres sur internet devraient respecter la totalité du droit d’auteur, exceptions comprises. La faisabilité technique d’une telle mesure, et sa conformité à la directive e-commerce, sont sujets à débat.

Les autres outils de lutte imaginés par les Etats membres

Plusieurs autres initiatives, plus éclatées, montrent une approche différenciée des Etats membres dans la lutte contre le piratage. Outre les mesures législatives et réglementaires, on remarque une volonté des autorités d’inclure les acteurs privés dans la lutte au moyen d’instruments plus volontaristes, comme le droit souple.

Au Royaume-Uni par exemple, un code de bonnes pratiques a récemment été signé entre plusieurs moteurs de recherche et des groupements d’ayants-droit. Cet accord, supervisé par le Bureau britannique de la propriété intellectuelle (IPO), prévoit un déclassement des sites de piratage dans les référencements naturel et payant des moteurs de recherche, qui devront privilégier la mise en avant de l’offre légale.

En France, des projets semblables ont été initiés par le Ministère de la Culture, dans l’optique d’assécher en amont les revenus des sites de piratage. Le 23 mars 2015, le Ministère a ainsi réuni les principaux acteurs de la publicité en ligne et de la lutte contre le piratage (ALPA, IAB France, UDA, UDECAM etc.) pour la signature d’une charte de bonnes  pratiques dans la publicité pour le respect du droit d’auteur et des droits voisins. Cette charte a fait l’objet d’un rapport de bilan (rendu public par NextInpact) pour les années 2015 et 2016, qui considère que sa mise en œuvre a été un succès. Depuis la signature de la charte, les publicités présentes sur les sites de piratage massifs n’ont plus aucun lien avec les représentants français de la publicité en ligne.

Le rapport mentionne également une seconde initiative du Ministère de la Culture dans la même lignée, visant cette fois les moyens de paiement en ligne. Un comité de suivi des bonnes pratiques devait coordonner les efforts des acteurs privés du paiement en ligne afin de limiter les moyens de paiement sur des sites de téléchargement et streaming payants illicites. Ce comité, qui regroupait des acteurs comme Mastercard, Paypal et Visa Europe, est parvenu selon le rapport à supprimer totalement les moyens de paiement « traditionnels » sur les sites identifiés par les ayants-droit. En revanche, certains de ces sites pirates se sont tournés vers des systèmes de paiement décentralisés comme des monnaies virtuelles.

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