Game of Thrones la série la plus importante de la chaîne premium HBO a permis à la division Home Box Office de défendre sa place prépondérante au sein du groupe Time Warner. Depuis le lancement de la série, les revenus de Home Box Office ont progressé de 25% et la division représente désormais le quart des bénéfices de sa maison mère. La stratégie de construction de franchises aussi forte dans l’univers des séries TV que dans celui du cinéma a permis d’amortir dans la durée des coûts de production exponentiels.
Depuis 2014 et l’autonomie accordée à sa division Publishing (édition et leader mondial de la presse magazine grâce à des titres aussi puissant que Time, People ou Sports Illustrated), désormais sortie du périmètre de la maison mère, le groupe Time Warner organise ses différentes activités en trois segments principaux :
– Turner, dont le cœur de l’activité consiste en la gestion de réseaux câblés et de chaînes thématiques diffusées sur le câble américain (« Turner Networks »). En plus du territoire américain, Turner distribue ses différentes chaînes (CNN, Cartoon Network, Boomerang…) dans 200 pays à travers le monde. Depuis 2012, l’expansion internationale se concentre sur l’Asie du Sud Est, le Japon, la Corée du Sud, les pays Baltes, l’Allemagne, la Scandinavie et l’Amérique Latine.
– Home Box Office, qui gère la chaîne de TV payante la plus prestigieuse et la mieux distribuée aux Etats-Unis, HBO ainsi que ses différentes déclinaisons numériques. La division est également en charge de sa distribution à l’international, soit directement pour une reprise dans les bouquets des opérateurs (60 pays) soit sous forme de ventes de certains programmes originaux produits par HBO à des chaînes linéaires (150 pays). Home Box Office gère également une autre chaîne premium, Cinemax.
– Warner Bros. Entertainment, l’activité de studio du groupe, elle-même organisée autour de trois activités principales, la production et la distribution des films de cinéma, avec la gestion et la commercialisation des droits ; la production et la distribution des programmes de télévision, des jeux vidéo et des produits dérivés (ainsi que la gestion et la commercialisation des droits) ; le « Home Entertainment » avec l’édition et la distribution des produits vidéos (physiques et numériques).
Sur un périmètre consolidé reprenant l’organisation actuelle des activités, le groupe Time Warner est un groupe en croissance sur les cinq derniers exercices correspondant aux cinq années du règne de Game Of Thrones (la première saison a démarré en avril 2011). Le groupe enregistre de fait une croissance de ses revenus de 15,5% en 2016 par rapport à 2012, soit 4 milliards de dollars supplémentaires lui permettant de présenter un chiffre d’affaires de 30,2 milliards de dollars au 31 décembre 2016.
• Le poids de Home Box Office au sein du groupe Time Warner
La division Warner Bros. reste de loin la principale contributrice au chiffre d’affaires du groupe devant la division Turner alors que Home Box Office n’occupe que la troisième et dernière position. La répartition du chiffre d’affaires entre les différentes divisions est d’ailleurs d’une grande stabilité sur les cinq dernières années avec 43 à 45% du CA en provenance de Warner Bros., 36 à 38% liés à Turner et 18 à presque 20% provenant de Home Box Office.
Mais cette stabilité apparente dans la contribution des différentes divisions au CA global ne doit pas masquer deux informations importantes qui concernent le dynamisme de Home Box Office ainsi que son poids dans le bénéfice du groupe. En effet, avec une croissance de 25,7% de ses revenus, la division en charge de HBO est la division la plus dynamique sur la période 2012 – 2016. Ensuite, si on passe des revenus au résultat d’exploitation, on constate un réel déséquilibre en termes de performance économique au profit de la télévision par câble et donc des activités Turner et Home Box Office par rapport à celle de Warner Bros. Entertainment. Home Box Office représente le quart des bénéfices du groupe, loin derrière Turner (+/- 55% sur la période) mais devant l’activité studios au sens large (+/- 20%).
• Le modèle économique et les revenus de Home Box Office
Le modèle économique de Home Box Office repose sur deux piliers. Les revenus des abonnements (plus de 80% du total) et les revenus issus des accords de licence conclus à l’étranger avec des opérateurs de télévision payante pour la diffusion des programmes et du catalogue HBO (Orange en France, Sky au Royaume-Uni, en Allemagne ou en Italie symbolisent les accords les plus aboutis avec un modèle « Home of HBO » beaucoup plus étendu que dans d’autres cas où Home Box Office peut ne vendre à des tiers que certains de ses programmes). Ces accords de licence pèsent entre 15 et 20% des revenus selon les trimestres et représentent le modèle dominant à l’international. A contrario, sur son marché domestique, hormis quelques accords avec des agrégateurs OTT (Amazon Prime Video principalement), l’écrasante majorité des revenus provient des distributeurs qui reprennent les chaînes HBO ou Cinemax et leurs différentes déclinaisons pour les commercialiser auprès de leurs abonnés.
