Les audiences des rencontres de la Premier League et de la NFL sont en forte baisse sur leur marché domestique. Si certaines circonstances permettent d’expliquer ces résultats décevants, le mal semble plus profond. La diffusion d’évènements sportifs en direct séduit moins que par le passé, notamment les jeunes générations exposées en permanence à un large éventail de divertissements. Les chaînes traditionnelles s’organisent pour faire évoluer leurs offres, à l’instar de Sky qui entend procéder à une refonte complète de son bouquet Sky Sports.
L’inquiétante érosion des audiences TV des compétitions majeures
Longtemps présenté comme le dernier bastion du petit écran, vecteur d’abonnements et de recettes publicitaires, le sport et sa diffusion d’évènements en direct montre d’inquiétants signes de fléchissement ces derniers mois. Aux États-Unis comme au Royaume-Uni, deux territoires réputés pour l’abondance de leur offre sportive et l’appétence du public pour ces programmes, les récents chiffres dévoilés par la NFL, la ligue professionnelle de football américain (sport le plus populaire du pays), et la fédération anglaise de football (représentante de la Premier League, compétition nationale de football la plus suivie à travers le monde), ne sont pas de nature à rassurer les opérateurs traditionnels de télévision payante.
Cette saison, les audiences de la NFL ont été particulièrement décevantes, notamment chez les millenials. Ainsi, sur les neuf premières semaines de compétition, les matchs de football américain diffusés en prime time ont rassemblé en moyenne 3 millions de téléspectateurs âgés de 18 à 34 ans. Un chiffre en net recul en 2016 après une période de stabilité autour de 3,7 millions de téléspectateurs par rencontre entre 2012 et 2015. En comparaison de 2011, saison ayant enregistré la plus forte audience auprès des millenials, ce sont près de 1,3 million de téléspectateurs qui ont été perdus en moyenne sur cette tranche d’âge (-30% en 5 ans).
Évolution de l’audience moyenne des rencontres de NFL auprès des 18-34 ans
En millions de téléspectateurs ; 2008 – 2016
Du côté de la Premier League, les audiences TV sont elles aussi en repli sur la saison 2016/17 : -10% de téléspectateurs par match en moyenne par rapport à la période 2015/16, -31% par rapport à 2011/12, saison record en termes d’audience. Dans le détail, Sky, principal diffuseur de la compétition outre-Manche avec 126 rencontres en direct par saison (contre 42 pour BT), semble le plus affecté avec une audience moyenne en repli de 14% par rapport à la saison précédente (contre -2% pour BT). Un fléchissement des audiences pour les rencontres du championnat de football anglais également observé aux États-Unis où la compétition, diffusée par NBC, affiche un recul de 18% en moyenne sur l’ensemble de la saison écoulée.
Évolution de l’audience moyenne des rencontres de Premier League[1]
En millions de téléspectateurs ; 2010/11 – 2016/17
Des tendances baissières d’autant plus inquiétantes qu’elles s’inscrivent dans un contexte d’inflation continue des droits TV pour ces compétitions premium. BT et Sky ont en effet dû débourser 600 millions de livres de plus, à 5,1 milliards, pour la période 2016/19 (soit 10,1 M£ en moyenne par rencontre). De l’autre côté de l’Atlantique, CBS, FOX et NBC payent à eux trois un total de 3,1 milliards de dollars pour chaque saison de NFL sur la période 2014/22 (+60% par rapport au précédent contrat). ESPN (Disney) dépense pour sa part près de 1,9 Mrd $ par saison pour un ensemble de droits comprenant des rencontres en direct agrémentées de magazines, résumés ou encore de cérémonies de remise de trophées. Des sommes colossales qui interrogent sur les limites du modèle économique des chaînes de télévision à péage à l’heure où les audiences se tassent.
Des causes multiples et variées
L’érosion des audiences TV des compétitions sportives ont plusieurs causes. Ainsi, aux États-Unis comme au Royaume-Uni, la concomitance des saisons de football US et de football anglais avec des évènements de premier plan a été mise en avant au moment de commenter ces chiffres décevants. Les matchs de foot US ont ainsi été concurrencés par la couverture intensive de la dernière campagne présidentielle. Le déroulement des Jeux Olympiques de Rio (du 5 au 21 août 2016) au moment du coup d’envoi de la saison 2016/17 de Premier League explique quant à lui en partie les mauvaises audiences du début de saison (-28% en août). Toutes les saisons sportives ne se valent pas par ailleurs, et diffuseurs américains comme britanniques n’oublient pas de rappeler que la relégation en deuxième division l’année passée de deux clubs populaires du championnat anglais (Aston Villa et Newcastle), comme l’absence de stars majeures en NFL cette saison, ont pu affecter les audiences des deux compétitions.
