L’immatriculation des œuvres audiovisuelles grâce à des identifiants normalisés permet de posséder une connaissance précise des différents catalogues, de favoriser la circulation des droits ou encore d’identifier les différentes versions des œuvres. La multiplication des services numériques de streaming pose des problèmes importants en termes de gestion des droits pour ces nouveaux usages. Un enjeu majeur consiste donc à généraliser au sein de l’écosystème l’utilisation des identifiants normalisés. Malgré des efforts d’interopérabilité, deux identifiants sont en concurrence, l’ISAN européen et l’EIDR américain. Ce dernier vient de marquer un point important avec son intégration complète chez Google Play.
• ISAN et EIDR, deux identifiants concurrents
Le numéro ISAN – International Standard Audiovisual Number – est un numéro unique, universel et permanent d’immatriculation des œuvres audiovisuelles de toute nature. Il s’agit d’une norme ISO créée en 2002 par différentes organisations professionnelles françaises et internationales du secteur du cinéma et de l’audiovisuel. L’ISAN est aujourd’hui utilisé par près de 10 000 producteurs dans le monde. 1,1 millions d’œuvres (unitaires ou épisodes) sont désormais immatriculées. Le rythme moyen est de 70 000 nouvelles œuvres chaque année. 50% des œuvres sont européennes (dont 250 000 françaises), 45% nord-américaines et 5% d’autres nationalités.
L’ISAN est particulièrement important en France où il est requis depuis 2010 pour les déclarations de droits et demandes d’aides à la création auprès des sociétés de gestion collective de producteurs PROCIREP et ANGOA. De plus, il est soutenu par le CNC puisque depuis le 1er janvier 2017, un n° ISAN est obligatoire pour toute œuvre ou projet d’œuvre bénéficiaire d’une aide financière du Centre.
Outre son importance acquise sur les marchés européens (plusieurs EFADs – European Film Agency Directors – ont choisi cette norme, en Belgique, Danemark, Italie, Pays-Bas, Norvège, Pologne ou Suisse, séduits notamment par la conservation et le contrôle des données en Europe), ISAN peut se prévaloir dans son opposition à l’EIDR américain de son caractère pérenne – indépendamment du mode de gouvernance, non lucratif et ouvert garanti par l’ISO.
Face à l’ISAN, l’EIDR (Entertainment Identifier Registry) est apparu plus tardivement outre-Atlantique (en 2010 seulement) à l’initiative des majors du cinéma et de l’industrie des médias (Movielabs, CableLabs, Comcast et Rovi initialement) qui préféraient une gestion plus autonome et centralisée de leurs propres contenus. La montée en puissance a été rapide puisque le cap du million d’œuvres immatriculées a été franchi à la fin de l’année 2016. Aujourd’hui l’EIDR regroupe plus de 110 membres, promoteurs, contributeurs ou partenaires. L’ensemble sinon l’exhaustivité de l’écosystème des contenus audiovisuels américain est donc représenté. La structure est très différente de l’ISAN avec une centralisation poussée et des décisions prises et validées par un Conseil d’administration restreint de 9 membres représentant des acteurs incontournables : CableLabs, Comcast, Disney, Google, ITV, MovieLabs, Netflix, Sony, TiVo et Warner Bros.
Si l’ISAN a ses propres atouts, l’EIDR n’en manque pas. Deux principaux peuvent être identifiés. D’abord une dissémination importante au-delà du territoire nord-américain et en particulier en Europe en raison de l’importance des contenus concernés. Ainsi, parmi les membres contributeurs on peut noter la présence de géants européens comme ITV également au Board, British Film Institute, Canal+ ainsi que sa maison mère Vivendi ou le français Webedia (via notamment Allociné). Du côté des diffuseurs, Swisscom ou Sky utilisent l’identifiant EIDR comme un pivot externe pour faire communiquer leurs différents systèmes de gestion des métadonnées.
