Wanda, le géant chinois du divertissement, vient d’annoncer le rachat de la société américaine Dick Clark Productions pour près d’un milliard de dollars. Inconnue du grand public, DCP produit de prestigieuses cérémonies de récompenses comme les Golden Globes ou les American Music Awards. Une nouvelle acquisition – la première dans la production audiovisuelle – qui marque une étape majeure dans l’expansion de l’empreinte du conglomérat chinois à Hollywood.
Wanda : un géant de l’immobilier qui se rêve en leader mondial du divertissement
Le groupe Wanda appartient à Wang Jianlin, un ancien colonel de l’armée chinoise et membre du parti communiste, réputé proche du pouvoir. Agé de 62 ans, sa fortune est estimée à 32,1 milliards de dollars en 2016[1], faisant de lui l’homme le plus riche de Chine devant Jack Ma (30,6 Mrds $), fondateur du géant du commerce en ligne Alibaba. Reconverti dans le développement de projets immobiliers à partir de 1988 (plus de 200 hôtels de luxe et centres commerciaux dans le pays), le businessman s’est lancé progressivement dans la construction et la gestion de salles de cinémas pour attirer les clients dans ses centres. Il est aujourd’hui à la tête du premier réseau de salles du pays, Wanda Cinema Line, qui compte 2 700 écrans répartis à travers 311 multiplexes. L’essoufflement du marché immobilier en Chine a renforcé son intérêt pour le secteur du divertissement, porté par l’émergence d’une classe moyenne chinoise, et aiguisé son appétit pour une expansion internationale.
Cinéma donc, mais aussi sport et tourisme, le dirigeant de Wanda rêve sa compagnie en acteur dominant de l’industrie des loisirs. Wanda devient propriétaire mondial de salles de cinémas en rachetant successivement la chaîne australienne Hoyts (356 M$) et le premier réseau européen Odeon & UCI (1,2 Mrd $). En 2013, sa société investit dans la construction d’un gigantesque complexe de studios de tournage à Qingdao pour un montant total de plus de 8 Mrds $. Destiné à ouvrir en 2018, les studios y accueilleront les plus grosses productions asiatiques et tenteront d’attirer d’importants projets internationaux via la mise en place de crédits d’impôts. Wang Jianlin entend aussi devenir incontournable en matière de parcs à thèmes avec la création d’une quinzaine de complexes à travers le pays d’ici 2020. La première inauguration a eu lieu en mai dernier à Nanchang, grillant ainsi la politesse à Disney dont l’installation du premier parc en Chine continentale a été maintes fois repoussée par le régime chinois[2]. Une concurrence avec Disney qui dépasse les frontières de la Chine puisque Wanda a pris en début d’année 49,9% du capital d’EuropaCity, le projet de méga-complexe porté par Auchan qui mêlera commerces et espaces dédiés aux loisirs et à la culture. Ce projet de taille XXL (80 ha), dont l’ouverture est attendue pour 2024 dans la banlieue nord de Paris, table sur une fréquentation annuelle de 30 millions de visiteurs, soit le double du trafic enregistré par Disneyland Paris situé à une quarantaine de kilomètres de là. Enfin côté sport, Wanda Sports a déboursé près de 50 M$ début 2015 pour acquérir 20% du club de football de l’Atletico de Madrid, suivi d’un investissement d’1,2 Mrd $ quelques semaines plus tard pour le rachat du groupe suisse de marketing sportif Infront Sports & Media, chargé entre autres de la commercialisation des droits de la coupe du monde de football.
Hollywood, point de passage obligé pour l’expansion internationale
Wang Jianlin ne rate jamais une occasion de rappeler son ambition : piloter l’émergence d’un nouveau leader du divertissement mondial. Une ambition qui passe nécessairement par les États-Unis, pays de l’Entertainment roi, dont les productions cinématographiques et audiovisuelles rayonnent à l’international[3]. C’est donc tout naturellement que le magnat chinois a fait d’Hollywood une cible privilégiée permettant à son groupe – et à travers lui à la Chine – d’étendre son influence culturelle et de renforcer son savoir-faire dans la création.