Au-delà de circonstances conjoncturelles atténuantes, les contre-performances s’expliquent également par des nouveaux modes de consommation. Le désengagement des millenials envers les rencontres de NFL diffusées sur les chaînes à péage (-1,3 M de téléspectateurs par match en moyenne entre 2011 et 2016) coïncide avec l’explosion de la pénétration du smartphone chez les américains, passée de 35% à 68% au cours de cette même période, et qui atteint dorénavant 92% chez les millenials. A l’instar des films et des séries TV, les 18-34 ans délaissent en partie leur téléviseur pour visionner leurs sports préférés sur appareils mobiles. Le problème pour les réseaux historiques comme CBS ou NBC réside dans le fait qu’ils ne disposent pas des droits streaming sur mobiles – qui ont été vendus séparément à Verizon pour une durée de 4 ans à partir de la saison 2014/15 (1 Md $) – et se trouvent donc coupés d’une partie de l’audience.
Pour la ligue, la signature de cet accord exclusif avec le géant des télécoms n’en est pas moins problématique. Ces rencontres sont en effet uniquement accessibles aux abonnés de l’opérateur américain. Une récente étude de Nielsen montre que près des deux tiers des usages sur mobiles sont dédiés à la navigation web et aux applications, un quart aux réseaux sociaux et les 10% restants à l’écoute de musique et au visionnage de vidéos. L’accord exclusif avec Verizon pourrait être de nature à générer de la frustration chez les non abonnés qui faute de pouvoir accéder à la diffusion en direct des rencontres sur leur smartphone pourraient alors s’en retourner à la consultation de réseaux sociaux ou de sites web en délaissant complétement la compétition. Pour capter l’attention des millenials, la NFL n’est pas seulement en concurrence avec un évènement ponctuel comme la campagne présidentielle mais évolue dans un environnement bien plus large où elle se trouve confronter à des services de divertissement comme Facebook, YouTube, Candy Crush, Netflix ou Twitch.
Les nouveaux usages numériques posent également la question de la propension du jeune public à payer un abonnement élevé pour accéder à un large choix de programmes sportifs. Là encore comme le cinéma et les séries TV premium avant lui, le sport en direct fait face à une évolution des modes de consommation. Familiers des services de contenus à la demande par abonnement (audio, vidéo, presse), des plateformes de partage et des réseaux sociaux, les millenials sont habitués à accéder aux contenus de leur choix au moment de leur choix, le tout à un tarif avantageux si ce n’est gratuitement. L’absence de souplesse des chaînes sportives traditionnelles, tant dans leur offre (impossibilité pour les passionnés de ballon rond de souscrire aux seules chaînes de football) que dans leur politique tarifaire (bouquets Sky Sports commercialisés entre 49,50 et 80£ par mois, avec supplément de 6£ pour accéder à leur version HD), fait par ailleurs le jeu du piratage, phénomène qui n’a cessé de prendre de l’ampleur ces dernières années avec la multiplication des sites illégaux de streaming proposant le visionnage d’un très large choix de rencontres sportives en direct. Une étude publiée en début de semaine par la BBC[2] indique en effet que la moitié des fans de football britanniques ont déjà recouru à un site pirate pour suivre un match de Premier League. 36% admettent se rendre sur ce type de site au moins une fois par mois. Une proportion qui grimpe à 65% chez les 18-34 ans.
Autant de variables qui, si elles ne laissent en rien présager de la disparition de la diffusion du sport en direct à la télévision, rappellent toutefois la nécessité de faire évoluer son modèle.
Sky, NBCUniversal, NFL, ESPN… des acteurs aux stratégies contraires
En réponse aux performances décevantes de ces derniers mois, Sky est sans nul doute l’acteur à avoir adopté la stratégie la plus offensive. Tout juste un mois après la journée de clôture de la saison 2016/17 de Premier League, Sky a décidé de procéder à une refonte complète de son offre Sky Sports en mettant fin à la formule de bouquet multichaînes sur laquelle l’opérateur britannique s’appuyait depuis plus de deux décennies.