Ces revenus identifiés dans les comptes de Time Warner comme les « revenus des abonnements » s’élèvent à 5 milliards de dollars en 2016, en progression de 5% par rapport à 2015 qui représentait déjà une année historique (4,7 milliards de dollars en progression de 4% par rapport à 2014). Si ce sont les opérateurs du câble, du satellite et les opérateurs télécoms qui dominent ce segment de revenus, il convient désormais d’y ajouter les opérateurs virtuels, DirecTV NOW, Sling (Dish), PlayStation Vue (Sony) qui proposent des abonnements à HBO ainsi que le service OTT HBO Now édité par Home Box Office et commercialisé directement auprès des consommateurs aux Etats-Unis, en Scandinavie, en Espagne ainsi qu’en Amérique Latine (Colombie, Mexique, Brésil et Argentine). 3,5 millions de personnes sont ainsi abonnées aux services OTT de HBO. Un chiffre qui peut paraître modeste par rapport à la base totale des abonnés qui s’élève à 134 millions à la fin de l’année 2016, soit 2% seulement.
Ceci étant, ces 2% sont essentiels en termes de dynamique pour le groupe. De fait, les offres OTT n’ont été lancées que très récemment (avril 2015 aux Etats-Unis, novembre 2016 en Espagne ou décembre 2016 en LATAM). Autrement dit les 3,5 millions d’abonnés OTT ont été recrutés en dix-huit mois tout au plus. Ils absorbent donc l’intégralité ou la quasi intégralité de la croissance du nombre d’abonnés en 2016 (+3M par rapport à 2015). Un constat d’autant plus essentiel qu’après une période de croissance continue, Home Box Office avait commencé à perdre des abonnés en 2015 (-7M).
Home Box Office, à l’instar des autres chaînes premium, mais d’autant plus qu’elle en est la quintescence, se trouve donc dans une situation historiquement inconfortable qui consiste à préserver les revenus traditionnels des abonnements et des accords de licence, clés de voute de son modèle économique, tout en préparant l’avenir en accélérant le développement des nouveaux revenus OTT et « Direct to Consumer ». Le groupe gère de manière très fine la situation à l’international, notamment en Europe où l’offre OTT n’est distribuée que dans les territoires où HBO n’est pas repris par les opérateurs partenaires les plus importants.
En revanche, le risque est plus important sur son marché domestique où les deux modèles coexistent. Ce risque n’est pas tant celui d’une cannibalisation directe que celui d’un affaiblissement indirect des partenaires traditionnels de la chaîne. Alors que les américains sont toujours plus nombreux chaque trimestre à délaisser ou à réduire leurs offres de télévision payante, pour les remplacer ou les compléter par des services de streaming, la disposnibilité de HBO en OTT participe à ce mouvement de fond. Or moins d’abonnés et donc moins de revenus pour les opérateurs rejaillissent sur des accords commerciaux moins généreux pour HBO au moment de renégocier les conditions de reprise de la chaîne. HBO Now en OTT servant à l’occasion d’argument aux opérateurs pour justifier des prix à la baisse. A ce constat s’ajoute pour Home Box Office un effet de ciseaux. Car, quand malgré la pression baissière de ses partenaires, il réussit à renégocier à la hausse le prix de la reprise des ses chaînes, il constate que les hausses sont mécaniquement repercutées par les opérateurs sur les abonnés. Lesquels, ne supportant plus les hausses des prix de leurs bouquets et des chaînes premium accélèrent le mouvement de désabonnement ou de non renouvellement. Un véritable cercle vicieux. D’autant que ces hausses de prix auprès des abonnés ne profitent pas directement à Home Box Office qui négocie avec les diffuseurs des accord commerciaux pluriannuels. On le voit clairement sur l’année 2016 durant laquelle la division a réussi à augmenter de 2,3% le volume de ses abonnés alors que dans le même temps ses revenus issus des abonnements n’ont progressé que de 1,2%.
C’est ce schéma complexe qui a conduit en 2016 Home Box Office à modifier en profondeur le modèle économique de ses partenariats de distribution sur son marché domestique. 2016 correspondait en effet à une période de renouvellement des accords avec plusieurs des principaux opérateurs américains, Charter, AT&T et Comcast aux troisième et quatrième trimestres. Plutôt que de rentrer dans des négociations traditionnelles pour obtenir une enveloppe plus élevée, Home Box Office a fait le choix de modifier la structure des accords en proposant un partage de valeur aux opérateurs basé sur le volume des abonnements. Plutôt qu’une somme fixe, Home Box Office fait le pari d’un sytème de clés de répartition (dont les modalités exactes relèvent du secret des affaires) indexées sur le nombre d’abonnés. Plus les abonnés sont nombreux plus c’est avantageux pour le diffuseur qui en cette période compliquée est donc encouragé à promouvoir les chaînes HBO. Un pari qui semble en bonne voie de réussite puisque les revenus des abonnements sont en hausse de 4% au premier trimestre 2017 après un recul de 0,8% au trimestre précédent et une croissance moyenne de 0,8% seulement sur les huit derniers trimestres.