Wanda édifie dès 2012 les fondations de son plan de développement outre-Atlantique. Avec le rachat de la chaîne de cinémas AMC Theaters pour 2,6 Mrds $ (+500 M$ de budget pour la rénovation du parc de salles), Wang Jianlin réalise son premier investissement d’envergure aux États-Unis. Le businessman chinois pourrait rapidement en devenir le leader de l’exploitation de salles si son offre réévaluée à 1,2 Mrd $ pour l’acquisition de Carmike Cinemas venait à être acceptée par les actionnaires de la chaîne[4]. En cas de validation de l’opération, Wanda conforterait sa place de premier réseau mondial de salles avec un parc de plus de 10 000 écrans détenus à travers ses différentes filiales.
Après s’être assuré que son groupe bénéficiait d’un réseau de distribution solide, le président de Wanda s’attache à mener à bien la deuxième étape de son expansion américaine, celle qui conduit son groupe au financement et à la production de contenus. Ainsi, après l’échec des négociations avec Lionsgate fin 2014, le fondateur et président de Wanda s’offrait début 2016 le studio américain Legendary Entertainment (Interstellar, Jurassic World, Man of Steel, The Dark Knight trilogy, Very Bad Trip…) pour un montant de 3,5 Mrds $. Dans le prolongement de cette acquisition, Wang Jianlin entrait en discussions avec Paramount pour prendre une forte participation dans le studio, avant que sa maison-mère Viacom n’oppose son refus. La première fortune de Chine ne désespère pas pour autant de prendre le contrôle de l’une des six majors hollywoodiennes dans les années à venir. Toutefois, face à l’absence d’opportunités de rachat immédiates[5], Wang Jianlin a récemment fait part au Hollywood Reporter[6] de son intention d’injecter des milliards de dollars dans les futures productions des six grands studios américains via la création d’un nouveau fonds d’investissement. Une déclaration qui fait écho au récent partenariat conclu par Wanda avec Sony Pictures (Spider-Man, S.O.S Fantômes…) portant sur le cofinancement à parts égales d’un certain nombre de productions cinématographiques du studio.
Rachat de Dick Clark Productions et premiers pas dans le monde de la télévision
L’annonce du rachat de la société Dick Clark Productions, productrice de cérémonies populaires outre-Atlantique (Golden Globe Awards, Academy of Country Music Awards, American Music Awards, Billboard Music Awards[7]) mais aussi d’émissions de télé-réalité comme So You Think You Can Dance ? pour le network américain FOX, marque une nouvelle étape dans la stratégie d’intégration verticale de Wanda. En l’espace de quatre ans, le géant chinois s’est progressivement positionné sur l’ensemble de la chaîne de valeur avec des acquisitions ciblées aux États-Unis : financement (accord avec Sony Pictures), production (rachat de Legendary), distribution d’œuvres cinématographiques (acquisition du réseau AMC, en attendant Carmike), et maintenant organisation et production d’évènements pour le petit écran (rachat de DCP).
Pour parvenir à cette première incursion dans le monde de la télévision, le groupe chinois n’a pas lésiné sur le prix avec une enveloppe estimée autour du milliard de dollars. Un montant jugé élevé par les analystes financiers alors que DCP avait été racheté par un fonds d’investissement pour seulement 370 M$ quatre ans auparavant sans que beaucoup d’actifs n’aient été intégrés dans la société dans cet intervalle. Pour autant, Wanda estime que cette opération sera fructueuse sur le long terme et ce à plusieurs titres. D’une part, le conglomérat chinois compte bien profiter de la dépendance de plus en plus forte des networks américains pour la diffusion d’évènements en direct et s’attend à une hausse significative des droits de retransmission de ses productions (le contrat pluriannuel avec NBC pour la diffusion des Golden Globes arrive à échéance en 2018). D’autre part, Wanda parie sur l’appétit croissant du public chinois pour le visionnage de shows américains et donc sur le succès futur des productions de DCP dans l’Empire du Milieu. Enfin, cette acquisition n’a pas pour seul objectif de mettre la main sur les actifs de DCP pour en commercialiser les droits de retransmission. L’opération va également permettre d’absorber le savoir-faire de la société de production en termes d’organisation et de diffusion pour l’appliquer ensuite au marché chinois avec la création de ses propres évènements nationaux.