Sky reconnaît que les deux principaux freins à l’abonnement à ses chaînes sportives sont le prix élevé et l’absence de granularité de ses offres. L’opérateur vient donc d’annoncer qu’il allait remplacer ses traditionnels bouquets TV par une offre de chaînes thématiques construite autour de disciplines phares (Football, Golf et Cricket en remplacement des chaînes Sky Sports 1, 2, 3, 4 et 5). Une segmentation de l’offre qui va s’accompagner d’une importante diminution des tarifs avec une première formule autour du football (2 chaînes) proposée à 18£ par mois. Un repositionnement tarifaire qui devrait permettre de séduire un public plus large, notamment chez les 18-34 ans particulièrement sensibles à la variable prix. Restera à l’opérateur à atteindre rapidement une taille critique avec les fans de Premier League pour compenser le lourd investissement consenti pour l’obtention des droits du championnat national jusqu’en 2019 (4,1 Mrds £ sur 3 ans). Sky Arena, chaîne dédiée aux autres disciplines (Tennis, Rugby…), viendra compléter l’offre thématique de l’opérateur tout comme la chaîne de course automobile déjà existante Sky F1 (lancée en 2012). Sky Sports News et Sky Sports Mix, actuellement présentes dans les formules de base de Sky seront maintenues.
Sky n’a dévoilé en revanche aucune information quant à Now TV, son offre OTT qui avait permis à l’opérateur de restructurer une première fois son offre autour de Pass sportifs en ligne et sans engagement autour d’un abonnement mensuel (34£ par mois), et d’une une option de souscription à la journée (7£ par jour). Avec ce nouveau mouvement d’envergure, Sky démontre sa volonté de rendre son offre la plus souple et la plus accessible possible.
De l’autre côté de l’Atlantique, NBCUniversal, diffuseur américain de la Premier League, va lancer en août prochain un pass permettant de suivre les matchs du championnat anglais en live streaming sans obligation d’abonnement au câble. Cette offre direct-to-consumer sera commercialisée à 50$ et donnera accès au direct de 130 rencontres, enrichies de vidéos bonus et magasines dédiés à la Premier League. NBCUniversal continuera de proposer un nombre limité de matchs en direct sur son réseau de diffusion et un nombre plus important de rencontres sur ses chaînes payantes NBCSN et CNBC. Il ne s’agit pas de la première incursion du géant des médias américain dans l’univers des offres D2C. NBCUniversal propose des pass similaires pour suivre le Tour de France ou des sports mineurs aux États-Unis (rugby, motocross…). La Premier League constitue néanmoins la compétition la plus premium proposée à ce jour via ce type d’offre.
Du côté de la NFL, le désengagement progressif des millenials et l’accord exclusif conclu avec Verizon pour la diffusion de ses rencontres sur smartphones posent un sérieux problème à la ligue. En attendant que cet accord puisse être renégocié (arrivé à échéance l’an prochain), la NFL semble manquer d’un cap précis. Après avoir multiplié les tests avec des poids lourds du net (Twitter, Yahoo…) pour tenter de toucher une plus large audience, notamment chez les jeunes générations, la ligue vient de nouer un nouvel accord exclusif avec Amazon (50 M$) pour la diffusion en live streaming d’une dizaine de rencontres. Un nouvel accord qui privera le public américain de certains matchs sur appareils mobiles puisque celles-ci ne seront accessibles que via la souscription à un abonnement à Amazon Prime. Pour les chaînes CBS et NBC qui diffuseront ces mêmes rencontres en direct sur leurs réseaux câblés, le risque de voir s’éparpiller l’audience et se renforcer la consommation de contenus sportifs sur les plateformes des géants du web reste plus que jamais présent.
Attendue pour 2016, l’arrivée d’ESPN sur les offres en direct-to-consumer pourrait finalement avoir lieu d’ici à la fin d’année 2017. Si rien n’a officiellement été dévoilé à ce jour, cette offre ne devrait pas comporter de disciplines majeures diffusées sur les chaînes du groupe de sorte à ne pas cannibaliser l’audience de ces dernières. Seuls des sports ou compétitions de niche devraient alimenter l’offre du pass à venir. ESPN propose actuellement WatchESPN, un service de streaming réservé aux abonnés de son bouquet de chaînes, incluant flux en direct et contenus à la demande. Le service à venir serait commercialisé comme une offre de complément à WatchESPN. La stratégie du groupe en la matière est particulièrement scrutée par les analystes financiers, ESPN ayant affiché un recul de 3% de sa base d’abonnés au premier trimestre 2017, eu égard aux phénomènes de cord-cutting et de skinny bundles auxquels sont confrontés les opérateurs historiques américains.
[1] Hors consommation sur appareils mobiles
[2] BBC : Premier League – Third of fans say they watch illegal streams of matches