• Un effet Game of Thrones ?
La série Game of Thrones est incontestablement un véhicule d’abonnements essentiel pour Home Box Office depuis le lancement de la première saison en avril 2011. Impossible néanmoins d’aller au-delà des chiffres officiels communiqués par Time Warner au marché pour évaluer quel est son impact concret. Reste que depuis son lancement, la base globale d’abonnés est passée de 93 millions à 134 millions soit une croissance de 44% en six ans ! L’autre élément public concerne les audiences extraordinaires de la série qui sont les meilleures audiences de l’histoire de la chaîne payante. En moyenne, chaque épisode de la saison 6 a rassemblé 25,7 millions de spectateurs aux Etats-Unis si l’on cumule l’ensemble des supports et la consommation délinéarisée. Et le démarrage de la saison 7 cette semaine confirme l’engouement. Le premier épisode a rassemblé 16,1 million de téléspectateurs dont 10,1 millions en direct, le reste de l’audience provenant des enregistrements sur DVR et du streaming. Cela représente une augmentation de 50% par rapport au premier épisode de la saison précédente et en fait le lancement le plus visionné pour une série HBO depuis que la chaîne existe.
Mais le plus intéressant réside sans-doute dans le fait que Game of Thrones soit une exception dans l’univers des séries TV avec une audience qui croît au fur et à mesure des saisons alors qu’elle diminue mécaniquement dans le temps pour l’écrasante majorité des séries concurrentes. Il s’agit d’un succès stratégique pour Time Warner qui, comme il le fait dans l’univers du cinéma, a donc réussi à construire une véritable franchise globale autour d’une série TV.
Or cette stratégie de construction de licences aussi fortes que GOT a des conséquences directes sur les marges du groupe en permettant d’amortir dans la durée les coûts de production. De fait, alors que les contenus sont toujours plus chers à produire (environ 10M$ par épisode pour le trône de fer sur la saison 6), on constate de manière surprenante dans les comptes du premier trimestre 2017 une diminution des coûts liés à la production des contenus originaux. Cette enveloppe dont la croissance est contenue reste relativement stable pour Home Box Office autour du milliard de dollars annuel (960 millions en 2014 sur une enveloppe globale dédiée aux contenus de 1,9 milliard ; 1 milliard en 2015 sur un total de 2 milliards et 1,1 milliard en 2016 pour un total de 2,1 milliards). Mais au premier trimestre 2017 les coûts liés aux programmes originaux baissent de 14% (pour une diminution globale de 2% de l’enveloppe des contenus) par rapport au T1 2016. Il s’agit en fait d’une opération comptable interne au groupe qui a modifié radicalement au deuxième trimestre 2016 (avec donc premiers effets trois trimestres plus tard) ses estimations de la durée de la « période d’utilisation » de ses programmes originaux. Ce sont ces estimations qui lui permettent de calculer leur amortissement. Concrètement, les programmes originaux à commencer par GOT ont en raison de leur succès une durée de vie ou d’utilisation de plus en plus longue avec des fenêtres d’exploitation allongée et plus nombreuses. Les programmes originaux ont gagné 5 mois d’espérance de vie. Cette durée d’utilisation plus longue se traduit par un taux d’amortissement plus avantageux qui se traduit dans les résultats par une baisse des coûts de production. Nul doute dans ces conditions que Time Warner ne se montre pas particulièrement pressé de mettre fin à la guerre des trônes.
[box] Le rachat de Time Warner par AT&T, une autre série à rebondissements…
Cela fait maintenant dix mois que l’opération géante de rapprochement des deux groupes a été annoncée pour la somme record de 85 milliards de dollars. Mais depuis, le rachat n’a toujours pas abouti alors que le dossier est de plus en plus politisé depuis l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis. Les travaux de la division antitrust du Ministère de la Justice sont toujours en cours mais aucune conclusion ne semble pouvoir émerger en raison de l’absence de responsable à la tête du département en charge des fusions acquisitions. Donald Trump a en effet fait le choix de promouvoir à ce poste un spécialiste de ces questions au sein du Ministère mais qui a également eu un rôle de conseil auprès de lui. Le Sénat n’a toujours pas validé sa nomination. En parallèle, la résistance s’organise. Sept organisations de défense des consommateurs ont écrit au ministre américain de la Justice pour lui demander d’envisager de bloquer le projet au motif que l’opération entraînerait des hausses de prix et freinerait l’innovation. Et un groupe de sénateurs démocrates s’inquiète officiellement d’une ingérence politique de la Maison Blanche supposée vouloir utiliser l’opération de rapprochement pour faire pression sur les médias, en l’occurrence la chaîne d’informations CNN appartenant à Turner, une des divisions de Time Warner, avec laquelle Donald Trump est désormais en guerre ouverte. [/box]