Aux États-Unis, l’influence de la Chine sur Hollywood commence à inquiéter
Si l’offensive des groupes chinois – illustrée par Wanda mais aussi Alibaba qui a récemment investi dans la société Amblin Partners qui regroupe les différents studios du cinéaste Steven Spielberg – fait des heureux à Hollywood (manne financière pour le financement et la production de longs-métrages et ouverture du marché chinois aux studios US qui espèrent tirer profit de la croissance de son box-office), elle n’en attise pas moins les critiques. Ainsi mi-septembre, plusieurs parlementaires américains ont saisi l’administration pour l’alerter sur l’influence grandissante de la Chine sur l’industrie hollywoodienne. Ils redoutent notamment une potentielle autocensure des productions nationales pour séduire les autorités chinoises et accéder à un marché encore très réglementé[8] mais aussi la possible diffusion d’une propagande prorégime par l’intermédiaire des entreprises de médias américaines détenues par les grands groupes chinois. Des accusations auxquelles Wang Jianlin répond simplement que son « moteur n’est pas la propagande mais le profit ! ». Ce à quoi il ajoute que la Chine n’a nul besoin de faire pression sur les grands producteurs américains pour adapter leurs films aux goûts du public chinois, ces derniers n’hésitant pas à ajuster eux-mêmes leurs scénarios pour s’ouvrir les portes du box-office chinois. Un marché chinois qui comptait pour 18% du box-office mondial en 2015 (contre 29% pour le box-office américain) et qui pourrait représenter 40 à 50% des recettes mondiales d’ici 10 ans. Une perspective de croissance qui fait saliver Hollywood mais dont Wanda pourrait bien être l’un des principaux bénéficiaires en jouant sur les deux tableaux : en s’implantant progressivement aux États-Unis, poumon actuel de l’économie mondiale, tout en développant à son profit la puissance du tissu cinématographique chinois (studios de Qingdao, réseau Wanda Cinema Line…). Ainsi, d’ici à 2020, Wang Jianlin espère un doublement du chiffre d’affaires de son groupe qui s’élevait à 45 milliards de dollars en 2015. Un total près de trois fois supérieur à ce qu’il était quatre ans auparavant (17 Mrds $ en 2011).
[1] Hurun : classement des plus grandes fortunes chinoises en 2016
[2] Le parc Shanghai Disneyland a finalement ouvert ses portes quelques semaines après celui de Wanda (16 juin 2016)
[3] “My first impression of the Hollywood film business? The income is not so big, but its influence is very large.”, Wang Jianlin (The Hollywood Reporter, 2 novembre 2016)
[4] http://www.thewrap.com/amc-issues-1-4-billion-in-debt-to-pay-for-carmike-and-odeon-uci-acquisitions/
[5] Rachats récents des studios Warner Bros. et Universal Pictures par les opérateurs AT&T et Comcast, verrouillage des familles Murdoch et Redstone pour les studios 21st Century Fox et Paramount, opération de rachat quasi impossible de Disney au regard de sa capitalisation boursière actuelle (150 Mrds $)…
[6] “We will continue to work on a potential acquisition. But it won’t hurt to start by doing what we can. Participating via investment seems like a wise choice for the time being.”, Wang Jianlin (The Hollywood Reporter, 2 novembre 2016)
[7] 4 des 10 cérémonies de récompenses les plus suivies aux États-Unis, avec près de 60 millions de téléspectateurs cumulés dont 20 millions pour les seuls Golden Globes, troisième show le plus regardé derrière les Oscars et les Grammys
[8] Seuls 34 films étrangers sont autorisés chaque année à être distribués dans les salles chinoises. A noter que la coproduction avec un partenaire domestique permet de contourner cette contrainte. Elle s’accompagne toutefois de conditions comme la présence d’un acteur local ou le tournage de scènes en Chine, et doit impérativement présenter le pays de manière positive