Car, et c’est une vraie force de l’EIDR, l’ensemble de l’architecture est conçue autour du concept d’identifiants alternatifs ou alternate IDs. Plutôt que de vouloir imposer l’utilisation de son numéro par chacun des acteurs, le numéro a été conçu comme un numéro pivot permettant de conserver les IDs existants. En ajoutant EIDR, les bases communiquent entre elles sans qu’il soit nécessaire de remplacer l’ensemble des IDs par un numéro EIDR. La stratégie est donc différente de l’ISAN pour s’imposer comme la lingua franca des bases de données audiovisuelles. Les deux systèmes ont des atouts et des inconvénients. Celui de l’EIDR permet sans-doute un développement plus rapide quant à l’adoption du standard. D’autant que les 22 IDs alternatifs (1) regroupent l’ensemble des majors du cinéma U.S (sauf Paramount), mais également les géants du streaming Netflix et Amazon ainsi que l’ISAN européen concurrent. En revanche, malgré sa richesse, la liste est fermée et forcément non exhaustive, donc différente de la philosophie ouverte et universelle de l’européen.
• Face aux avancées d’EIDR, un enjeu de structuration du marché européen
Reste que derrière des stratégies et des fonctionnements différents, la clé du succès pour les deux identifiants réside dans son adoption et sa dissémination la plus large possible. Un effet de volume est décisif, notamment du côté des diffuseurs.
Or il s’agit dans le cas de l’ISAN d’un véritable problème. L’identifiant ISAN est désormais renseigné par la plupart des producteurs, et intégré dans les bases des sociétés de gestion collective, mais il reste insuffisamment utilisé par les diffuseurs dans leurs bases de données et lors des échanges avec les autres acteurs. Les diffuseurs utilisent au contraire leurs propres identifiants internes pour référencer leurs contenus, voir l’EIDR comme pivot dans le cas notamment des acteurs extracontinentaux. A ce titre, l’extrême fragmentation de l’écosystème européen alors qu’à l’inverse le paysage américain du streaming se concentre sur un nombre restreint de plateformes très puissantes, qui plus est disponibles également sur le vieux continent, peut être un motif d’inquiétude.
D’autant que l’EIDR enregistre de nouveaux succès importants. Ainsi, Google, déjà partenaire du standard depuis plusieurs années vient d’annoncer que les rapports financiers de YouTube comprendront désormais les identifiants EIDR pour les transactions réalisées sur la plateforme de TVOD Google Play. Concrètement, l’avancée marque l’achèvement de ce que le consortium appelle le « cycle complet » de l’EIDR, où l’identifiant est utilisé depuis la publication de l’état de disponibilité pour un contenu dans un catalogue jusqu’à la présentation des rapports financiers sur les performances de ce contenu. Dans le cas de Google Play donc, l’identifiant EIDR est maintenant présent à tous les échelons de la chaîne d’approvisionnement permettant d’automatiser et de raccourcir les transactions pour les contenus des partenaires de la plateforme (reversements financiers). Disney, Sony Pictures et Warner Bros se sont félicités de cette initiative dont ils sont directement partenaires. Alors que l’arrivée des acteurs numériques sur la chaîne de valeur des contenus audiovisuels rend de plus en plus problématique la gestion des droits, à la fois en raison de certaines clauses contractuelles qui instaurent des rémunérations forfaitaires et plus globalement parce qu’il n’existe pas de métadonnées unifiées, l’annonce marque une avancée réelle pour l’EIDR.
A court terme, la situation devrait perdurer avec deux standards normalisés obligés de développer malgré leur concurrence des formes de complémentarité de plus en plus poussées. C’était d’ailleurs le constat de la Commission Européenne dès 2012 suite à la création d’un groupe de travail sur ce sujet. Les deux standards étant bien établis et étant donné le poids de leurs sponsors respectifs, il était dès cette date impossible de les voir fusionner, la Commission préférant donc promouvoir l’idée d’une interopérabilité. Ensuite, tout en maintenant des liens et des passerelles avec EIDR, l’ISAN doit poursuivre son développement en réussissant notamment à fédérer et à organiser autour d’elle et de ses partenaires un écosystème complet et solide sur le secteur des métadonnées européennes. A ce titre, la constitution de The European Metadata Group, à l’initiative de Bindinc (Pays-Bas), Media Press (Pologne, Allemagne, Suisse) et Plurimedia (France) pour bâtir une offre commune de métadonnées TV multi-langues à l’échelle de l’Europe ne peut être que perçue de manière très positive par l’ISAN.
(1) Amazon ASIN, Baseline, BBC, BFI, BUFVC, Canal+, Disney Studio ID, Fox Studio ID, Gifford, IMDb, ISAN, ITV, IVA (Video Detective), Flixster (Rotten Tomatoes), NBCUniversal Studio ID, Netflix, Red Bee, Sony Studio ID, TheCinemaSource, Veronica Publishing, Warner Bros. Studio ID, West10